Название: Les soirées de l'orchestre
Автор: Hector Berlioz
Издательство: Public Domain
Жанр: Историческая литература
isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/32056
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Celui-là équarrissait les œuvres des compositeurs célèbres.
Il se nommait Marescot, et son métier était d'arranger toute musique pour deux flûtes, pour une guitare, et surtout pour deux flageolets, et de la publier. La musique du Freyschutz ne lui appartenant pas (tout le monde sait qu'elle appartenait à l'auteur des paroles et des perfectionnements qu'elle avait dû subir pour être digne de figurer dans le Robin des bois à l'Odéon), Marescot n'osait en faire commerce. Et c'était un grand crève-cœur pour lui; car, disait-il, il avait une idée qui, appliquée à un certain morceau de cet opéra, devait lui rapporter gros. Je voyais quelquefois ce praticien, et je ne sais pourquoi il m'avait pris en affection. Nos tendances musicales n'étaient pas pourtant précisément les mêmes, vous devez, j'espère, le supposer. Il m'arriva, en conséquence, de lui laisser soupçonner que je l'appréciais. Je m'oubliai même une fois jusqu'à lui dire le demi-quart de ma pensée au sujet de son industrie. Ceci nous brouilla un peu, et je demeurai six mois sans mettre les pieds dans son atelier.
Malgré tous les attentats commis par lui sur les grands maîtres, il avait un aspect assez misérable et des vêtements passablement délabrés. Mais voilà qu'un beau jour je le rencontre marchant d'un pas leste sous les arcades de l'Odéon, en habit noir tout neuf, en bottes entières et en cravate blanche; je crois même, tant la fortune l'avait changé, qu'il avait les mains propres ce jour-là. «Ah! mon Dieu! m'écriai-je, tout ébloui en l'apercevant, auriez-vous eu le malheur de perdre un oncle d'Amérique, ou de devenir collaborateur de quelqu'un dans un nouvel opéra de Weber, que je vous vois si pimpant, si rutilant, si ébouriffant? – Moi! répondit-il, collaborateur? ah bien oui! je n'ai pas besoin de collaborer; j'élabore tout seul la musique de Weber, et bien je m'en trouve. Cela vous intrigue; sachez donc que j'ai réalisé mon idée, et que je ne me trompais pas quand je vous assurais qu'elle valait gros, très-gros, extraordinairement gros. C'est Schlesinger, l'éditeur de Berlin, qui possède en Allemagne la musique du Freyschutz; il a eu la bêtise de l'acheter: quel niais! Il est vrai qu'il ne l'a pas payée cher. Or, tant que Schlesinger n'avait pas publié cette musique baroque, elle ne pouvait, ici en France, appartenir qu'à l'auteur de Robin des bois, à cause des paroles et des perfectionnements dont il l'a ornée, et je me trouvais dans l'impossibilité d'en rien faire. Mais aussitôt après sa publication à Berlin, elle est devenue propriété publique chez nous, aucun éditeur français n'ayant voulu, comme bien vous le pensez, payer une part de sa propriété à l'éditeur prussien pour une composition pareille. J'ai pu aussitôt me moquer des droits de l'auteur français et publier sans paroles mon morceau, d'après mon idée. Il s'agit de la prière en la bémol d'Agathe au troisième acte de Robin des bois. Vous savez qu'elle est à trois temps, d'un mouvement endormant, et accompagnée avec des parties de cor syncopées très-difficiles et bêtes comme tout. Je m'étais dit qu'en mettant le chant dans la mesure à six-huit, en indiquant le mouvement allegretto, et en l'accompagnant d'une manière intelligible, c'est-à-dire avec le rhythme propre à cette mesure (une noire suivie d'une croche, le rhythme des tambours dans le pas accéléré), cela ferait une jolie chose qui aurait du succès. J'ai donc écrit ainsi mon morceau pour flûte et guitare, et je l'ai publié, tout en lui laissant le nom de Weber. Et cela a si bien pris, que je vends, non par centaines, mais par milliers, et que chaque jour la vente en augmente. Il me rapportera à lui seul plus que l'opéra entier n'a rapporté à ce nigaud de Weber, et même à M. Castil-Blaze, qui pourtant est un homme bien adroit. Voilà ce que c'est que d'avoir des idées! – Que dites-vous de cela, messieurs? Je suis presque sûr que vous allez me prendre pour un historien, et ne pas me croire. Et c'est un fait parfaitement vrai, pourtant. Et j'ai longtemps conservé un exemplaire de la prière de Weber ainsi transfigurée par l'idée et pour la fortune de M. Marescot, éditeur de musique français, professeur de flûte et de guitare, établi rue Saint-Jacques, au coin de la rue des Mathurins, à Paris.»
L'opéra est fini; les musiciens s'éloignent en regardant Corsino d'un air d'incrédulité narquoise. Quelques-uns même laissent échapper cette vulgaire expression: Blagueur!..
Mais je garantis l'authenticité de son récit. J'ai connu Marescot. Il en a fait bien d'autres!..
CINQUIÈME SOIRÉE
L'S DE ROBERT LE DIABLE, nouvelle grammaticale
On joue un opéra français moderne très-plat.
Personne ne songe à sa partie dans l'orchestre; tout le monde parle à l'exception d'un premier violon, des trombones et de la grosse caisse. En m'apercevant, le contre-bassiste Dimsky m'interpelle: «Eh! bon Dieu, que vous est-il donc arrivé, cher monsieur? Nous ne vous voyons pas depuis près de huit jours. Vous avez l'air triste. J'espère que vous n'avez pas éprouvé de vexation comme celle de notre ami Kleiner. – Non, Dieu merci; je n'ai point à regretter de perte dans ma famille; mais j'étais, comme disent les catholiques, en retraite. En pareil cas, les personnes pieuses, pour se préparer sans distraction à l'accomplissement de quelque grave devoir religieux, se retirent dans un couvent ou dans un séminaire, et là, pendant un temps plus ou moins long, elles jeûnent, prient, et se livrent à de saintes méditations. Or, il faut vous avouer que j'ai l'habitude de faire tous les ans une retraite poétique. Je m'enferme alors chez moi: je lis Shakspeare ou Virgile; quelquefois l'un et l'autre. Cela me rend un peu malade d'abord; puis je dors des vingt heures de suite; après quoi je me rétablis, et il ne me reste qu'une insurmontable tristesse, dont vous voyez le reste, et que vos gais propos ne tarderont pas à dissiper. Qu'a-t-on joué, chanté, dit et narré en mon absence? Mettez-moi au courant. – On a joué Robert le Diable, I Puritani; on n'a pas du tout chanté; et nous n'avons eu à l'orchestre que des discussions. La dernière s'est élevée à propos d'un passage de la scène du jeu dans l'opéra de Meyerbeer. Corsino soutient que les chevaliers siciliens sont tous d'accord pour dévaliser Robert. Moi je prétends que l'intention de l'auteur du livret n'a pu être de leur donner un si honteux caractère, et que leur aparté:
est une licence du traducteur. Nous vous attendions pour savoir quelles sont les paroles françaises chantées par le chœur dans le texte originel. – Ce sont les mêmes; votre traducteur n'a point d'infidélité à se reprocher. – Ah! j'en étais sûr, reprend Corsino, j'ai gagné mon pari. – Oui; et ceci est encore un des bonheurs de M. Meyerbeer, le plus heureux des compositeurs de cette vallée de larmes. Car, il faut bien le reconnaître, il en est de ce qu'on est convenu d'appeler les jeux du théâtre comme des jeux de hasard; les plus savantes combinaisons ne servent à rien pour y réussir; on y gagne parce qu'on n'y perd pas, on y perd parce qu'on n'y gagne pas. Ces deux raisons sont les seules qu'on puisse donner de la perte ou du gain, du succès ou du revers. La chance, le bonheur, la veine, la fortune! mots dont on se sert pour désigner la cause inconnue et qu'on ne connaîtra jamais. Mais cette chance, cette veine, cette Fortune ou non propice (ainsi que Bertram a la naïveté de l'appeler dans Robert le Diable) semble néanmoins s'attacher à certains joueurs, à certains auteurs, avec un acharnement incroyable. Tel compositeur, par exemple, a piqué sa carte pendant dix ans, a compté toutes les séries de rouges et de noires, a résisté prudemment à toutes les agaceries des chances ordinaires, à toutes les tentations qu'elles lui faisaient éprouver; puis, quand un beau jour il est arrivé à voir sortir la noire trente fois de suite, il se dit: «Ma fortune est faite; tous les opéras donnés depuis longtemps sont tombés; le public a besoin d'un succès, ma partition est précisément écrite dans le style opposé au style de mes devanciers; je la place sur la rouge.» La roue tourne, la noire sort une trente et unième fois, et l'ouvrage СКАЧАТЬ