Les soirées de l'orchestre. Hector Berlioz
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Название: Les soirées de l'orchestre

Автор: Hector Berlioz

Издательство: Public Domain

Жанр: Историческая литература

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isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/32056

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СКАЧАТЬ en augmentant d'intensité. Mon père alors commença à perdre la mauvaise opinion qu'il avait conçue de moi et à penser, lui aussi, que j'étais fou. M. le curé, au contraire, persistant dans la sienne me demanda si je n'avais jamais songé à être prêtre. «Non, monsieur, répondis-je, mais j'y songe maintenant, et il me semble que je serais bien heureux d'embrasser ce saint état.» – «Eh bien! mon enfant, examinez-vous, réfléchissez, nous en reparlerons.» Sur ces entrefaites, mon père mourut après une courte maladie. J'avais quatorze ans; je ressentis un grand chagrin, car il ne m'avait que rarement battu, et je lui devais bien de la reconnaissance pour m'avoir élevé et m'avoir appris trois choses: le français, la harpe et la carabine. J'étais seul au monde, M. le curé me prit chez lui, et bientôt après, sur l'assurance que je lui donnai de ma vocation pour l'état ecclésiastique, il commença à me préparer aux connaissances qu'il exige. Cinq années s'écoulèrent ainsi à étudier le latin, et j'étais sur le point d'entreprendre mes études de théologie, quand un jour je tombai brusquement amoureux, mais amoureux fou de deux filles à la fois! Vous ne croyez peut-être pas cela possible, monsieur?

      – Comment donc! mais je le crois parfaitement… Tout est possible en ce genre aux organisations telles que la vôtre.

      – Eh bien donc! ce fut comme je vous le dis… J'en aimai deux d'un coup, une gaie et une sentimentale.

      – Comme les deux cousines de Freyschutz?

      – Précisément. Oh! le Freyschutz! il y a une de mes phrases là-dedans!.. Et dans les bois, aux jours d'orage, bien souvent… (Ici le narrateur s'arrêta, regardant fixement en l'air, immobile, prêtant l'oreille; il semblait entendre ses chères harmonies éoliennes, unies sans doute à la romantique mélodie de Weber, dont il venait de parler. Il pâlit, quelques larmes parurent sur ses paupières… Je n'avais garde de troubler son rêve extatique, je l'admirais, je l'enviais même. Nous gardâmes quelque temps le silence tous les deux. Enfin, essuyant rapidement ses yeux et vidant son verre): Pardon, monsieur, reprit-il, je vous ai malhonnêtement laissé seul pour suivre un instant mes souvenirs. C'est que, voyez-vous, Weber m'aurait compris, lui, comme je le comprends; il ne m'aurait pris ni pour un ivrogne, ni pour un fou, ni pour un saint. Il a réalisé mes rêves, ou du moins il a rendu sensibles au vulgaire quelques-unes de mes impressions.

      – Au vulgaire, dites-vous! cherchez un peu, camarade, combien il y a d'individus qui aient remarqué la phrase dont le souvenir seul vient de vous émouvoir, et que je suis sûr d'avoir devinée: le solo de clarinette sur le trémolo, dans l'ouverture, n'est-ce pas?

      – Oui, oui, chut!

      – Eh bien! citez à qui vous voudrez cette mélodie sublime, et vous verrez que, sur cent mille personnes qui ont entendu le Freyschutz, il n'y en a peut-être pas dix qui l'aient seulement remarquée.

      – C'est fort possible. Mon Dieu, quel monde!.. Bref, mes deux maîtresses étaient donc les vraies héroïnes de Weber, et qui plus est, l'une s'appelait Annette et l'autre Agathe, encore comme dans le Freyschutz. Je n'ai jamais pu savoir laquelle des deux j'aimais le mieux, seulement avec la gaie j'étais toujours triste, et la mélancolique m'égayait.

      – Cela devait être, nous sommes ainsi faits.

      – Ma foi, s'il faut vous l'avouer, je me trouvai diablement heureux. Ce double amour me fit oublier un peu mes concerts célestes, et quant à ma vocation sacrée, elle disparut en un clin d'œil. Il n'y a rien de tel que l'amour de deux jeunes filles, l'une gaie et l'autre rêveuse, pour vous ôter l'envie de devenir prêtre et le goût de la théologie. M. le curé ne s'apercevait de rien, Agathe ne soupçonnait pas mon amour pour Annette, ni celle-ci ma passion pour Agathe, et je continuais à m'égayer et à m'attrister successivement, de deux jours l'un.

      – Diable! il y a sans doute en vous un fond de tristesse et de gaieté inépuisable, si cette agréable existence a duré longtemps.

      – Je ne sais si j'étais aussi favorisé que vous le dites, car un nouvel incident, plus grave que tous les événements antérieurs de ma vie, vint m'arracher bientôt aux bras de mes bonnes amies et aux leçons de M. le curé. J'étais un jour à faire de la poésie rêveuse auprès d'Annette, qui riait de tout son cœur de ce qu'elle appelait mon air de chien couchant affligé; je chantais, en m'accompagnant de la harpe, un de mes poëmes les plus passionnés, improvisé au temps où ni mon cœur ni mes sens n'avaient encore parlé. Je cessai un instant de chanter… la tête sur l'épaule d'Annette, baisant avec tendresse une de ses mains; je me demandais ce que pouvait être cette faculté mystérieuse qui m'avait fait trouver en musique l'expression de l'amour, avant que la moindre lueur de ce sentiment m'eût été révélée, quand Annette, contenant mal un nouvel accès d'hilarité: «Oh! que tu es bête! s'écria-t-elle en m'embrassant, mais c'est égal, je t'aime encore mieux, si peu divertissant que tu sois, que ce drôle de corps de Franz, l'amant d'Agathe. – L'amant de?.. – D'Agathe, tu ne le savais donc pas? il va la voir justement aux heures où nous sommes ensemble; elle m'a tout confié.» Vous croyez peut-être, monsieur, que je m'élançai d'un bond hors de la maison en poussant un cri de fureur, pour aller exterminer Franz et Agathe. Point du tout, pris d'une de ces rages froides plus terribles cent fois que les grands emportements, j'allai attendre mon rival à la porte de notre maîtresse, et sans réfléchir qu'elle nous trompait tous les deux et qu'il avait à se plaindre de moi autant que j'avais à me plaindre de lui, sans vouloir même qu'il se doutât du motif de mon agression, je l'insultai de telle façon que nous convînmes de nous battre sans témoins le lendemain matin. Et nous nous battîmes, monsieur, et je… donnez-moi un verre de vin, et je… à votre santé… et je lui crevai un œil…

      – Ah! vous vous battîtes à l'épée?

      – Non, monsieur, à la carabine, à cinquante pas; je lui envoyai dans l'œil gauche une balle qui le rendit borgne.

      – Et mort, sans doute?

      – Oh! très-mort, il tomba roide sur le coup.

      – Et vous l'aviez visé à l'œil gauche?

      – Hélas! non, monsieur; je sais que vous allez me trouver bien maladroit… à cinquante pas… J'avais visé l'œil droit… Mais en le tenant en joue, je vins à penser à cette drôlesse d'Agathe, et il faut croire que ma main trembla, car en toute autre occasion, je vous le jure sans vanité, j'eusse été incapable d'une erreur aussi grossière. Quoi qu'il en soit, je ne le vis pas plus tôt à terre que ma colère et mes deux amours s'envolèrent de compagnie… Je n'eus plus qu'une idée, celle d'échapper à la justice que je croyais déjà voir à mes trousses; car nous nous étions battus sans témoins, et je pouvais aisément passer pour un assassin. Je détalai donc dans la montagne au plus vite, sans m'inquiéter d'Annette ni d'Agathe. Je fus guéri à l'instant même de ma passion pour elles, comme elles m'avaient guéri de ma vocation pour la théologie. Ce qui me démontra clairement que, pour moi, l'amour des femmes est à l'amour de Dieu comme l'amour de la vie est à celui des femmes, et que le meilleur parti à prendre pour oublier deux maîtresses, c'est d'envoyer une balle dans l'œil gauche du premier venu de leurs amants. Si jamais vous avez un double amour comme le mien, et qu'il vous incommode, je vous recommande mon procédé.»

      Je vis que mon homme commençait à s'exalter, il mordait sa lèvre inférieure en parlant, et riait sans bruit d'une façon étrange. «Vous êtes fatigué, lui dis-je, si nous allions dehors fumer un cigare, vous pourriez plus aisément tout à l'heure reprendre et achever votre récit. – Volontiers, dit-il.» Alors s'approchant de sa harpe, il joua d'une main le thème entier de la Fée Mab, qui parut lui rendre sa bonne humeur, et nous sortîmes, moi, grommelant à part: Quel drôle d'homme! et lui: Quel drôle de morceau!..

      «Je vécus pendant quelques jours dans les montagnes, reprit en rentrant mon original; le produit de СКАЧАТЬ