Название: Les soirées de l'orchestre
Автор: Hector Berlioz
Издательство: Public Domain
Жанр: Историческая литература
isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/32056
isbn:
Six mois plus tard, après avoir trop bien fonctionné au repas de noces de son patron, ce pauvre diable (le garçon épicier) tombe malade; il se fait transporter à l'hospice de la Pitié; on le soigne bien, il meurt, on ne l'enterre pas; tout cela se devine encore.
Notre jeune homme, bien traité et bien mort, est mis par hasard sous les yeux de Dubouchet, qui le reconnaît. L'impitoyable élève de la Pitié, au lieu donner une larme à son ennemi vaincu, n'a rien de plus pressé que de l'acheter, et le remettant au garçon d'amphithéâtre:
«François, lui dit-il, voilà une préparation sèche à faire; soigne-moi cela, c'est une de mes connaissances.»
Quinze ans se passent (quinze ans! comme la vie est longue quand on n'en a que faire!), le directeur de l'Opéra me confie la composition des récitatifs du Freyschutz et la tâche de mettre le chef-d'œuvre en scène. Duponchel étant encore chargé de la direction des costumes… – Duponchel! s'écrient à la fois cinq ou six musiciens, est-ce le célèbre inventeur du dais? celui qui a introduit le dais dans les opéras comme principal élément de succès? l'auteur du dais de la Juive? du dais de la Reine de Chypre? du dais du Prophète? le créateur du dais flottant, du dais mirobolant, du dais des dais? – C'est lui-même, messieurs, Duponchel donc étant encore chargé de la direction des costumes, des processions et des dais, je vais le trouver pour connaître ses projets relativement aux accessoires de la scène infernale, où son dais, malheureusement, ne pouvait figurer. «Ah çà, lui dis-je, il nous faut une tête de mort pour l'évocation de Samuel, et des squelettes pour les apparitions; j'espère que vous n'allez pas nous donner une tête de carton, ni des squelettes en toile peinte comme ceux de Don Juan.
– Mon bon ami, il n'y a pas moyen de faire autrement, c'est le seul procédé connu.
– Comment, le seul procédé! et si je vous donne, moi, du naturel, du solide, une vraie tête, un véritable homme sans chair, mais en os, que direz-vous?
– Ma foi, je dirai… que c'est excellent, parfait; je trouverai votre procédé admirable.
– Eh bien! comptez sur moi, j'aurai notre affaire!
Là-dessus je monte en cabriolet; je cours chez le docteur Vidal, un autre de mes anciens camarades d'amphithéâtre. Il a fait fortune aussi celui-là; il n'y a que les médecins qui vivent!
– As-tu un squelette à me prêter?
– Non, mais voilà une assez bonne tête qui a appartenu, dit-t-on, à un docteur allemand mort de misère et de chagrin; ne me l'abîme pas, j'y tiens beaucoup.
– Sois tranquille, j'en réponds!
Je mets la tête du docteur dans mon chapeau, et me voilà parti.
En passant sur le boulevard, le hasard, qui se plaît à de pareils coups, me fait précisément rencontrer Dubouchet que j'avais oublié, et dont la vue me suggère une idée lumineuse. «Bonjour! – Bonjour! – Très-bien, je vous remercie! mais il ne s'agit pas de moi. Comment se porte notre amateur?
– Quel amateur?
– Parbleu! le garçon épicier que nous avons mis à la porte de l'Odéon pour avoir sifflé la musique de Weber, et que François a si bien préparé.
– Ah! j'y suis; il se porte à merveille! Certes! il est propre et net dans mon cabinet, tout fier d'être si artistement articulé et chevillé. Il ne lui manque pas une phalange, c'est un chef-d'œuvre! La tête seule est un peu endommagée.
– Eh bien! il faut me le confier; c'est un garçon d'avenir, je veux le faire entrer à l'Opéra, il y a un rôle pour lui dans la pièce nouvelle.
– Qu'est-ce à dire?
– Vous verrez!
– Allons, c'est un secret de comédie, et puisque je le saurai bientôt, je n'insiste pas. On va vous envoyer l'amateur.
Sans perdre de temps, le mort est transporté à l'Opéra; mais dans une boîte beaucoup trop courte. J'appelle alors le garçon ustensilier: Gattino!
– Monsieur.
– Ouvrez cette boîte. Vous voyez bien ce jeune homme?
– Oui, monsieur.
– Il débute demain à l'Opéra. Vous lui préparerez une jolie petite loge où il puisse être à l'aise et étendre ses jambes.
– Oui, monsieur.
– Pour son costume, vous allez prendre une tige de fer que vous lui planterez dans les vertèbres, de manière à ce qu'il se tienne aussi droit que M. Petipa, quand il médite une pirouette.
– Oui, monsieur.
– Ensuite, vous attacherez ensemble quatre bougies que vous placerez allumées dans sa main droite; c'est un épicier, il connaît ça.
– Oui, monsieur.
– Mais, comme il a une assez mauvaise tête, voyez, toute écornée, nous allons la changer contre celle-ci.
– Oui, monsieur.
– Elle a appartenu à un savant, n'importe! qui est mort de faim, n'importe encore! Quant à l'autre, celle de l'épicier, qui est mort d'une indigestion, vous lui ferez, tout en haut, une petite entaille (soyez tranquille, il n'en sortira rien) propre à recevoir la pointe du sabre de Gaspard dans la scène de l'évocation.
– Oui, monsieur.»
Ainsi fut fait; et depuis lors, à chaque représentation du Freyschutz, au moment où Samuel s'écrie: «Me voilà!» la foudre éclate, un arbre s'abîme, et notre épicier, ennemi de la musique de Weber, apparaît aux rouges lueurs des feux du Bengale, agitant, plein d'enthousiasme, sa torche enflammée.
Qui pouvait deviner la vocation dramatique de ce gaillard-là? Qui jamais eût pensé qu'il débuterait précisément dans cet ouvrage? il a une meilleure tête et plus de bon sens à cette heure. Il ne siffle plus:
– Eh bien, cela m'attriste, dit Corsino naïvement. Si épicier qu'il ait été, ce débutant était presque un homme, après tout. Je n'aime pas qu'on joue ainsi avec la mort. S'il siffla de son vivant la partition de Weber, СКАЧАТЬ