Les soirées de l'orchestre. Hector Berlioz
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Название: Les soirées de l'orchestre

Автор: Hector Berlioz

Издательство: Public Domain

Жанр: Историческая литература

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isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/32056

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СКАЧАТЬ ma vie. A partir de ce jour, j'embrassai l'état de mon père, je fus musicien ambulant. J'allais sur les places publiques, dans les rues, sous les fenêtres surtout des gens que je connaissais pour n'avoir point le sentiment de la musique; je les obsédais avec mes mélodies sauvages, et ils me jetaient toujours quelque monnaie pour se débarrasser de moi. J'ai reçu ainsi bien de l'argent de M. le conseiller K***, de madame la baronne C***, du baron S***, et de vingt autres Midas habitués de l'Opéra italien. Un artiste viennois, avec qui je m'étais lié, m'avait fait connaître leur nom et leur demeure. Quant aux amateurs de musique de profession, ils m'écoutaient avec intérêt à l'exception de deux ou trois, il était rare cependant que l'idée leur vînt de me donner la moindre chose. Ma collecte principale se faisait le soir dans les cafés, parmi les étudiants et les artistes; et c'est ainsi, je crois vous l'avoir dit, que je fus témoin de la querelle excitée par une de vos compositions, et que le désir me vint d'aller entendre la Fée Mab. Quel drôle de morceau! J'ai depuis lors beaucoup fréquenté les bourgs et les villages répandus sur la route que vous suivez, et fait de nombreuses visites à cette belle Prague. Ah! Monsieur, voilà une ville musicale.

      – Vraiment?

      – Vous verrez. Mais cette vie errante fatigue à la longue; je pense quelquefois à mes deux bonnes amies, je me figure que j'aurais bien du plaisir à pardonner à Agathe, dût Annette me tromper à son tour. D'ailleurs, je gagne à peine de quoi vivre; ma harpe me ruine; ces maudites cordes qu'il faut sans cesse remplacer… à la plus légère pluie, ou elles se rompent, ou il leur vient dans le milieu une grosseur qui en altère le timbre et les rend sourdes et discordantes. Vous n'avez pas l'idée de ce que cela me coûte.

      – Ah! cher confrère, ne vous plaignez pas trop. Si vous saviez, dans les grands théâtres lyriques, combien de cordes plus chères que les vôtres, puisqu'il y en a de 60,000 et même de 100,000 fr., s'altèrent et se détruisent chaque jour, au grand désespoir des maîtres et des directeurs!.. Nous en avons d'une sonorité exquise et puissante qui périssent, comme les vôtres, par le plus léger accident. Un peu de chaleur, la moindre humidité, un rien, et l'on voit paraître la maudite grosseur dont vous parlez, qui en détruit la justesse et le charme! Que de beaux ouvrages inexécutables alors! que d'intérêts compromis! Les directeurs éperdus prennent la poste, courant à Naples, ce pays des bonnes cordes, mais trop souvent en vain. Il faut bien du temps et beaucoup de bonheur pour arriver à remplacer une chanterelle de premier ordre!

      – C'est possible, Monsieur; mais vos désastres me consolent mal de mes misères; et, pour sortir de la gêne où je suis, je viens de m'arrêter à un projet que vous approuverez sans doute. J'ai acquis depuis deux ans une véritable habileté sur mon instrument, je puis maintenant me produire d'une façon sérieuse, et je ferais, je pense, de bonnes affaires en allant donner des concerts dans les grandes villes de France et à Paris.

      – A Paris! des concerts en France! ah! ah! ah! Laissez-moi rire à mon tour. Ah! ah! le drôle d'homme! Ce n'est pas pour me moquer de vous! ah! ah! ah! mais c'est involontaire, comme le rire bienheureux que vous a occasionné mon scherzo!

      – Pardon, qu'ai-je donc dit de si plaisant?

      – Vous m'avez dit, ah! ah! ah! que vous comptiez vous enrichir en France en y donnant des concerts. Ah! voilà bien une idée styrienne. Allons, c'est à moi de parler maintenant, écoutez: En France d'abord… attendez un peu, je suis tout essoufflé; en France, quiconque donne un concert est frappé par la loi d'un impôt. Saviez-vous cela?

      – Sacrement!

      – Il y a des gens dont l'état est de percevoir (c'est-à-dire de prendre) le huitième de la recette brute de tous les concerts, et la latitude même leur est laissée d'en prendre le quart si cela leur convient… Ainsi, vous venez à Paris, vous organisez à vos risques et périls une soirée ou une matinée musicale; vous avez à payer la salle, l'éclairage, le chauffage, les affiches, le copiste, les musiciens. Comme vous n'êtes pas connu, vous devez vous estimer heureux de faire 800 fr. de recette; vous avez, au minimum, 600 fr. de frais; il devrait vous rester 200 fr. de bénéfice; pourtant il ne vous restera rien. Le percepteur s'arrange de vos 200 fr. que la loi lui donne, les empoche et vous salue; car il est très-poli. Si, comme cela est plus probable, vous ne faites que tout juste les 600 fr. nécessaires pour les frais, le percepteur n'en perçoit pas moins son huitième sur cette somme, et vous êtes de cette façon puni d'une amende de 75 fr. pour avoir eu l'insolence de vouloir vous faire connaître à Paris et de prétendre y vivre honnêtement du produit de votre talent.

      – Ce n'est pas possible!

      – Non, certes, ce n'est pas possible; mais cela est. Encore ma politesse seule suppose-t-elle pour vous des recettes de 800 et de 600 fr. Inconnu, pauvre et harpiste, vous n'auriez pas vingt auditeurs. Voilà la vérité vraie. Les plus grands, les plus célèbres virtuoses, ont eux-mêmes, d'ailleurs, éprouvé en France les effets du caprice et de l'indifférence du public. On m'a montré au foyer du théâtre, à Marseille, une glace que Paganini brisa de colère, en trouvant la salle vide à l'un de ses concerts.

      – Paganini!

      – Paganini. Il faisait peut-être trop chaud ce jour-là. Car il faut vous apprendre ceci: dans notre pays, il y a telles circonstances que le génie même le plus extraordinaire en musique, le plus foudroyant, le plus incontesté, ne saurait combattre avec succès. Ni à Paris ni dans les provinces, le public n'aime assez la musique pour braver, dans le seul but d'en entendre, la chaleur, la pluie, la neige, pour retarder ou avancer de quelques minutes l'heure de ses repas; il ne va à l'Opéra et au concert que s'il peut s'y rendre sans peine, sans dérangement quelconque, sans trop de dépense, bien entendu, et s'il n'a absolument rien de mieux à faire. On ne trouverait pas un individu sur mille, j'en ai la ferme conviction, qui consentît à aller entendre le plus étonnant virtuose, le chef-d'œuvre le plus rare, s'il était obligé de l'écouter seul dans une salle non éclairée. Il n'y en a pas un sur mille qui, prêt à faire à un artiste une politesse qui lui coûtera 50 fr., veuille en payer 25 pour entendre quelque prodige de l'art, à moins que la mode ne l'y oblige; car les chefs-d'œuvre même sont quelquefois à la mode. On ne sacrifie à la musique ni un dîner, ni un bal, ni une simple promenade, bien moins encore une course de chevaux ou une séance de cour d'assises. On va voir un opéra s'il est nouveau et s'il est exécuté par la diva ou le ténor en vogue: on va au concert s'il y a quelque intérêt de curiosité tel que celui d'une rivalité, d'un combat public entre deux virtuoses célèbres. Il ne s'agit pas d'admirer leur talent, mais de savoir lequel des deux sera vaincu; c'est une autre espèce de course au clocher ou de boxe à armes courtoises. On va dans un théâtre s'ennuyer pendant quatre heures, ou dans une salle de concerts classiques jouer la plus fatigante comédie d'enthousiasme, parce qu'il est de bon ton d'avoir là sa loge, que les places y sont fort recherchées. On va à certaines premières représentations surtout, on paie même alors sans hésiter un prix exorbitant, si le directeur ou les auteurs jouent ce soir-là une de ces parties terribles qui décident de leur fortune ou de leur avenir. Alors l'intérêt est immense; on se soucie peu d'étudier l'ouvrage nouveau, d'y chercher des beautés et d'en jouir; on veut savoir s'il tombera ou non; et selon que la chance lui sera favorable ou contraire, selon que le mouvement sera imprimé dans un sens ou dans un autre par une de ces causes occultes et inexplicables que le moindre incident peut faire naître en pareil cas, on va pour prendre noblement le parti du plus fort, pour écraser le vaincu si l'ouvrage est condamné, ou pour porter l'auteur en triomphe s'il réussit; sans avoir pour cela compris la moindre parcelle de l'œuvre. Oh! alors, qu'il fasse chaud ou froid, qu'il vente, qu'il en coûte cent francs ou cent sous, il faut voir cela; c'est une bataille! c'est souvent même une exécution. En France, mon cher, il faut entraîner le public comme on entraîne les chevaux de course; c'est un art spécial. Il y a des artistes entraînants qui n'y parviendront jamais, et d'autres, d'une plate médiocrité, qui sont d'irrésistibles entraîneurs. Heureux ceux qui possèdent à la fois ces deux rares qualités! Et encore les plus prodigieux sous ce rapport rencontrent-ils СКАЧАТЬ