Название: En torno a la economía mediterránea medieval
Автор: AAVV
Издательство: Bookwire
Жанр: Документальная литература
isbn: 9788491346647
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En fait, ces multiples arts vénitiens ne regroupaient ni des «gras», qui ici s’intéressaient à la marchandise, ni des «menus», mais toute une population d’état souvent intermédiaire. En l’absence de données chiffrées sur les prix et salaires, l’analyse socio-économique tourne évidemment vite court. Mais la tutelle de l’Etat avait aussi, peut-on supposer, des contreparties positives qui expliquent la docilité de ce groupe et sa collaboration, avec le temps, plus efficace à la richesse vénitienne. Toutes les études soulignent, en effet, l’absence de tensions fortes entre marchands et producteurs et l’importance des arts dans le tissu social. L’examen de la vie dans les contrade confirme ces réalités et montre les solidarités cristallisées par le métier et la confrérie, même si les relations sociales dépassaient ce seul cadre pour se nouer en des réseaux plus complexes.5 Sous l’autorité des officiers publics, et de leurs chefs qu’ils élisaient, les arts fonctionnaient donc soumis, comme partout, à des obligations et à une réglementation professionnelle prolixe, mais très protégés aussi. Les statuts, en limitant par exemple le nombre des apprentis, veillaient, pour préserver les équilibres internes à la branche, à ce que les unités productives demeurassent de taille modeste. Ou bien, il était concédé aux corporations, pour échapper à la loi des marchands, d’acheter en gros les matières premières indispensables.6 Ou encore, et l’exemple de l’industrie du verre nous servira à illustrer ces efforts réglementaires, une politique attentive s’attachait à protéger, de l’imitation de la concurrence étrangère, les procédés locaux.7
Les conditions des milliers d’hommes, et de femmes, qui formaient les métiers vénitiens, n’étaient pas uniformes, à l’image des corps multiples qui les regroupaient.8 Et les plus pauvres d’entre eux partageaient, à lire les listes de locataires, le quotidien des ouvriers non qualifiés, de ces travailleurs nombreux que requérait l’économie du temps. Outre le prolétariat des rameurs et des débardeurs qui œuvraient sur le port et au marché, cette autre catégorie comprenait les sottoposti des industries, ceux qui accomplissaient les tâches préparatoires dans la soie et la laine. Mais il faut y ranger aussi les milliers de domestiques de cet univers urbain.9
Parmi ces travailleurs, les étrangers et les forains étaient nombreux. Les voies de l’intégration n’étaient pas fermées à Venise et les brèches que les épidémies de peste creusaient dans la population favorisaient l’assimilation des nouveaux venus. Les patronymes continuaient alors simplement à marquer l’origine lombarde, albanaise ou dalmate de celui qui tenait boutique dans une paroisse ou qui occupait un emploi auprès d’un des offices publics. Les derniers arrivés fournissaient toutefois plutôt leurs bras aux besognes non qualifiées. On peut évoquer la forte empreinte balkanique du sestier de Castello,10 ou les foyers d’ouvriers allemands dans le quartier de la laine. Il faut encore signaler aux marges de Venise ces immigrés récents, venus de la campagne ou de la montagne, installés avec d’autres pauvres dans ces zones où la ville se perdait dans l’eau et où les habitations modestes s’élevaient au milieu des terrains vagues et des cultures maraîchères, entre des baraques, des ateliers, des entrepôts. Dix ou vingt ans plus tard, ces Brescians, ces Frioulans avaient souvent abandonné ces quartiers incertains pour une paroisse plus centrale et une installation moins sommaire et, à la périphérie, d’autres arrivants, attirés par le mirage de la métropole, les remplaçaient.11
D’autres enfin, qui n’avaient pas accompli volontairement le voyage vers Venise, venaient grossir le monde des petites gens et les rangs du service domestique: c’étaient ces esclaves que les sources éclairent, employés auprès des nobles, des citoyens, des artisans. Dans leur écrasante majorité, il s’agissait de femmes. Les esclaves comptèrent tôt parmi les marchandises du commerce lagunaire. Revendus à travers le monde méditerranéen, ils étaient aussi acheminés jusqu’à Rialto où Vénitiens et Italiens les achetaient. Le monde slave constitua, pour ce trafic, un premier et proche réservoir et, en dépit de sa christianisation, il continua longtemps à proposer des captifs. On sait que plus tard se tenait à Candie un florissant marché d’esclaves où se fournissaient les marchands vénitiens. A destination de la métropole, ou d’autres marchés méditerranéens, la traite était donc florissante. Mais cet asservissement de chrétiens, même schismatiques, suscita progressivement des réticences de plus en plus nombreuses.
Dès lors, il revint aux comptoirs de la mer Noire d’alimenter ce commerce. Dans ces ports, reliés aux actifs et anciens marchés de l’intérieur, les Italiens s’approvisionnaient sans difficultés. Et les Vénitiens, depuis La Tana, Trébizonde, mais Constantinople aussi, conduisaient les hommes en Egypte, à Alexandrie, où ils étaient revendus, tandis que les femmes, Russes, Circassiennes, Tartares, poursuivaient jusqu’à Rialto. On les y achètait pour quarante ou cinquante ducats.12 Les bouleversements des dernières décennies du XVe siècle ruinèrent cette traite et des esclaves noirs, captifs plutôt que captives, commencèrent à arriver à Venise.13 Ce phénomène, dont rend compte la peinture vénitienne, je pense au Miracle du Bois de la Vraie Croix de Carpaccio ou au Miracle de la Croix de Gentile Bellini, demeura cependant limité au regard du commerce qu’organisaient les Portugais puis les Espagnols.
A Venise, les esclaves masculins étaient donc rares. Interdits dans l’enceinte de l’Arsenal, présents auprès de quelques artisans, on les retrouvait plutôt dans la suite des nobles, employés à les servir, à les escorter ou à les mener en gondole. La main d’œuvre servile, principalement féminine, était surtout utilisée à la maison. Peu d’informations filtrent toutefois des sources. Des contrats négocient ventes ou reventes. Les testaments, quand ils signalent un petit legs, éclairent brièvement ces femmes nombreuses, que les hommes de la maison ont parfois engrossées. Quelques procès citent, de même, ces étrangères dont on craignait les philtres ou les manigances et renvoient aux drames, aux jalousies que l’«ennemie domestique» pouvait provoquer dans ces larges maisonnées.14 Étudiant l’esclavage, on ne rassemble en somme que de menus faits, les ombres légères de quelques vies. Il reste que les affranchissements existaient, surtout à la mort du propriétaire, et que le statut servile n’était pas transmissible. Le «stock» d’esclaves devait donc être constamment renouvelé. Quant aux esclaves libérés et aux enfants d’esclaves, ils se fondaient dans la masse des populaires et seuls parfois leurs noms, empruntés à ceux de leurs anciens maîtres, permettaient de les identifier.
C’est cette image qui peut être proposée du monde du labeur vénitien, bien qu’elle soit assurément incomplète. Les sources manquent en effet, est-il besoin de le préciser, pour mieux déterminer les hiérarchies et les clivages, pour donner vie à ces acteurs d’une chronique économique qui a longtemps semblé comme sans grand relief au regard de l’aventure maritime.
Examinons maintenant les activités et les productions
Dans cette agglomération qui compta plus de 100.000 habitants et où le niveau de vie des dominants était СКАЧАТЬ