Название: En torno a la economía mediterránea medieval
Автор: AAVV
Издательство: Bookwire
Жанр: Документальная литература
isbn: 9788491346647
isbn:
A l’exemple de la laine, d’autres secteurs, traditionnellement jugés comme subsidiaires dans l’économie de la métropole marchande, ont à leur tour suscité des réexamens attentifs.
Et, d’abord, l’industrie du verre. Longtemps, elle parut aux historiens une curiosité locale qu’ils examinaient, à l’égal de ces visiteurs étrangers qui, suivant les étapes d’un tour obligé, se faisaient conduire à Murano pour y admirer les fragiles productions sorties des fours. Il y avait là une autre étrangeté vénitienne, dûment signalée dans les récits de voyages ou les histoires de la ville au titre des merveilles de Venise. Dès le XVe siècle, la mention de «Murano où l’on fait le verre» est devenue dans les descriptions un véritable lieu commun.26
Depuis la fin du XIIIe siècle, la fabrication du verre a été en effet installée en dehors de l’agglomération, sur les très proches îlots de Murano. En 1291, le Grand Conseil ordonne la destruction de tous les fours de l’art du verre situés dans la cité; mais la construction en demeure autorisée, voire encouragée, dans le district. Cette mesure faisait d’ailleurs probablement suite à des décrets antérieurs, aujourd’hui perdus. Car la présence de verriers à Murano est attestée plus tôt. Dans le cadre des mesures générales, que la Commune prend alors pour lutter contre l’incendie, les fours sont déplacés. Et la prescription publique est suivie d’effets: patrons des fours et ouvriers migrent vers Murano et transforment ces îlots en un faubourg industriel.
Je ne retracerai pas ici sa croissance.27 On retiendra seulement que le verre, dans ses créations nobles ou plus courantes, se diffuse à un rythme soutenu. On sait que la fenêtre vitrée est assez largement attestée dans Venise dès le XIVe siècle. Puis, au XVe siècle, les inventaires des boutiques, tel celui qu’on établit en 1496 à la mort du prestigieux maître Barovier, conservent le souvenir d’objets raffinés et coûteux, vendus sur le marché local et international: chandeliers, chapelets, coupes émaillées, vases précieux et dorés. C’est cependant la production de masse de brocs, de carafes, de récipients divers qui alimente plus largement le commerce. Les actes qui, par pages entières, énumèrent les autorisations d’exporter, rendent compte de ces flux de marchandises qui, depuis les fours, partent vers la Terre Ferme, l’Allemagne, l’Istrie, la Dalmatie… Tout est mis en œuvre pour assurer la conservation et l’augmentation d’un «métier de grande commodité et utile à notre cité».
Au début du XVIe siècle, Murano abrite, avec son industrie concentrée et novatrice, une des branches les plus actives et les plus prestigieuses du centre industriel vénitien. La liste est longue en effet, une fois encore, des spécialités qui sortent des ateliers lagunaires, des perles de verre pour les chapelets, aux miroirs et aux lunettes même si l’invention n’en revient pas aux Vénitiens. Et puis, dans la seconde moitié du XVe siècle, les progrès dans la fabrication du cristal ont été décisifs et ils révolutionnent, par exemple, l’industrie du miroir. De la sorte, pour un long siècle, et malgré une concurrence italienne et européenne acharnée à copier les verres de Venise et à débaucher des ouvriers, les verreries de Murano dominent le marché international.
Il exista donc bien des savoir-faire vénitiens et le cadre coercitif mis en place montre comment le pouvoir tenta, très tôt, de les protéger. Les statuts des verriers, rédigés en 1271, interdisaient l’exercice du métier à tous ceux qui n’auraient pas été régulièrement immatriculés à l’art. Les décisions postérieures aggravent ce contrôle de la main d’œuvre. Il est désormais interdit à tout verrier de quitter le territoire du duché et les amendes prévues gonflent vite, à mesure que ce problème de l’émigration et de la divulgation des procédés de fabrication devient déterminant pour l’autorité publique. L’autorité publique use donc tour à tour de la menace et de la clémence, punit puis pardonne afin d’inviter les contrevenants à regagner la lagune. Cette suite d’interdictions, que viennent tempérer des assouplissements temporaires, informe, au moins partiellement, sur la situation du marché du travail.28 Mais il s’agit surtout de sauvegarder les secrets. Dès 1295, le Grand Conseil déplorait la diffusion, au détriment de Venise, de certains procédés techniques, notant que «les fours s’étaient multipliés à Trévise, à Vicence, à Padoue, à Mantoue, à Ferrare, à Ancône et Bologne».
Le même espoir d’un impossible monopole explique que l’exportation de tous les produits nécessaires à la fabrication demeure prohibée. Toutefois les habituelles affaires de contrebande montrent que cette interdiction était tournée. Enfin, vient une ultime mesure destinée à boucler le dispositif: interdiction est faite à tous ceux qui ne seraient pas Muranesi ou Venitiani de devenir verrier.29 Mais des difficultés d’application viennent à l’occasion moduler les excès de ce malthusianisme. Le Sénat avait, à la fin du XVe siècle, tenté de restreindre l’embauche aux seuls insulaires, les Vénitiens n’étant employés qu’en cas d’extrême nécessité. En 1501, les besoins de l’industrie imposent le retour à la flexibilité: lorsque les ouvriers manquent, les maîtres peuvent engager des hommes dans tout le duché.30 Il n’empêche que tout est fait pour combattre la concurrence. La production locale est stimulée, les secrets sont préservés; quant à la maîtrise des techniques, elle se voit limitée à une élite de Murano, de Venise, ou au moins du duché.
Grâce à cette expertise, et jusqu’à ce que d’autres que les Vénitiens s’en rendent maîtres à leur tour, toute une gamme de produits est appréciée et exportée. Et il en va pour les soies comme pour le verre et le cristal.
Dès les années 1450, les soieries vénitiennes, simples ou façonnées, sont vendues dans toute l’Europe mais au Levant aussi. Les étoffes unies forment le gros de la production, au coût relativement limité. Mais des tissus beaucoup plus riches et plus coûteux sont également tissés: damas, lampas, satins brochés, velours d’or, dont les fameux riccio sopra riccio, boucle sur boucle… Ce sont ces damas et ces velours cramoisis, paonazo, polychromes ou d’or, qui partent pour Constantinople, montrant comment les flux des échanges se sont, depuis Marco Polo, inversés. Sans doute faut-il compter au nombre des atouts vénitiens les facilités d’approvisionnement en soie grège et en matières tinctoriales dont le port disposait; sans doute faut-il rappeler aussi les liens traditionnels de la cité avec l’Orient. Les motifs orientaux inspirèrent d’ailleurs longtemps les décors occidentaux avant que les dessinateurs locaux, avec lesquels pouvaient collaborer des peintres de première importance, ne créent un style propre aux principales cités soyeuses italiennes.31
Il reste que l’arrivée des soyeux lucquois eut, au début du XIVe siècle, une influence déterminante pour la production vénitienne, déjà organisée mais modeste. Lucques s’était affirmée, au XIIIe siècle, comme le centre principal de la soierie italienne mais la ville connut des troubles politiques récurrents, responsables de flux migratoires. Venise accueille donc, entre 1307 et 1320, ouvriers et marchands en provenance de cette cité et facilite même leur installation.32 Dès lors, СКАЧАТЬ