Les Nuits chaudes du Cap français. Rebell Hugues
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Название: Les Nuits chaudes du Cap français

Автор: Rebell Hugues

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066081393

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СКАЧАТЬ face collée contre son lit. Lorsque j'essayais de l'attirer, elle me repoussait avec violence.

      L'écrirai-je? Au milieu des larmes qui donnaient à son teint plus de lustre et de chaleur, elle était si belle, que je m'en voulais de mes propositions, tout en bénissant le chagrin qui me l'avait découverte. Je la regardais: elle était déjà femme par les proportions de son corps, et pourtant elle conservait dans son visage gras, où les traits se dessinaient à peine, le charme d'enveloppement et la splendeur pulpeuse de l'enfance. La chair, dans sa blanche nudité ou sous les plis de la chemise, formait des courbes audacieuses, ou s'effaçait en des lignes d'une mollesse et d'une modestie adorables. Pour moi je ne me rassasiais pas de contempler cet épanouissement vaste, ni ces flexibles souplesses.

      Alors j'ai ressenti ce que je n'avais jamais éprouvé pour elle, pour personne. Je l'ai vraiment aimée comme ma fille, avec une tendresse jalouse qui ne souffre point de partage. Montouroy m'a paru absurde, et mon désir de l'unir à cette enfant, plus absurde encore. Je me suis dit qu'il fallait garder pour moi des grâces si précieuses. Ne serait-ce pas un sacrilège de confier cette enfant naïve, délicate, à un homme que je connais en réalité si mal. Car enfin, qu'il soit mon parent, que je le croie un honnête garçon, je n'en ignore pas moins son véritable caractère. Les hommes savent si bien se déguiser jusqu'au mariage! Je suis sûre seulement que c'est un brutal. Il suffit, pour s'en convaincre, de l'entendre marcher, de le voir prendre un objet quelconque avec ses grosses mains. Mon flair de femme ne s'y trompe pas. Et j'allais lui confier Antoinette! Ne serait-elle pas infiniment malheureuse avec lui? D'ailleurs ne serait-elle pas malheureuse avec tout homme! Elle est si jeune; elle n'est pas en âge d'être sacrifiée.

      Quelle plénitude de joie je ressens à la pensée que nous pourrons sans doute vivre ensemble, confondre nos existences et qu'ainsi une partie du mal que je lui ai fait autrefois sera réparé, puisque mon bien sera son bien, qu'elle vivra de sa, de ma fortune, comme je vivrai de son plaisir.

      Dites, mon Dieu! que vous le permettez!

      Elle pleurait toujours. Je me suis agenouillée sur son lit, courbée vers elle, et effleurant son visage dans un baiser:

      —Chère petite sotte, lui ai-je dit, croyez-vous que je parlais sérieusement? C'était une épreuve, voilà tout. Je voulais voir si vous teniez un peu à moi ou si vous désiriez quitter la maison.

      —Oh! madame.

      —Vous m'aimez donc un peu?

      —Oh oui! Et vrai, vous ne me chasserez pas d'ici?

      —Chère mignonne, Madame Gourgueil n'a pas l'habitude de faire du mal à personne et moins encore à celles qu'elle aime.

      —Je vous suis à charge, je le sens bien, allez, madame. Si je pouvais vous aider en quoi que ce soit. Je me trouve si inutile. Et puis je suis paresseuse!

      —Vous n'avez pas besoin de vous inquiéter. Vous n'avez qu'à rester près de moi. Votre présence suffit à me rendre heureuse. J'ai tant aimé votre pauvre mère, ma chère mignonne. Vous me la rappelez; puis vous me faites oublier la grande douleur de ma vie: l'enfant que Dieu n'a pas voulu me donner et que vous remplacez.

      Ses larmes coulaient plus abondantes, mais à présent c'était la joie qui l'attendrissait ainsi. Avec quelles délices l'ai-je serrée dans mes bras! J'étais aussi surprise qu'elle-même; la tranquillité d'âme que je cherchais ne m'était pas venue, mais une passion inattendue, dominatrice, qui effaçait tous les soucis, et qui se répandait en moi brûlante, savoureuse comme un vin de fruits et de piments.

      Comment ai-je pu vivre près d'elle et l'ignorer jusqu'aujourd'hui!

      Je l'étreignis et je la baisai. La chérie me mit toute son âme fraîche sur les lèvres, et je sentis ses larmes comme une rosée matinale humecter mes joues; puis, voulant la laisser reposer, je regagnai doucement mon lit.

      J'étais à peine couchée que Zinga a paru devant mon lit, riant de ses dents fines et de ses grosses lèvres entr'ouvertes qui me donnent à la fois l'idée d'un fruit suave et d'une gueule venimeuse. Son être est fait de contrastes. D'allures légères et de pieds lourds, gracieuse de traits, mais effrayante par l'expression de sa physionomie, cette jeune noire respire un vice naïf, une haine caressante qui me remplit d'horreur. Dire que je pensais oublier le passé, refaire mon existence, ne rien laisser subsister en moi de la femme d'autrefois!... et la seule vue de cette fille moqueuse me rappelle mes fautes,—mes crimes, hélas! Ah! si je pouvais la vendre! Mais elle sait bien que cela n'est pas possible! elle me dénoncerait à ses nouveaux maîtres,—on ne la connaît pas, elle, et moi on me soupçonnerait; et puis il serait si facile de savoir tout ce que j'ai fait! Si je la tuais?... Peut-être. J'y songerai. Ce n'est qu'une esclave, après tout. Mais les mœurs deviennent si étranges à présent! Madame Du Plantier a eu des ennuis pour avoir châtié trop rudement son vieux Jeannot qui, pourtant, avait volé son argenterie. D'ailleurs cette fille, dont la présence m'est un continuel remords, dont le sourire m'épouvante, je ne sais quelle sorcellerie me lie à elle, me rend sa perversité délicieuse. Cependant je lui ai crié d'une voix rude:

      —Qui t'a appelée?

      —Maîtress, mo tandé-li. Pa domi. Mo çatouillé li? (Maîtresse, je t'ai entendue. Tu ne dormais pas. Veux-tu que je te chatouille?)

      Je l'ai vue agiter les longues ailes de perroquets dont elle vient me caresser le soir quand je ne dors pas.

      —Non, non, ai-je murmuré tout bas.

      Je ne voulais pas qu'elle me touchât ce soir.

      Mais soit qu'elle ne m'écoutât pas, soit qu'elle voulût agir à sa fantaisie, elle étendit mes jambes que je lui abandonnai, et son bouquet de plumes courut par tout mon corps, me causant une impression de fraîcheur voluptueuse. Elle connaît bien les faiblesses de ma chair et s'égaie à les flatter. Malgré moi, j'approchais mes seins aux caresses des plumes, ou je dénudais mon ventre, ou bien encore, retournée, le visage couvert de ma chevelure dénouée, honteuse à peine, je lui offrais tous les secrets de mon corps; et, sans fin, les ailes duveteuses, d'une touche lente, effleuraient ma peau, ou l'irritaient d'un coup brusque, pour la calmer presque aussitôt d'un baiser lascif et attardé aux creux, aux retraits frémissants de mon être. Elle choisissait comme à dessein les replis minces, qui ne défendent point contre le plaisir, les caches sombres et impures dont l'unique protection est le mystère. Elle y égarait ses plumes, elle y glissait les doigts, et tombant à genoux comme ivre, elle posait là tout à coup un baiser ardent qui répandait une glace dans mon sang enflammé, puis me soulevait et m'anéantissait de jouissance. Alors, les yeux sans lumière, brisée, prête désormais pour la douce mort du sommeil, je tendais désespérément les bras vers elle, afin de demander une grâce que je n'osais implorer de mes paroles. Mais, insensible ou impitoyable, elle éclatait de rire et continuait ses féroces dévotions.

      Enfin je m'arrachai au plaisir, je me redressai, et la repoussai, elle et son bouquet de plumes, de mes bras tendus.

      —Va-t'en! Va-t'en!

      Elle cessa ses jeux câlins, mais, sans pour cela, vouloir s'éloigner. Elle se tenait immobile devant moi, les mains aux hanches; je sentis qu'elle voulait et n'osait pas me parler.

      —Allons, qu'as-tu?

      —Maîtress, fit-elle, mo guen kichoz pou dili. (Maîtresse, j'ai quelque chose à te dire.)

      Mais elle hésita encore, bien que pourtant elle ne soit pas timide. Il fallut la presser. Mes yeux, mes gestes la décidèrent enfin.

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