Les Nuits chaudes du Cap français. Rebell Hugues
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Название: Les Nuits chaudes du Cap français

Автор: Rebell Hugues

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066081393

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СКАЧАТЬ est venu me voir! Et tu ne m'as pas prévenue?

      —No, Es, zot-oulé, diti, fé wé la démiselle? (Non, je ne t'ai pas prévenue. «Pourrai-je, dit-il, voir la demoiselle?»)

      —Comment! un inconnu a osé venir demander Antoinette! Ce n'était pas M. de Montouroy?

      —No, pas mouché Montouroy, oun bel. (Non, pas M. de Montouroy, un plus bel homme.)

      —Et tu ne l'as pas reçu au moins. Tu n'as rien dit à Antoinette?

      —No, lo ye rivé la kaz, diti. (Non, il reviendra à la maison, a-t-il dit.)

      —Eh bien, tu entends: s'il reparaît ici, tu m'avertiras. Je veux apprendre à vivre à cet insolent. Et puis, écoute encore: M. de Montouroy reviendra demain, eh bien, tu ne le recevras pas.

      —Mouché Montouroy! s'écria Zinga en feignant une profonde surprise.

      —Oui, M. de Montouroy. Il venait beaucoup trop de monde ici, j'y mets ordre. Allons, Zinga, retirez-vous à présent.

      Mais avec un empressement exagéré et comme une exubérance d'affection, Zinga s'est encore agenouillée devant mon lit et m'a couvert les mains de baisers. Puis, dénouant tout un côté de sa candale[1], elle m'a montré des pièces d'or.

      —Es zot-oulé vandé mo to lang. (Voudrais-tu me vendre ta langue?)

      Je ne pus me retenir de rire; alors Zinga, vivement choquée de ma gaîté, m'exposa très gravement son projet.

      —Savé li, savé cri ké to! (Je veux savoir lire, savoir écrire comme toi!)

      —Demain, lui dis-je en plaisantant, demain nous penserons à t'acheter une langue.

      Elle a noué de nouveau ses louis dans sa candale et est partie toute joyeuse, pleine de confiance, non sans m'avoir de nouveau baisé les mains.

      Savoir lire, savoir écrire, est-ce bien utile pour une esclave? Et pourquoi Zinga a-t-elle si grande envie de s'instruire? Est-ce pour m'adresser cette demande qu'elle est entrée chez moi? Est-ce pour m'avertir de cette visite, lorsque tout le jour elle me l'a laissée ignorer? Plus je songe à cette fille, plus je suis inquiète.

      J'ai bien pu subir ses caresses brutales, mais je la hais, je hais son sourire faux, je hais son odeur huileuse dont mon lit est encore tout imprégné. Ce soir une tache immonde souillait sa jupe, et cependant je l'ai laissée s'approcher de moi avec sa puanteur, sa saleté, et toute l'horreur secrète de son être, plus repoussante encore par ce que l'on devine que par ce que laisse voir son corps. Comment donc ai-je pu la trouver belle et quelle est aujourd'hui ma lâcheté, pour la craindre et ne pas oser, une bonne fois, l'éloigner à jamais!

      Il me semble que si elle n'était pas là, je retrouverais la paix, je me sentirais réconciliée avec Dieu, et l'innocence d'Antoinette me rendrait moi-même innocente ou du moins meilleure... La chère enfant! je tremble quand je songe que sa grâce l'expose à tant de séductions misérables... Que lui voulait aujourd'hui cet inconnu?

      Ce que j'ai surpris, ce qui m'est arrivé aujourd'hui, me remplit d'inquiétude. Je crains, en voulant être trop habile, d'avoir manqué de prudence. Il y a tant de corruption et de méchanceté dans cette société du Cap qu'il faut à chaque instant me défendre et défendre Antoinette. Le vice et l'envie nous entourent. La grâce d'une enfant et un peu de fortune, il n'en faut pas davantage pour irriter toutes les convoitises.

      Si Zinga voulait être silencieuse, mais elle est mariée! Je sais bien qu'elle me caresse peut-être avec plus de plaisir que son mari. C'est un commandeur si rude, par ses façons lourdes, son embonpoint embarrassant, sa face épaisse de mulâtre! Quand il n'effraie pas, il provoque au rire plus qu'à l'amour. Il ne paraît d'ailleurs pas moins brutal avec sa femme qu'avec ses esclaves. Je crois qu'il m'est dévoué, et pourtant ce matin, en entrant chez eux à une heure où ils ne m'attendaient point, j'ai surpris une singulière conversation. Ils me tournaient le dos et étaient si occupés de leur causerie qu'ils ne m'ont pas entendue.

      —Pourquoi trahis-tu les tiens? disait-il, pourquoi ne me montres-tu pas plus de confiance? Tu oublies qu'en obéissant à ce blanc, en lui remettant ce qu'il veut, ce qui t'est facile, tu sers ta race et tu t'enrichis avec moi.

      —Guen, Zami (ma richesse, c'est mon amour), a-t-elle répliqué.

      —C'est à moi que tu oses dire cela? s'est-il écrié en levant sa large paume.

      Elle a éclaté de rire.

      —Pa jwé! zami. Si li kré li pa bon pou a rien, mo ke tout fen mo fen, mo che, mo pran viand di mo voezen. (Ah! ah! tu prends ça pour une insulte. Tu ne crois donc pas avoir de quoi être aimé? Alors, si ça ne te gêne pas, il faut bien que j'en aime un autre.)

      —Cours donc, coquine, puisque tu as le diable au cul, mais je veux savoir si l'argent existe.

      —No savé. (Je ne sais pas.)

      —Tu le sais, et tu me le diras...

      J'ai eu tort d'interrompre cette dispute. J'aurais appris si Zinga a fait à son mari quelque confidence au sujet de Mme Lafon et de l'argent que j'ai chez moi. Mais que signifie cette phrase de mon commandeur: «Tu sais bien qu'en obéissant à ce blanc, en lui remettant ce qu'il veut...»? Quel est ce blanc? que veut-il? Zinga et son mari m'ont paru tous deux fort troublés à ma vue.

      Si alarmantes que soient pour moi ces paroles, divers tracas, cette après-midi, sont venus me les faire oublier, tracas qui sont dus, je crois bien, à la malveillance jalouse de deux amies. Je veux fixer tout cela dans ce journal, j'y réfléchirai ensuite plus aisément et j'aviserai mieux aux moyens de lutter contre mes ennemies secrètes et de protéger ma chère enfant.

      J'étais allée visiter avec Antoinette le moulin et la sucrerie. Nous ne ferons la grande récolte qu'après la Saint-Jean, mais nous voulions voir si le moulin fonctionnait bien, et je fis couper des cannes de repousse de l'année dernière, qui étaient déjà mûres. J'expliquais à Antoinette le système du moulin, comment les deux bras tirés par une paire de chevaux, mettent en branle l'arbre qui, à son tour, active le jeu des trois gros tambours entre lesquels les négresses font passer les cannes pleines, puis les bagaces.

      Mme de Létang arriva, en compagnie de l'abbé de la Pouyade, vêtus l'un et l'autre avec une élégance telle qu'on aurait dit qu'ils allaient en visite de cérémonie.

      Mme de Létang portait une robe de taffetas, chiné à raies vertes, bordée de blonde d'Alençon, relevée sur un jupon de taffetas rose, bordé également de dentelles; son fichu très ouvert et à peine noué par des ganses de soie roses laissait voir entièrement sa gorge. Une anglaise amadis, à grands pans, lui faisait une taille d'une finesse exagérée sur ses énormes paniers, une boucle de brillants fermait sa ceinture et une autre pareille retenait sur son chapeau jardinière une touffe de plumes blanches.

      Je sais qu'elle a de beaux yeux noirs quoique un peu bêtes, des dents petites et bien taillées, encore qu'elle les montre trop souvent; et, malgré une prétention insupportable, de la physionomie, un air langoureux qui plaisent; je sais aussi que Mme de Mauduit, qui l'a vue se baigner nue, dit qu'elle a le corps bien fait, mais Mme de Mauduit aurait-elle du goût et de la vue, et Mme de Létang serait-elle la plus belle des femmes, est-ce une raison, pour s'habiller de la sorte quand on va voir une amie et СКАЧАТЬ