Les Nuits chaudes du Cap français. Rebell Hugues
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Les Nuits chaudes du Cap français - Rebell Hugues страница 2

Название: Les Nuits chaudes du Cap français

Автор: Rebell Hugues

Издательство: Bookwire

Жанр: Языкознание

Серия:

isbn: 4064066081393

isbn:

СКАЧАТЬ la lettre, heurtant les meubles à jeter et à briser, les uns contre les autres, les sèvres fragiles et les riens charmants de biscuit et de cristal, dont était remplie cette chambre féminine.

      Mais Thérésia, toute joyeuse d'avoir ainsi chauffé au point voulu la colère de Tallien, se mettait à appeler sa femme de chambre:

      —Frénelle! Frénelle!

      C'était le secrétaire, l'agent secret, l'auxiliaire de Thérésia; d'ailleurs, comme sa maîtresse, jeune et jolie.

      Elle accourut, riant déjà, le nez au vent, flairant quelque aventure.

      —Frénelle, regardez la colère de mon mari, pour une misérable lettre que je viens de lui montrer! Voilà comment il encourage ma confiance!

      —Oh! citoyen, s'écria Frénelle, essayant de prendre un air contristé, pouvez-vous gronder une femme si excellente, si dévouée!

      Et comme le regard de Tallien, radouci mais défiant, allait de la maîtresse à la servante:

      —Allons! embrassez-vous, et que ça finisse!

      Thérésia, vautrée sur le lit, à demi riante et à demi boudeuse, voyait Tallien hésiter, glissait, se haussait vers lui, souple et massive, et d'une bouche chaude, molle, agrandie, lui buvait un baiser.

      —Ne recommence plus, disait Tallien, ça fait trop de mal!

      —Mes caresses?

      —Non, ces lettres...

      —Mais ce n'est pourtant pas ma faute si on m'écrit, répliquait Thérésia de cette voix claire des Espagnoles du nord, résonnante comme un roulement de tambour.

      Thérésia ne cachait guère son existence. Sauf les grâces accordées aux suspects qu'il fallait naturellement tenir secrètes si on ne voulait pas risquer sa fortune et plus encore, elle ne laissait rien ignorer de son ménage avec Tallien, de ses amours passées et de ses amoureux du moment. Sa cour d'admirateurs aussi bien que ses domestiques se chargeaient de colporter, avec les menus faits de sa maison, les médisances qui se succédaient sur ses lèvres. L'aventure de la lettre fut bientôt la fable de la ville.

      Cet amant méprisé se nommait Dubousquens. C'était un des plus riches négociants de Bordeaux, bel homme avec cela, jeune encore, ayant ces façons élégantes, autoritaires et affables du haut commerce bordelais qui était autrefois une véritable aristocratie. Il passait pour un homme habile en affaires, assez fin dans la conduite de sa vie; et, bien que ce ne fût pas son métier d'écrire des billets doux, on s'étonnait qu'il eût en cette occasion montré tant de maladresse. Il fallait que Thérésia lui eût tourné la tête. D'ordinaire il observait une réserve extrême; et, en dehors des affaires et des réceptions obligées, son existence s'écoulait presque mystérieuse au fond de son hôtel de la rue Sainte-Catherine.

      Il est vrai qu'il n'avait pas toujours ainsi vécu. On l'avait connu gai, d'une prodigalité extravagante, affichant son luxe et ses débauches. Il entretenait alors une comédienne à la mode, et c'est pour elle qu'il avait fait bâtir ce fastueux hôtel de la Porte du Palais, où il ne l'installa point, car les amants se brouillèrent avant qu'il ne fût achevé. Après la rupture, Dubousquens était parti pour Saint-Domingue, d'où arriva un beau jour cette nouvelle: «Dubousquens se marie! Dubousquens se marie!»

      Ces épousailles étaient au moins aussi inattendues que la déclaration à Thérésia de Fontenay.

      On annonça son retour, et déjà la curiosité provinciale s'éveillait, essayant d'imaginer les qualités et les défauts de Mme Dubousquens; déjà on préparait vœux et compliments, bals et festins, quand on vit le négociant revenir seul. Il apparut accablé, presque méconnaissable de visage et d'humeur.

      Des bruits étranges se répandirent. Sa fiancée était morte, assassinée, disait-on, par une femme.

      Dubousquens ne revenait pourtant pas seul ainsi qu'il l'avait laissé soupçonner. Parmi ses domestiques il ramenait une jeune fille noire, trop belle pour n'être qu'une servante. Elle semblait réunir en sa personne comme la séduction de deux races. Elle avait les traits fins, les cheveux souples et soyeux, les formes élancées, je ne sais quelle grâce légère, tout européenne; et aussi de ces grands yeux vagues qui s'endorment ou s'illuminent sans qu'on devine pourquoi; une vie tour à tour somnolente et furieuse, mais ne se trahissant que par l'ardeur des gestes, le mouvement d'un sein qui s'offre, d'une croupe qui ondule, des bonds d'animal lubrique. C'est du moins ce qu'avaient rapporté les rares personnes qui l'avaient entrevue sur le navire, ou, en passant, par une fenêtre entr'ouverte. On ne pouvait l'approcher davantage. Dès son arrivée à Bordeaux, Dubousquens l'avait pour ainsi dire cloîtrée dans son hôtel de la Porte du Palais, dont les vastes jardins étaient défendus de toute curiosité par d'épais ombrages. Deux vieux domestiques anglais, et ne connaissant que leur langue natale, tout dévoués à leur maître, devaient la servir et la garder. Si tranquille et peu fréquentée que fût la rue où donnait l'hôtel, il n'était point permis à la jeune noire de s'y montrer. Pourtant, quelquefois, elle apparaissait un instant au balcon. On ne l'avait jamais surprise à causer, ni même à dire un seul mot à personne, mais elle lançait de temps à autre aux ciels du soir de ces courtes et dolentes mélopées africaines, qui semblent, plutôt qu'un chant développé, un soupir d'exil, un appel aux grandes forêts de ténèbres, à la mer endormeuse de là-bas.

      Chaque mois, Dubousquens, laissant le soin de ses affaires à son premier commis Jumilhac, feignait de s'absenter de Bordeaux quelques jours. Il allait simplement s'enfermer dans son hôtel de la Porte du Palais. Il n'y recevait personne. Jumilhac lui-même, que seul on avait mis dans le secret, avait défense, sous quelque prétexte que ce fût, de venir l'y chercher.

      Dans la ville, Dubousquens était aimé du peuple, auquel il faisait de larges aumônes; envié des riches, à cause de sa grande fortune. On ne manquait pas de commenter cette retraite et d'essayer d'en soulever le voile. «Pauvre homme! disait-on, avec plus ou moins de pitié et de raillerie, il a été si malheureux, il tente de se consoler.—Il se vengerait plutôt, répliquaient les autres. Le négociant n'est peut-être point l'homme paisible qu'il veut paraître.»

      Et l'on racontait qu'il s'élevait souvent, de la maison mystérieuse, les lamentations, des hurlements sauvages. Quelqu'un disait avoir assisté, à la faveur des fenêtres ouvertes, à une horrible scène. Dubousquens frappait de toute sa force la jeune noire. On entendait au milieu des sanglots, des coups sourds sur les os ou des claques retentissantes sur la chair nue, la voix furieuse du maître: «Ah! parle donc de tes caresses! toutes tes caresses abominables ne valent pas un seul de ses sourires. Tiens, donne-moi tes mains, tes mains criminelles, que je les frappe encore! Vois-tu, je devrais te tuer comme tu l'as tuée, exécrable fille!... Est-ce que tu pouvais te comparer, brute obscène, à celle qui était l'Amour!» Le témoin s'était enfui, épouvanté de ces imprécations insensées, puis, ramené par la curiosité, il avait vu Dubousquens subitement calmé, gémissant auprès de sa victime, lui disant d'une voix entrecoupée: «Laisse-moi baiser ton épaule, elle s'y appuyait comme cela, t'en souviens-tu? Te rappelles-tu aussi, le jour où elle s'est endormie contre toi?» Puis il haussait la voix comme si la colère le dominait encore: «Ingrate! Ingrate! Elle qui t'aimait tant! As-tu connu maîtresse si clémente!»

      On prétendait qu'entre le négociant et la jeune noire, il existait quelque sorcellerie diabolique et comme un pacte exécrable de luxure. Depuis plus de cinq ans, ils étaient ainsi enchaînés l'un à l'autre.

      Tous ces bruits vinrent aux oreilles de Thérésia de Fontenay qui s'amusa fort d'avoir pour adorateur «l'homme СКАЧАТЬ