Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 5. Charles Athanase Walckenaer
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СКАЧАТЬ au château de Grignan, écrivait à Bussy: «Je me console de ne point vous voir à Bourbilly, puisque je vous verrai à Paris141,» elle croyait déjà son cousin dans la capitale. Il n'y arriva que le 16 septembre, et ce ne fut que lorsqu'il se trouvait menacé de ne pouvoir plus y rester qu'il répondit à cette lettre.

      Voici cette réponse, un peu énigmatique:

      «Paris, ce 10 octobre 1673.

      «Je viens de demander au roi plus de temps qu'il ne m'avait accordé pour faire ici mes affaires. Je crois qu'il m'en accordera. Je suis d'accord avec vous, madame, que la fortune est bien folle; et j'ai pris mon parti sur ce que sa persécution durera toute ma vie. Les grands chagrins même ne sont pas sus; et, comme je vous ai déjà mandé, ma raison m'a rendu fort tranquille. Faites comme moi, madame. Il vous est bien plus aisé, car le secret de vos peines est fort au-dessous du mien142

      On s'aperçoit facilement, d'après le ton et le ralentissement de leur correspondance, que l'amitié qui existait autrefois entre Bussy et sa cousine n'était plus la même. La susceptibilité orgueilleuse, le caractère vindicatif et l'immoralité de Bussy avaient considérablement refroidi cette chaleur de cœur que madame de Sévigné avait éprouvée pour son cousin. Les années seules l'auraient guérie d'une inclination qui, dans son jeune âge, n'avait pas été sans péril. Intimement liée avec tous ceux auxquels Bussy avait déplu et qui, ainsi qu'elle, brillaient à la cour et dans les hautes sphères de la société, madame de Sévigné devait souvent entendre des railleries sur ce courtisan émérite et disgracié, vivant solitairement en province, et qui dans ses manières, ses discours, ses écrits voulait toujours paraître le type parfait du gentilhomme, du guerrier, du bel esprit et de l'honnête homme, c'est-à-dire de l'homme à bonnes fortunes. Madame de Sévigné avait trop d'usage et de discernement pour ne pas s'apercevoir des ridicules de Bussy; et dans plusieurs passages des lettres à sa fille elle y fait allusion, mais avec finesse et avec ménagement. Elle n'avait plus autant d'admiration pour le talent épistolaire si vanté de Bussy; il en montrait moins qu'autrefois dans les lettres qu'elle recevait de lui, et par cette raison peut-être, sans le vouloir, elle en mettait moins aussi dans les réponses qu'elle lui adressait. Elle lui avait dit jadis: «Vous êtes le fagot de mon esprit.» Le fagot manquait, et le feu qu'il devait allumer ne pouvait se produire. Cependant l'étroite parenté qui les unissait, les souvenirs de jeunesse qui leur étaient communs, l'habitude d'une longue liaison, surtout l'intérêt du nom que tous deux portaient, dont tous deux étaient fiers et dont ni l'un ni l'autre certainement ne ternissait l'éclat, formaient entre eux un attachement indissoluble et entretenaient une intimité d'autant plus égale qu'ils ne s'aimaient plus assez pour se quereller.

      La seule lettre que madame de Sévigné reçut de Bussy pendant son voyage fut celle que nous venons de transcrire; mais elle eut de ses nouvelles par d'autres personnes, car de Bourbilly elle écrit à sa fille: «Bussy est toujours à Paris, faisant tous les jours des réconciliations; il a commencé par madame de la Baume. Ce brouillon de temps, qui change tout, changera peut-être sa fortune143

      Madame de Sévigné était mal informée; cette réconciliation qu'elle redoutait n'eut pas lieu. On en avait parlé dans le monde. Bussy voulait se faire la réputation d'un homme à qui on devait pardonner toutes ses fautes, parce que lui, disait-il, n'éprouvait aucun ressentiment contre ceux qui avaient eu des torts envers lui; et il entrait dans ses desseins de ne point accréditer ni démentir le bruit de sa réconciliation avec madame de la Baume. Dès son arrivée à Paris, il s'empressa d'aller rendre visite à madame de Thianges, «sa parente et sa bonne amie.»—«Elle me demanda, dit-il, s'il était vrai que je fusse raccommodé avec madame de la Baume. Je lui dis qu'elle m'avait fait faire des honnêtetés, auxquelles j'avais répondu de même, et que j'étais résolu non-seulement de recevoir les amitiés que me pourraient faire ceux qui m'avaient fait du mal, mais encore de leur faire des avances144

      Le principal motif du séjour de Bussy à Paris était une contestation qu'il avait au conseil pour une somme de 60,000 fr. qu'on lui disputait. Il gagna son procès145.

      Il est bien vrai qu'il fit des tentatives de réconciliation; mais il ne réussit dans aucune, comme le sut bientôt madame de Sévigné, dont les secours ne lui faillirent point en cette circonstance. Quand Bussy écrivait à sa cousine, l'époque de la permission qu'il avait obtenue pour rester dans la capitale était expirée depuis deux jours, et il avait demandé à M. de Pomponne une prolongation de séjour, qui lui fut accordée146.

      Depuis un mois qu'il était à Paris, il avait employé son temps aux projets de son ambition plus encore qu'au profit de ses affaires. Il n'ignorait pas que le roi, bien disposé pour lui par le duc de Saint-Aignan, consentirait volontiers à faire cesser son exil s'il pouvait se réconcilier avec Condé et empêcher Louvois de lui être contraire. Ce fut de ce côté qu'il dirigea d'abord ses efforts. Lorsque la marquise de la Baume eut la perfidie de laisser publier le manuscrit des Amours des Gaules qu'il lui avait confié, il rompit entièrement avec elle, et il ne parlait de ses attraits et de sa personne qu'avec ce dédain et ce dénigrement qu'aucune femme ne peut pardonner147. Depuis il ne chercha point à renouer une liaison avec une femme qu'il n'aimait pas et qu'il ne pouvait estimer; mais, comme toujours, il s'efforça de profiter de ses amitiés de femmes pour se réconcilier avec ceux qui lui étaient contraires. Il raconte dans ses Mémoires qu'il était depuis trois ans assez bien vu de madame de la Morésan, qui, par ses attraits, son esprit caustique et son caractère décidé et tranchant, par son alliance avec son beau-frère Dufresnoy, le principal commis de Louvois, était recherchée et redoutée148. Le jour où Bussy l'alla voir149, il y trouva Dufresnoy. «La conversation, dit-il, avec madame de la Morésan et moi se passa à nous renouveler des assurances d'amitié. Comme j'y fus jusqu'à l'entrée de la nuit, il y vint beaucoup de gens, et entre autres mesdames de la Baume et Louvois; j'en sortis bientôt après, ne pouvant soutenir la présence de gens que j'aimais si peu150.» Lorsque Bussy écrivait à Paris ce fragment de ses Mémoires, madame de Sévigné s'y trouvait aussi; elle dut donc être dissuadée par lui de l'opinion qu'elle avait eue de sa réconciliation avec madame de la Baume.

      Bussy s'était empressé de demander une nouvelle permission pour continuer son séjour à Paris. Il avait alors un exemple récent du danger que l'on courait, sous un roi tel que Louis XIV, de ne pas se soumettre aux ordres de ses supérieurs. Le marquis de Martel, vieil officier de marine, avait passé par tous les grades avant de devenir lieutenant général à la mer; il trouva dur d'être obligé d'obéir au comte d'Estrées, vice-amiral d'une plus grande noblesse, mais moins ancien que lui comme officier, et qui avait gagné son grade de lieutenant général dans le service de terre. D'Estrées transmit à Martel, par écrit, un ordre sous une forme qui ne convenait pas à ce dernier151; il ne refusait pas d'obéir à l'ordre, mais il voulait que la rédaction en fût changée. Pour ce léger tort, il fut arrêté par ordre du roi le 31 octobre, et mis à la Bastille. Cette rigueur dut faire de la peine à madame de Sévigné, qui était liée avec la femme du marquis de Martel depuis que celui-ci avait donné, sur le beau et célèbre Royal-Louis, vaisseau qu'il commandait152, une fête à madame de Grignan lorsqu'elle alla voir le fort de Toulon vers le milieu du mois de mai 1672. La femme du lieutenant général gouverneur de Provence parut si belle alors, dansa si bien, que tous les jeunes officiers invités à cette fête en conservèrent un long souvenir, et que, plusieurs années après, un d'eux citait madame de Grignan comme le modèle le plus parfait de grâce et de légèreté dans la danse, en présence СКАЧАТЬ



<p>141</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (23 août 1673), t. III, p. 171 et 172, édit. G.; t. III, p. 97, édit. M.—Suite des Mémoires du comte DE BUSSY-RABUTIN, p. 41, ms. de l'Institut. (Dans ce ms., la lettre est datée du 27 août.)

<p>142</p>

Suite des Mémoires du comte DE BUSSY-RABUTIN, ms. de l'Institut, p. 42 verso.

<p>143</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (21 octobre 1673), t. III, p. 195; t. III, p. 117.

<p>144</p>

Suite des Mémoires du comte DE BUSSY-RABUTIN, ms. de l'Inst., p. 44 verso.

<p>145</p>

Lettre de Bussy-Rabutin à Louis XIV (26 avril 1674) et à Châteauneuf, secrétaire d'État, dans la Suite des Mémoires du comte DE BUSSY-RABUTIN, ms. de l'Inst., p. 65 et 66.

<p>146</p>

Lettre de Bussy-Rabutin à M. de Pomponne, datée de Paris le 8 octobre 1673, et de M. de Pomponne à Bussy, datée de Nancy le 15 oct., dans la Suite des Mém. de BUSSY-RABUTIN, ms. de l'Inst., in-4o, p. 42 et 44.—ROGER DE RABUTIN, comte DE BUSSY, édit. 1737, t. V, p. 85. Mais la lettre est à tort datée du 15 septembre; c'est le 15 octobre qu'il faut lire. (Voy. la 4e partie de ces Mémoires, p. 156 et 344.)

<p>147</p>

Voyez la lettre du comte de Bussy insérée dans les Mémoires de COLIGNY-SALIGNY, 1841, p. 127, en date du 18 mai 1667.

<p>148</p>

MONTPENSIER, Mémoires, t. XLIII, p. 379.—Supplément aux Mémoires de BUSSY, 2e partie, p. 14 et 17.—BUSSY-RABUTIN, Lettres (20 juin et 28 novembre 1671), t. V, p. 190 et 315.

<p>149</p>

BUSSY-RABUTIN, Lettres (28 novembre 1673, de madame de la Morésan au comte de Bussy), t. V, p. 319.

<p>150</p>

Supplément aux Mémoires de M. le comte DE BUSSY, t. II, p. 17.—Au lieu de madame Damorisan, il faut lire la Morésan, comme le prouvent le Recueil des lettres de BUSSY, t. V, p. 319 et 190, et les Mémoires de MONTPENSIER, t. XLIII, p. 379 (année 1674).

<p>151</p>

LOUIS XIV, Œuvres (Lettre du roi au duc de Beaufort, en date du 8 décembre 1665), t. V, p. 338 et 342.

<p>152</p>

SÉVIGNÉ, Lettres (20 mai 1672), t. III, p. 31, éd. G.; t. II, p. 442, édit. M.—Mémoires du marquis DE VILLETTE, 1844, in-8o, p. 14. Martel, capitaine en 1635, lieutenant général en 1656-1679, n'est plus porté sur les états de la marine en 1682.