Les Tourelles: Histoire des châteaux de France, volume II. Gozlan Léon
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СКАЧАТЬ les Dangeau, les d’Aubusson, les Beauveau, les Lafeuillade, les Langeron, les Créqui, les Tavannes, les Saint-Pol, les Larochefoucauld et les Bouillon, grands noms en faveur auprès du roi et de la reine. Réunis dans la salle des gardes, ils défilèrent en ordre, et, se répandant avec plus de liberté, ils se dirigèrent vers l’espace occupé par les parterres et les pièces d’eau, alors tranquilles, chaudes et empourprées des derniers rayons du jour.

      Les pièces d’eau du château étaient nombreuses et belles; leur dessin et leur symétrie excitaient si haut l’admiration qu’elles servirent de modèles à celles de Versailles et de Saint-Cloud. Elles furent, à quelques fausses tentatives près, les premières qu’on vit en France, transportées des villas d’Italie. Fouquet eut la ruineuse gloire de devancer le roi dans l’art merveilleux d’attirer les eaux de cinq lieues à la ronde pour les verser dans des réservoirs de marbre après les avoir laminées et tordues dans des tuyaux de plomb dont les vestiges effraient encore. Arrachés à la terre, cent ans après, par le fils du second possesseur du château, le duc de Villars, et vendus à la livre, ces tuyaux furent payés 480,000 fr.

      Ces eaux sont une histoire.

      Trois villages furent démolis et rasés, et sur leur emplacement la bêche creusa des bassins qui sont des mers: lacs asphaltites aujourd’hui. La vapeur les étouffe, et le roseau les cache. On dirait que la malédiction du ciel a troublé ces eaux et les a empoisonnées. Qui dort auprès de ces eaux meurt. Tous ces dieux impies de marbre et d’airain, qui respiraient par des poumons de plomb et vomissaient les rivières qu’ils avaient bues, sont restés en place. Mais au printemps les oiseaux déposent leurs nids au fond de la conque muette des tritons; les cascades pétrifiées n'épanchent plus que du lierre; l’eau a verdi en herbe, l’herbe a monté: on fauche ces mers.

      Alors le soleil descendait et illuminait en écharpe ces eaux prodigieuses et fières.

      Guidée par le roi et la reine-mère, une population d'élite s'étale sur les gradins cintrés qui vont du château aux parterres: des figures belles et sereines, sœurs de têtes royales, se déroulent avec lenteur dans un arc indéfini, s’avancent au milieu de l’air tiède et violet qui les encadre. A ces chairs reposées et blanches, à ces robes de soie émues par des mouvemens amoureux et chastes, à tant de solennité au milieu de tant de jeunesse, on dirait une fête de Zénobie à Palmyre, si jamais Palmyre eut de telles fêtes.

      Toute la monarchie de Louis XIV, mais la jeune monarchie, est là.

      La Fronde, à qui l’on a pardonné, la Fronde est venue en petit manteau de satin, laissant flotter au vent des pas ses dentelles brodées, ses rubans de moire, ses nœuds de soie. Des plumes blanches s’inclinent sur le chapeau rabattu des héros du faubourg Saint-Antoine: leur chapeau est penché sur l’oreille, et leurs têtes, encore toutes railleuses de dédain pour monsieur le cardinal, suivent l’inclinaison des plumes et du chapeau; leurs moustaches partagent cette inflexible obliquité. Leur cœur s’est rallié au roi; leur chapeau pas.

      Si la pente devient rapide, les cavaliers abandonnent le bras de leurs dames, qui, pour assurer leur marche, appuient leurs mains gantées, un peu au-dessous d’elles, sur des épaules officieuses.

      Ainsi, à perte de vue, à droite, à gauche, au fond, ce sont des groupes en cascades, penchés l’un sur l’autre dans la plus harmonieuse dégradation. Des sourires montent vers des visages gracieux à mesure que des pieds descendent, et si parfois un vent frais s'élève des pièces d’eau vers le sommet de cet amphithéâtre, toutes ces robes traînantes de femmes enveloppent dans une nuée de mousseline le groupe, tous les groupes, dames et cavaliers, et ce n’est plus alors que quelque chose d’indécis et d’ailé, insaisissables apparitions du crépuscule.

      Le roi était vêtu fort simplement: il portait une veste de drap bleu à boutons d’or; l’Ordre passait au-dessus de tout; ses souliers étaient ornés de boucles d'émeraudes; une seule plume blanche flottait à son chapeau.

      La fille de Charles Ier, Madame Henriette, cette femme dont la vie ou plutôt la mort a divinisé Bossuet, avait déjà, quoiqu'à peine âgée de dix-sept ans, cette empreinte de douleur si belle et si fatale au front des Stuarts. Henriette était frêle et blanche, d’une délicatesse extrême; son cou était celui de Marie Stuart, d’une transparence si pure qu’on eût pu voir à travers couler le poison du chevalier de Lorraine. Henriette était de ces femmes qui écoutent avec leurs yeux.

      Tous ses mouvemens, sans qu’elle s’en aperçût, étaient comptés et renvoyés avec des interprétations à son époux, par sa belle-mère, Anne d’Autriche, qui, à chaque instant, se tournait pour épier l’arrivée de quelqu’un impatiemment attendu par elle. Cette préoccupation de la reine-mère cessa quand elle vit descendre M. de Saint-Aignan conduisant, avec une grâce parfaite, une femme jeune encore, peu connue à la cour: c'était une demoiselle d’honneur de Madame Henriette.

      Les mémoires nous ont conservé la parure qu’avait choisie pour cette journée mademoiselle de la Vallière. Sa robe était blanche, étoilée et feuillée d’or, à point de Perse, arrêtée par une ceinture bleu tendre, nouée en touffe épanouie au-dessous du sein. Épars en cascades ondoyantes, sur son cou et ses épaules, ses cheveux blonds étaient mêlés de fleurs et de perles sans confusion. Deux grosses émeraudes rayonnaient à ses oreilles. Ses bras étaient nus; pour en rompre la coupe, trop frêle, ils étaient cernés au-dessus du coude d’un cercle d’or ciselé à jour; les jours étaient des opales. Un peu blanc-jaunes, comme il était riche alors de les porter, ses gants étaient en dentelle de Bruges, mais d’un travail si fin, que sa peau n’en paraissait que plus rose sous la transparence.

      Pour s’apercevoir de l’inégalité de sa marche, il aurait fallu pouvoir détacher, – et qui en était capable? – le regard de son buste, le plus délicat qui ait jamais existé à la cour, et c’eût été sans profit pour l’envie, car cette imperfection d’un beau cygne blessé cessait de paraître quand mademoiselle de la Vallière appuyait ses pieds sur un tapis. Elle ne boitait qu’en marchand sur la pierre. Une fois duchesse, elle ne boita plus. Louis XIV le voulut ainsi.

      Sa figure est trop connue pour essayer de la reproduire; ce fut celle de la Vénus chrétienne de la France. Ses yeux bleus de vierge martyre, aux paupières de soie, s’ouvraient peu au jour; et, bien qu’ils n’eussent encore réfléchi que des visages jeunes et beaux comme le sien, qu’ils n’eussent vu de bien près qu’un homme, Louis XIV; qu’une femme, si ce fut une femme, ou un ange, Madame Henriette d’Angleterre, ils étaient déjà chargés de cette infortune qui lui arracha tant de larmes aux Carmélites. Mademoiselle de la Vallière vint au monde pour pleurer: elle n’attendait que l’occasion d'être reine.

      Elle avait le sourire fermé, quoiqu’elle eût la bouche grande; ceux qui l’aimaient l’aimaient ainsi: mais ses rivales, et Bussy, l'écho de toutes les jalousies, ont attribué à l’irrégularité de ses dents le soin qu’elle eut toute sa vie de ne jamais les montrer. A cette précaution, il faut rapporter sans doute la discrétion de ses paroles. Sa taille était petite, mais élégante et flexible. Elle resta toujours enfant; gracieuse enfant qui aima trop tôt pour vivre. Singulier reproche! et que ne mérita jamais madame de Montespan: on reprocha à mademoiselle de la Vallière d'être complètement privée de formes: comme si les charmes d’une femme étaient ailleurs que dans l’opinion de celui qui l’aime! Et combien ne faut-il pas être plus difficilement belle, ainsi que le fut mademoiselle de la Vallière, pour se faire aimer par des causes qui ne s’altèrent jamais, dût la petite-vérole dans son vol gâter un noble visage! mademoiselle de la Vallière était marquée de petite-vérole.

      Elle aima! Quel plus bel éloge peut-on écrire du cœur d’une femme qui s’attacha, non au fils d’Anne d’Autriche, mais à Louis-Dieudonné; non à Louis XIV, vainqueur du Rhin et de la Meuse, mais au jeune homme, tremblant СКАЧАТЬ