Les Tourelles: Histoire des châteaux de France, volume II. Gozlan Léon
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Читать онлайн книгу Les Tourelles: Histoire des châteaux de France, volume II - Gozlan Léon страница 7

СКАЧАТЬ style="font-size:15px;">      – Vous voyez donc, monsieur le chancelier, que vous êtes né pour mettre les gens d’accord avant qu’ils aient parlé: j’espère qu’il en sera de même, notre différend entendu. Pardon, mais il ne s’agit pas de statues, messire.

      – Prenez garde, Gourville, de fatiguer M. de Séguier.

      – Je vous en prie, monsieur de Belle-Isle, laissez à M. Gourville présenter sa requête. Je vous jugerai.

      Ce mot glaça le sang de Pélisson. Séguier avait ri en le prononçant.

      – Le Nôtre, disais-je, a commis une faute. Le plan horizontal du château est mal entendu: d’une extrémité au centre, le terrain descend; du centre à l’autre extrémité, il monte. La propriété creuse. Vaux est un abîme: n’est-ce pas, messire?

      Le chancelier ne sut trop si on lui renvoyait une de ces allusions malignes dont il ne tarissait pas sur la prodigalité du surintendant, ou si Gourville lui demandait sérieusement un avis. Il le regarda avec sa pénétration de juge.

      Fouquet rompit l’embarras. – La propriété creuse, intervint-il, parce qu’elle a été sacrifiée exclusivement aux eaux. Le niveau est pris de loin et de haut; plus on le ménage en l’abaissant, plus l’eau, en reprenant sa ligne de hauteur, s'élève et jaillit. Le Nôtre n’a pas tort, Gourville. Cette explication satisfait-elle monsieur de Séguier?

      – Pleinement. Mais je ne prendrai point congé de vous, monsieur de Belle-Isle, sans vous complimenter sur la flatteuse rumeur qui circule. On tient presque pour certain que vous allez vous défaire de votre charge de procureur-général. Sa majesté n’attendrait que cette résolution de votre part pour vous conférer ses Ordres. C’est un regret pour le parlement, et je le partage; mais la compensation est si belle, qu’il faut se taire et adorer le monarque dans ses œuvres.

      – N’ajoutez pas à la confusion où je suis, monsieur de Séguier, de me trouver déjà si peu digne des bontés de notre roi.

      – Adieu, je vous laisse, monsieur de Belle-Isle, ce dont vous m’excuserez, pour aller présenter mes soumissions à sa majesté.

      M. de Séguier se retira gravement.

      – Je reprends, dit Gourville: personne n’agira, mais personne n’empêchera d’agir. Après les eaux viendra le dîner; après le dîner la comédie, après la comédie le feu.

      – Oui, Gourville, c’est le moment de frapper le grand coup.

      – Il se placera sur les cascades pour admirer le feu, et au même endroit où il aura vu jouer les eaux. A sa droite il aura dix de nos amis, à sa gauche dix, vingt derrière: foule sur les marches, personne à la portée de son regard, personne! cela masquerait le coup d'œil. A la troisième girande lancée, lorsque le ciel sera couvert d'étincelles et de cris, quand le canon se mêlera à ce bruit pour le rendre plus formidable, un homme disparaîtra.

      – Gourville!

      Pélisson visita de l'œil le prolongement de l’allée.

      – Monseigneur, cet homme disparu sera remplacé sur-le-champ par un autre de même taille, de même costume; panache blanc au chapeau, cordon bleu à la poitrine.

      – Et ceux qui l’entoureront?

      – Voilà les amis dont je vous parlais, ceux qui n’agissent pas.

      – Et s’il crie?

      – Le canon crie plus fort.

      – Et si l’on voit?

      – L’obscurité profonde qui succède à l'éblouissement d’une girande de feu ne permet guère de voir. Douze girandes seront tirées à dix minutes d’intervalle. Douze obscurités: c’est deux heures. A la dernière, nous serons à huit lieues d’ici.

      – Et ce feu d’artifice, s'écria Fouquet, éclipsera, j’en suis sûr, celui qui fut tiré à la porte Saint-Antoine, au mariage de la reine. Torelli est une Salamandre.

      – Silence! dit une seconde fois Pélisson; quelqu’un vient. – Colbert était à deux pas.

      – Pour le coup, l’augure est sinistre, murmura Gourville, c’est M. de Colbert; il ne manque plus, pour nous achever, que M. de Laigue et madame de Chevreuse.

      Colbert était fort laid, déjeté comme un vieux bois; il avait la peau grillée, la mine souffrante. Les douloureux sacrifices des nuits, l’agonie des difficultés vaincues, l’intromission violente de connaissances sans nombre, le mépris de la vie et de ses besoins, le despotisme de la volonté sur la douleur, se lisaient à ses joues, à son front, où les rides étaient si profondes qu’elles simulaient des feuilles de parchemin. La vie s'était retirée de ce corps corrodé par l'étude, pour s’isoler dans le crâne; là était la flamme. Sa tête était transparente comme une lampe de nuit. On sentait poindre les os sous la légère couche de vie qui tapissait ce cadavre. On voyait l’ironie de la mort grimacer derrière cette peau, si enflée de rien. Le squelette voulait sortir.

      Au moment où Colbert s'était montré comme un fantôme au détour de l’allée, Pélisson, pour avoir une contenance, avait déroulé un papier, qu’il affecta de lire, jusqu'à ce que lui et ses compagnons se trouvassent dans l’impossibilité d'éviter la rencontre.

      – C’est fort beau! s'écriait Gourville; le roi en sera enchanté.

      – Monsieur Pélisson, appuyait Fouquet, vous n’avez jamais mieux été inspiré; l’air de Vaux est une muse.

      – Ce sont choses trop légères pour monsieur Colbert, dit Fouquet en abordant celui-ci, que des vers de circonstance. Si quelque chose les excuse pourtant, c’est la circonstance. M. de Pélisson nous lisait le prologue de sa façon qui sera récité cette nuit avant la comédie de mon ami, M. Molière.

      – Que je n’interrompe pas M. de Pélisson! se récria Colbert; des vers à la louange du roi sont une bonne fortune: vous ne voudriez pas m’en priver.

      Pélisson lut avec chaleur le prologue au roi, et fut applaudi à chaque hémistiche, excepté par Colbert, qui roulait sa tête et son œil comme un sauvage qui entend de la musique pour la première fois. Au dixième vers, quoique la pièce n’en ait pas quarante, il fourra ses mains sèches dans ses goussets, et ne prêta plus aucune attention.

      Ayant achevé sa lecture, Pélisson se tourna vers Colbert avec la discrétion d’un poète qui attend son arrêt.

      Les vers du prologue de Pélisson passaient pour fort beaux.

      – Ah! vous avez fini, monsieur de Pélisson; je vous fais mon compliment. C’est bien! très-bien! J’avais un neveu qui s’amusait aussi à ces bêtises-là; il a réussi. Je l’ai employé aux gabelles.

      Gourville se baissa pour ne pas rire, affectant d’arranger les boucles de sa chaussure. Gourville ne faisait pas de vers.

      Colbert ne remarqua pas le dépit de Pélisson, qui, oubliant son rôle dans cette comédie, rougit, pâlit, fut sur le point de trahir la ruse et de dire: «Croyez-vous donc, monsieur de Colbert, qu’on vous demande votre avis? Il fallait feindre et vous prendre pour un homme de goût. On ne s’attendait pas à réussir.» Le conjuré l’emporta cependant sur le poète; Pélisson se tut.

      Colbert СКАЧАТЬ