Les Tourelles: Histoire des châteaux de France, volume II. Gozlan Léon
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СКАЧАТЬ du cabinet; monsieur le duc va vous expliquer la cause de notre gaieté.

      – Qu’est-ce donc, monsieur de Saint-Aignan? s’informa la reine-mère.

      – C’est… mon Dieu, cela vaut-il bien la peine?

      – Parlez toujours, duc.

      Saint-Aignan, qui n’avait rien à dire, balbutia, rougit, regarda le plafond, et répondit tout-à-coup avec la pétulance d’une réflexion subite:

      – Vos majestés ont dû remarquer que dans les nombreuses pièces de ce château l'écureuil de monsieur le vicomte poursuit avec acharnement la couleuvre de M. Colbert. Certes, s’il est quelqu’un en France capable de connaître les intentions héraldiques de M. de Belle-Isle, c’est le peintre qui a répété au moins deux ou trois mille fois cet emblème. Eh bien! ne faut-il pas que ce peintre soit singulièrement distrait ou coupable? Dans ce château, ici, sur notre tête (que vos majestés daignent regarder ce plafond pour m’en croire), ce peintre fait étrangler l'écureuil par la couleuvre.

      – Pas possible, duc!

      – Qu’il plaise à vos majestés de suivre la direction de mon doigt. En tirant une ligne du coude de cette femme qui représente le Sommeil, n’aperçoivent-elles pas, vos majestés, dans la guirlande du plafond, un écureuil?..

      – Et la couleuvre qui le darde! crièrent tous trois le roi, sa mère et Madame.

      – Si cela me regardait, ajouta le roi, je me croirais perdu.

      Il pâlit.

      Saint-Aignan pâlit.

      – Sortons au plus vite de ce cabinet de la prédiction.

      Ils rentrèrent, tout effrayés, dans le salon.

      Le nom du cabinet de la Prédiction est resté à cette pièce. A plus d’un siècle de distance, on éprouve un effroi historique, lorsqu’on regarde cette erreur de peintre qui fut une si terrible prophétie. On n’a presque plus d’attention pour la suave allégorie de Lebrun: le Sommeil, sous les traits d’une femme endormie, qui, comme l’a dit Lafontaine dans le Songe de Vaux, «laisse tomber des fleurs, et ne les répand pas.»

      Quand les brigands du Nord, je veux dire les Bavarois, entrèrent en 1815 dans le château de Vaux, ils le saccagèrent. Ce délicieux boudoir ne fut pas épargné, et pourtant ils n’arrachèrent pas du plafond le Sommeil de Lebrun. Avaient-ils lu les vers de Lafontaine? S’il en fut ainsi, pourquoi le bonhomme n’en a-t-il pas écrit sur les fauteuils et les tapisseries? A la pointe du sabre, les Bavarois ont détaché du fond des fauteuils et du cadre des murs les étoffes brodées qui les garnissaient. Ils ont laissé les murs et les fauteuils dans l'état où ils se trouvaient avant d'être recouverts. Dans les tapisseries d’Aubusson de nos châteaux l’invasion a taillé des mouchoirs.

      C’est une revanche, nos pères avaient fait le même usage des drapeaux bavarois.

III

      Il n’y a pas d’exemple dans l’histoire d’une fortune aussi rapide et aussi courte que celle de Fouquet.

      A peine apprend-on qu’il existe, qu’il est déjà procureur-général au parlement, une des plus hautes dignités du royaume; à peine au parlement, on le voit surintendant des finances, le premier dans l'état après Mazarin; à peine le sait-on surintendant des finances, qu’il est sous les verroux de Pignerol; à peine est-il à Pignerol qu’on n’en parle plus.

      Entre Mazarin et Colbert, qui se souvient de Fouquet?

      Consultez les historiens, même les plus complets: ils vous diront que Fouquet fut poursuivi et condamné pour ses dilapidations. Rien n’est plus vague. Cela s’applique à tous les ministres des finances depuis Enguerrand de Marigny. Mazarin avant Fouquet, Colbert après lui, épuisèrent le trésor avec bien plus d’avidité. Le surintendant ne fut mis en jugement, ceci ressort de son procès même, que par le fait des énormes vols de Mazarin; et Colbert, malgré ses vastes créations commerciales, au lieu de diminuer la dette, l’augmenta de beaucoup.

      Que reprocha-t-on à Fouquet? – Son faste? Oublie-t-on que le cardinal Mazarin, pauvre sous Richelieu, fit passer, au bruit de sonnettes d’argent, sous la porte Saint-Antoine, en 1660, à la suite de l’entrée triomphale de la reine, soixante-deux mulets chargés d’or et de diamans? – Le luxe de sa maison? A quelques charges près qu’il fut obligé de créer pour soutenir l'éclat de sa nouvelle dignité de surintendant, il ne fit que continuer la vie qu’il menait auparavant, extraordinairement riche par sa famille et du côté de sa femme, qui lui apporta douze cent mille livres. – Son goût pour les bâtimens? Il convenait peu à Colbert et à ses successeurs, eux qui devaient élever Versailles et Marly, de demander compte à Fouquet des quelques millions, dilapidés ou non, qu’il consacra au château de Vaux. – Ses mœurs? S’il appartenait à quelqu’un d'écarter ce chef d’accusation, c'était d’abord au roi. – Sa rébellion? On en eut de si faibles preuves, et elles devaient être faibles en effet, que le ressentiment de ses juges, presque tous vendus à Colbert, ne parvint qu'à le faire condamner à l’exil, peine commuée par Louis XIV en une détention perpétuelle.

      Ainsi l’histoire dit mal Fouquet: elle ne le sait pas.

      Avant son élévation, elle le voit à peine; pendant, elle en est éblouie, elle est trop lente avec son cortége de causes et de recherches pour expliquer à temps cette haute fortune; après, elle s’impose cinquante ans de silence, car malheur à qui parlera de Fouquet sous Louis XIV. Et de quel homme d'état s’occupe-t-on après cinquante ans?

      Fouquet n’aura pas même d’histoire, cette fosse commune.

      Fouquet revient de droit aux mémoires et à la poésie; une moitié de sa vie appartient à Gourville, l’autre moitié à La Fontaine.

      Heureux, il est l’homme des mémoires.

      Seigneur plein d'éclat à la cour, sybarite recherché à son pavillon de Saint-Mandé, il a toutes les amitiés, et celles de la Fronde, et celles de Saint-Germain; toutes les amours à la ville; rien ne manque à sa périlleuse renommée. Boileau incruste en proverbe ses bonnes fortunes de surintendant; un souterrain conduit de son boudoir au milieu du bois de Vincennes, pour faire évader les femmes quand les maris viennent la nuit les lui redemander.

      Richelieu pensionne quelques hommes de lettres pour qu’ils admirent ses vers; Fouquet les enrichit tous à la condition qu’il n'écrira pas de vers, l’homme aimable! mais qu’eux viendront chaque mois lui lire ceux qu’ils auront composés. La Fontaine s’engagera à quatre épîtres par an; il paiera en quatre termes. Richelieu disait: J’ai donné une chemise à Apollon. Fouquet avait droit d’ajouter: Je l’ai mis dans ses meubles. Pélisson, grâce à lui, a six domestiques; Le Vau est servi en vaisselle plate; Lebrun a un équipage; Le Nôtre tutoie Fouquet. Mademoiselle de Scudéry est coulée en bronze, et l’on trouve dans la boîte de vermeil où le surintendant parfumait ses pensées secrètes des lettres de madame de Sévigné.

      Ainsi Fouquet donne à Louis XIV l’exemple de tout ce qui lui vaudra le nom de grand: amour des arts, respect aux lettres, munificence aux écrivains, goût pour les monumens, dévouement aux femmes, qui toutes conservèrent à Fouquet la fidélité du malheur, la seule qu’il leur demanda jamais.

      Est-il renversé par le souffle noir sorti de la bouche de Colbert? aussitôt il devient l’homme de La Fontaine. La Fontaine se jette à son cou comme un fils, lui qui ne se rappelait plus en avoir un, et ne l’abandonne pas. Il n’est plus distrait, La Fontaine; il ne dort plus, СКАЧАТЬ