Victor, ou L'enfant de la forêt. Ducray-Duminil François Guillaume
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СКАЧАТЬ mes regards: les unes offraient la correspondance de deux époux séparés par une mère ambitieuse et cruelle; les autres, de la main de cette mère, annonçaient à Cécile la mort de son époux: quelques-unes, plus récentes, semblaient détruire ce bruit; les dernières enfin étaient de ce Friksy, qui revenait en Bohême, et qui faisait à son épouse les plus vifs reproches sur son nouveau mariage.

      »Que vous dirai-je? Étourdi de tant d'événemens imprévus, mon premier soin fut de courir chez la fermière, pour savoir l'asyle du fils de deux malheureux époux. Cet enfant, me disais-je, je l'adopterai; il sera le frère de ma fille, et les tendres soins que je lui prodiguerai pourront appaiser les mânes plaintifs de ses parens, dans le tombeau où je les ai plongés…

      »Vain espoir: la fermière, effrayée de ma fureur, du malheur qui était arrivé chez elle, venait de fuir le canton à la hâte. Personne ne savait ce qu'elle était devenue. Impossible à moi de la retrouver, impossible de découvrir le fils de Cécile, dont cette femme seule connaissait l'asyle…

      »Je ne vous dirai point quel fut l'excès de ma douleur, de mes regrets. Après avoir fait des recherches infructueuses, je me voyais privé de la consolation d'avoir auprès de moi un enfant intéressant que j'avais rendu orphelin. Je ne pouvais servir de père à cet infortuné, après lui avoir ravi le sien!.. Le chagrin s'empara de mon cœur; la vie me devint insupportable, le jour fatigant, la nuit cruelle par les tableaux affreux qui se peignaient à mon imagination… Quel état, mes amis, quel état!.. Oui, me dis-je, le premier orphelin que je trouve, le premier enfant abandonné que je rencontre, sera mon fils, quelque danger, quelque obstacle que j'éprouve à l'adopter, à l'élever. J'en fais le serment devant Dieu, je vous le jure à vous, à vous, ombres sanglantes, dont je n'ai pu exécuter les derniers vœux, il remplacera votre fils près de moi; il sera le mien; et puisse le ciel, en faveur de cette adoption, détourner les coups de la malédiction, du malheur, qu'il lance sur tout homme qui a versé le sang de ses semblables…

      »C'est à ce serment que je te dois, mon cher Victor, c'est ce serment sacré qui m'a fait vaincre tous les périls auxquels je me suis exposé pour t'avoir, pour t'emporter chez moi, pour t'élever, pour te soustraire à l'espèce de fatalité qui entourait ton berceau. Redouble d'attention pour m'entendre, mon ami; me voici arrivé à toi, à ce qui te regarde».

      LES NUITS DE LA FORÊT

      PREMIÈRE NUIT

      «Qu'ils sont cruels, les aiguillons du remords, qu'ils sont cruels! Comme il souffre, l'homme qui en ressent l'atteinte lorsqu'il est seul, seul avec sa conscience!.. Le jour, la nuit, point de trève, point de paix pour lui. Cette conscience timorée, cet ennemi terrible, le poursuit par-tout; par-tout il souffre: il n'est mieux que dans les antres des forêts, dans le silence de la nuit. Là, il ressent une espèce de volupté à se rappeler ses torts, à les détester, à détester son existence…

      »J'éprouvais cet état déchirant, mes amis; j'étais dans cette horrible situation. Depuis la mort de deux époux que j'avais assassinés, je fuyais l'aspect du jour et des hommes; sur-tout la présence des hommes heureux. Tout m'était devenu insupportable. Si j'eusse pu retrouver leur enfant, cet intéressant orphelin m'eût consolé, m'eût dégagé du poids de mes remords; j'aurais cru, en l'élevant comme mon fils, appaiser les mânes sanglans de ses parens; il eût été tout pour moi. Mais cet enfant, j'avais perdu l'espoir de jamais le rencontrer. Quel moyen, en effet? J'ignorais son nom, son asyle; lui-même pouvait ignorer le secret de sa naissance, le nom des auteurs de ses jours. Il était isolé dans la nature, près de moi, peut-être, mais aussi éloigné que s'il eût été à mille lieues… J'avais fait serment à Dieu, à ma conscience, d'adopter le premier orphelin; mais je ne faisais aucune démarche pour en trouver un. Je passais les jours enfermé seul dans l'endroit le plus ténébreux de mon château. Les nuits, j'errais çà et là dans mes jardins: les rayons du soleil ne frappaient plus mes yeux, comme les pavots de la nuit avaient cessé de les fermer…

      »Depuis quelques jours j'avais pris l'habitude de sortir vers le soir, et d'aller me promener dans la campagne au loin, souvent jusqu'à l'entrée de la forêt de Kingratz. On la disait, dans ce temps-là, infestée par une troupe de brigands. J'aurais pu les craindre, j'étais seul et sans armes; mais tout entier à ma douleur, livré à mes tristes réflexions, je marchais toujours sans savoir où j'étais, où j'allais, et l'aurore seule me faisait remarquer que je m'étais égaré, que j'avais passé la nuit entière à parcourir les vastes forêts, dont je me hâtais de sortir au point du jour, effrayé de mon imprudence, et remerciant le ciel des m'avoir préservé de tout accident.

      »Une nuit, ma mélancolie m'avait entraîné plus avant qu'à l'ordinaire dans ces forêts immenses. Je m'assis, accablé de lassitude, sur un monticule de gazon, au pied d'un taillis d'arbrisseaux touffus. J'y étais à peine, que quelques gouttes d'eau me tirèrent de ma rêverie, en m'annonçant un orage que je n'avais pas prévu. Je lève la tête, et j'apperçois quelques éclairs violens qui sillonnaient une nuée épaisse et noire. Bientôt les éclats de la foudre m'avertissent d'un danger auquel il m'est impossible de me soustraire. Que faire dans ce fatal moment? Les cataractes du firmament s'ouvrent, et m'abîment déjà d'un torrent de pluie large et sulfureuse. Les échos d'alentour répètent les longs et bruyans éclats de la foudre; c'est un bruit violent et continuel, qui semble produit par mille tonnerres prêts à fondre sur ma tête. Dans ce péril imminent, je sens chanceler mon courage et s'affaiblir mes genoux… Un coup affreux de tonnerre écrase un arbre à mes côtés; les autres sont à tous momens frappés: seul, serai-je épargné dans cette lutte affreuse des cieux contre la terre? Je rappelle ma fermeté; je ramasse, pour ainsi dire, toutes mes forces, et je fuis, je fuis dans l'espoir de rencontrer un abri salutaire. La lueur des éclairs m'en fait découvrir un tout près de moi. C'est une espèce de grotte formée par la nature, dans le creux d'un monticule couvert d'arbrisseaux et de broussailles; elle est tapissée de verdure. La chûte d'un torrent, produit par les eaux de pluie, se fait entendre dans le fond; mais la pente du terrain me fait juger que ce torrent va se perdre au loin dans quelque cavité. Nul danger dans ce réduit, tout m'engage à m'y abriter, tout m'y présente la sûreté, la paix et la tranquillité.

      »J'entre dans cette grotte favorable, je m'y asseois; et bientôt, oubliant le désordre de la nature, bien moins violent que celui qui règne dans mon cœur, je me livre de nouveau à mes pensées affligeantes. Je me rappelle mes malheurs, ceux que j'ai causés à deux êtres infortunés, et je verse des larmes. Peu à peu, par un effet de l'orage, qui engourdit mes sens, mes yeux se ferment pour la première fois depuis bien long-temps. Je ne puis résister au profond assoupissement qui me domine; ma tête tombe sur le gazon, et je m'endors en prononçant le nom de la malheureuse Cécile… Le sommeil, mes amis, ne devait pas rafraîchir mon sang; il était trop agité pour me procurer le plus léger repos. À peine suis-je endormi, que Cécile et son époux se retracent à ma pensée. Je les vois; ils m'accusent de leur mort; ils me montrent leurs plaies sanglantes, le fer étincelant qu'ils viennent d'en arracher. Je leur demande leur fils, leur fils, à qui je dois le bonheur… Ils ne me répondent point. Un tombeau s'élève, ces deux ombres plaintives s'y précipitent; elles m'entraînent avec elles: qu'apperçois-je! le cadavre d'un jeune enfant qu'elles pressent dans leurs bras… Je tombe à la renverse, et le charme disparaît… Un moment après je me trouve près de ce fatal tombeau: il est fermé; mais le même enfant que j'ai vu est à côté de moi, il respire, il me tend ses petits bras. Viens, lui dis-je, viens; tu seras mon fils; fils de Cécile, tu seras mon bien, mon espoir, ma consolation. Je le saisis, je le presse contre mon sein… À l'instant où je le presse, une foule immense se précipite sur moi; on m'arrache cette innocente créature, on l'emporte, on la place, où, grands dieux? sur un échafaud!.. Un homme coupable vient d'y expier ses crimes… On s'écrie autour de moi: C'est son père!.. Des bourreaux, des tortures, des flambeaux funèbres, tout glace mes sens épouvantés… Je cours, je m'éloigne de cet affreux spectacle… Un fleuve agité se présente à mes yeux… la foudre gronde sur ma tête… J'apperçois une petite nacelle… СКАЧАТЬ