Victor, ou L'enfant de la forêt. Ducray-Duminil François Guillaume
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СКАЧАТЬ il doit tout; il chérit la vertu, et la croit supérieure à tout. Oh, mon Victor! comme il m'attendrit! comme il mérite d'être heureux! Hélas! le sera-t-il?.. le sera-t-il, ce pauvre Victor?..

      La journée se passa ainsi en préparatifs secrets: tout se disposait dans l'intérieur du château pour une résistance opiniâtre, tandis qu'à l'extérieur on ne se doutait pas qu'on y fût plus occupé qu'à l'ordinaire. Clémence sûre du courage et des talens de son ami, voyait ces travaux sans crainte, y prêtait même la main avec une espèce de volupté, puisqu'elle aidait Victor; mais madame Wolf n'était pas aussi tranquille. Comme elle était la cause de tous ces embarras, elle se reprochait d'avoir troublé la tranquillité d'une famille trop généreuse; elle accusait sa destinée, dont l'influence maligne tourmentait, avec elle, tous ceux qui lui étaient chers, tous ceux qui s'intéressaient à son sort. Il fallait toute la fermeté, tous les témoignages d'amitié du baron, de Victor et de Clémence, pour l'empêcher de se livrer au plus sombre chagrin. Elle les fatiguait de ses regrets, de ses excuses, au point qu'on la pria très-sérieusement de ne plus se servir de semblables expressions; elle céda, mais elle n'en fut pas plus tranquille.

      Vers le soir, les émissaires de Victor vinrent lui apprendre qu'on avait vu beaucoup de mouvement dans la forêt, qu'on y avait entendu rouler des pièces de canon, essayer des armes, et que les brigands, plus armés qu'à l'ordinaire, faisaient des apprêts de voyages, et paraissaient former quelque grand projet. Tant mieux, dit Victor; ils nous verront de près, et se repentiront d'une entreprise à laquelle le ciel a peut-être attaché leur châtiment.

      Victor se garda bien de négliger cet avis salutaire; il était possible que les brigands tournassent leurs pas d'un autre côté; mais il se pouvait aussi que leur but fût de venir attaquer le château, ainsi que Roger en avait menacé Fritzierne. Nous passerons tous la nuit, dit Victor; et si personne ne paraît d'ici à demain, nous tâcherons de savoir quelle aura été la marche de ces scélérats.

      En effet, toute la garnison de Victor se rendit au château: on lui distribua des armes, des munitions; les pièces furent pointées sur les tours, tout fut prêt, en un mot, pour attendre de pied-ferme les premiers assaillans qui se présenteraient. Passons la nuit avec eux, ami lecteur, et voyons ce qui leur arriva.

      L'appartement de Victor était le seul d'où l'on pût, par sa position, examiner les moindres mouvemens qui pourraient avoir lieu autour du château du côté du chemin qui conduisait à l'étoile de Kingratz. Ce fut là que se rendirent Fritzierne, et même Clémence et madame Wolf, qui voulurent partager leurs inquiétudes et leurs ennuis. Victor avait ménagé dans le milieu de la forteresse un asyle écarté, impénétrable et sûr, où les dames devaient se retirer au moindre signal d'hostilité. En attendant ce signal redoutable, elles demandèrent la permission de rester avec le baron et Victor, on la leur accorda; et l'on ne s'occupa plus, ainsi réunis, que du soin de se distraire, par une conversation intéressante, du besoin du sommeil, auquel il ne fallait pas succomber. Ce fut le vieillard qui se chargea de cette douce occupation. Quand il vit autour de lui son fils, sa fille et son amie, il leur tint ce discours:

      «Ah çà, Victor, je t'ai choisi pour mon gendre, tu le sais à présent, tu en es bien sûr: c'est donc ta femme, c'est donc ton vieux père, ce sont donc tes possessions que tu vas défendre. Je ne te dis point cela pour exciter ton courage; il n'a pas besoin d'être doublé par ces motifs puissans. Ta conduite jusqu'à présent, ta tendresse, le desir de conserver mes jours qui t'a fait renoncer à ton projet de fuite, tout me prouve que je pouvais compter sur ton appui, sans même te donner des espérances pour le légitimer. Oui, Victor, oui, tu seras l'époux de Clémence; depuis long-temps, depuis ton enfance, j'ai nourri dans mon sein cet espoir consolateur; je me suis dit: Voilà celui qui me succédera, qui soutiendra ma vieillesse, qui me consolera et protégera ma fille, sa femme. Je ne choisirai point à ma Clémence un époux parmi les grands de l'Allemagne; je les connais trop bien, ces grands, vains, méchans et cupides. L'intérêt, l'ambition ne me guideront point dans mon choix. L'homme vertueux, voilà le seul homme digne de sa main. Formons donc à la vertu ce jeune enfant adoptif; inspirons-lui de l'amour pour ma fille; persuadons à celle-ci qu'il est son frère, afin que l'amour trompe la nature, et prenne sa place lorsque l'âge aura permis à l'hymen de réclamer les deux cœurs que je lui dévoue. Pour Victor, je ne suis pas fâché qu'il sache qu'il ne m'appartient pas; cela peut lui donner le goût du travail et des sciences dont il croira avoir besoin un jour; cela peut doubler sa reconnaissance, son attachement pour moi, et sa tendresse pour ma fille. L'erreur des liens du sang empêcherait peut-être cet amour que je veux lui inspirer de naître dans son cœur; l'idée repoussante d'une passion pusillanime pourrait arrêter en lui l'essor du sentiment; instruisons-le. Dans les femmes, le sentiment n'est pas aussi soumis que dans les hommes au calcul de la réflexion: elles se livrent plus bonnement, plus ingénument à toute la force des passions qu'elles éprouvent. D'ailleurs, en regardant Victor comme son frère, si le caractère de ma Clémence ne se développe pas d'une manière aussi heureuse que je le desire, elle ne le méprisera pas comme un enfant trouvé; l'envie ne trouvera aucun germe dans son cœur si elle me voit lui prodiguer des caresses, des bienfaits; en un mot la distance au titre de son époux lui paraîtra moins grande, moins indigne de sa naissance, en cas que l'orgueil et la vanité tourmentent son jeune cœur.

      »Tels sont les raisonnement que j'ai faits, mes enfans, et qui m'ont conduit à laisser l'une dans une erreur que je n'ai pas voulu faire partager à l'autre. Tu seras son époux, mon gendre, ô mon cher Victor; c'est tout le bonheur, c'est tout l'espoir de ma vieillesse. Je n'exige, pour terminer ces nœuds, qu'un seul éclaircissement: oui, c'est à une seule condition, et qui ne te paraîtra pas trop dure, que je te donne et ma fille et mes biens. Victor, tu vas me connaître, tu vas m'estimer davantage.

      »Je viens de te dire que la naissance, la grandeur, la fortune, tous ces hochets de la vanité m'étaient indifférens, absolument indifférens dans l'établissement de ma fille; mais il me faut la probité, l'honneur; voilà les seuls titres de noblesse que j'exige de mon gendre et de sa famille. Tes parens, Victor… je ne les connais point; j'ignore qui sont ceux à qui tu dois le jour, et il faut que je le sache; c'est bien la moindre chose que je puisse exiger: mais je vais te mettre à ton aise sur ce point. Quelque part que soit ton père, quelque état qu'il exerce, fût-il même dans la servitude, ou occupé à ces métiers manuels, que la société a l'orgueil d'appeler abjects, je ne lui demande qu'une seule qualité, c'est qu'il soit honnête homme. On n'est pas moins exigeant que je le suis, n'est-il pas vrai? Je te le répète, quels que soient la naissance, la fortune, l'état, l'éducation même de ton père; que ce soit un homme des champs ou de la ville, un riche ou un indigent, un homme en place ou un ouvrier, s'il a de la probité, son fils deviendra mon gendre: est-il possible de te donner plus de latitude? – Il est vrai, mon père; mais où le trouver? – Oh! je vais t'en faciliter tous les moyens, en te racontant l'histoire de ton adoption: tu vas savoir comment je t'ai trouvé dans une forêt, dans quel temps, à quelle époque, et tu connaîtras toutes les circonstances qui ont accompagné, sinon ta naissance, que j'ignore, mais les premiers pleurs que tu as versés en entrant dans la carrière de la vie. Ce sont même ces circonstances bizarres, extraordinaires, qui m'engagent aujourd'hui à réclamer le nom de ton père, pour sceller l'union que je veux former. Victor, voilà ma manière de voir; la trouves-tu déraisonnable? – Il s'en faut, mon père! – Exempt de la plupart des préjugés qui pèsent sur ce qu'on appelle les convenances sociales, je n'ai qu'un seul préjugé, moi; oui, je l'avoue, j'en ai un puissant qui dirigera toujours toutes mes actions: c'est que j'adore la vertu, et que j'exècre le crime. La vertu, sans naissance, sans fortune, est digne de tous mes hommages, de tous mes bienfaits; mais le crime, fût-il couvert d'or, de titres et d'armoiries, jamais, jamais!.. la ligne qui nous sépare ira se perdre dans mon tombeau!..»

      Ah! monsieur, s'écrie Victor dans l'ivresse de la joie, si vous me donnez les moyens de retrouver mon père, je réponds de mon bonheur, je serai le plus fortuné des époux… Oh! n'en doutez pas, quel que soit mon père, il doit être honnête homme; je le sens à mon cœur, à mes principes, à mon amour pour le bien. Mon père m'a donné son ame, j'en suis sûr; il СКАЧАТЬ