Victor, ou L'enfant de la forêt. Ducray-Duminil François Guillaume
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СКАЧАТЬ vous allez connaître des événemens si bizarres, si singuliers, que long-temps ils paraîtront un songe à mes sens troublés à leur seul souvenir; mais avant de parler du hasard qui me fit trouver l'enfant que voici, je dois vous donner quelques explications préliminaires sur ma vie, sur mes propres malheurs.

      Victor, Clémence et madame Wolf se rapprochèrent du vieillard, tandis que Valentin se mit en observation à la croisée; tous lui prêtèrent la plus grande attention, et il commença son récit en ces termes:

      «Je suis né à Pizeck, sur les bords du Moldaw, où mon père avait un château de plaisance. Je fis mes premières armes sous lui, et ce fut bientôt à tous les petits souverains qui tyrannisaient alors une partie des cercles de l'Allemagne. Je ne vous parlerai point de mes campagnes, ni des dégoûts que j'éprouvais lorsque ma réputation me fit fréquenter les cours étrangères; je ne vous dirai point que poussé, coudoyé par la foule de courtisans qui sont là, toujours là, j'eus lieu d'observer tout à mon aise, et la bassesse de ceux-ci et la sotte impertinence de celui qu'ils appellent leur maître. Qu'il vous suffise de savoir que je sus y étudier les hommes, et que ce n'est pas là qu'ils se présentèrent à moi du côté qui leur est le plus favorable. Fatigué de la grandeur, bien petite, de tous ces messieurs, affaibli par une blessure presque incurable que j'avais reçue à l'armée, je voulus me retirer dans une campagne que j'avais achetée sur les bords de l'Elbe, en Silésie. J'y avais passé deux ans lorsque j'appris que mon père venait de mourir, et qu'il fallait que je me rendisse sur-le-champ en Bohême, pour y recueillir sa riche succession qui m'appartenait, à moi seul. Je vendis donc ma petite possession rurale, et j'arrivai ici, ici même dans ce château où je songeai à mettre de l'ordre dans mes affaires.

      »Faut-il vous dire tout, mes enfans; faut-il vous dire que j'avais comme vous connu l'amour, et que l'amour avait fait mes tourmens, comme il va faire votre bonheur. Cécile-Clémence d'Ernesté joignait aux graces de la figure, la finesse de l'esprit et le charme des talens. Elle avait tout pour plaire; je la vis, je l'aimai, que dis-je, je l'adorai; elle dépendait d'une mère, d'une mère spirituelle et sensée, mais sévère, trop sévère envers une fille aussi accomplie. Lorsque j'entrai dans cette maison, je fus surpris de la tristesse, de la timidité de Cécile et de la dureté de madame d'Ernesté. J'y allais souvent; la mère connaissait même ma passion pour sa fille, et ne ménageait pas davantage Cécile devant moi. Lorsque je prenais la liberté de remontrer à madame d'Ernesté qu'elle séchait le cœur de sa fille par ses manières brusques, brutales même, elle me répondait les larmes aux yeux: Ah! monsieur, mon cher monsieur!.. vous ne savez pas, vous ne vous doutez pas des motifs de haine que je dois avoir… Toute autre mère à ma place… Mais, non, non, je m'abuse: vous avez raison, mon cher Fritzierne, je sens que mes procédés envers cette enfant… Mais soyez mon, gendre, mon ami; devenez son époux, et chargez-vous du soin de la conduire, de la morigéner!.. Je n'aurai aucun droit sur elle, alors vous ne me gronderez plus.

      »Sans faire beaucoup d'attention à ces discours, que j'attribuais à l'humeur contrariante de cette femme, je pris le parti d'avouer mon amour à la belle Cécile… Elle reçut cet aveu avec une espèce d'effroi… Vous, monsieur, s'écria-t-elle, vous voudriez épouser une malheureuse fille, privée de… de tout ce qui peut lui rendre la vie supportable! – Que dites-vous, mademoiselle?.. N'avez-vous pas une mère? – Une mère, une mère!.. Oh! oui, oui, je ne le sais que trop.

      »Je crus entrevoir un refus dans ces mots, ou le soupçon de tyrannie de la part de sa mère, tyrannie à laquelle j'étais bien loin de me prêter. Enfin, que vous dirai-je? ma persévérance, mes soins et mon ardent amour, tout parut vaincre la résistance de Cécile. Elle consentit enfin à m'épouser, ou plutôt elle céda aux menaces de sa mère, ainsi que je l'ai su par la suites… Quelques mois après notre mariage, madame d'Ernesté mourut, et mon épouse ne parut pas beaucoup la regretter. Cependant, pour l'éloigner de l'aspect d'un séjour où sa jeunesse avait été malheureuse, car elle était en Silésie, où nous demeurions alors, je l'emmenais avec moi dans ce château, où, comme je vous l'ai dit, la succession de mon père m'appelait. C'est ici, mes amis, que les plus cruels malheurs m'attendaient. D'abord je m'apperçus que ma femme faisait de fréquentes absences, qu'elle passait souvent des journées entières loin de moi, et que, le soir, elle s'emportait lorsque je lui demandais doucement les motifs de cet éloignement. Elle venait de donner le jour à une fille, à Clémence, que tu vois près de toi, cher Victor; et cette mère coupable, non contente d'avoir livré cette intéressante créature à des soins, à un lait mercenaires, ne s'occupait ni d'elle, ni de moi. À la fin cette conduite me révolta, et je pris tous les moyens d'en percer l'obscurité. Une seule femme-de-chambre était dans la confidence de mon épouse. Je pressai, j'intimidai si bien cette femme, qu'elle m'avoua que madame se rendait tous les jours, à une heure convenue à l'entrée de la montagne voisine, chez une fermière, où se trouvait un jeune homme; que le jeune homme et ma femme laissaient là la femme-de-chambre pendant des heures entières et qu'on ne savait où tous deux allaient passer leur temps. Cette découverte me rendit furieux: j'engageai la femme-de-chambre à garder le secret sur l'aveu qu'elle venait de me faire; et ce jour même, une heure après le départ de ma femme, je suivis ses pas, et me rendis chez cette fermière complaisante, dont j'avais l'adresse… J'entre: quel tableau frappe mes regards! Ma femme assise auprès de son amant, passant nonchalamment une main autour de son cou, et lui donnant l'autre, qu'il couvre de baisers. À cette vue, la rage s'empare de mes sens. Ô le plus perfide des hommes, lui dis-je, défends tes jours!..

      »Ma femme jette un cri; l'inconnu se lève, nos sabres s'engagent, et je le jette mort à mes pieds… Cécile tombe évanouie; je la fais transporter chez moi, où elle ne recouvre ses sens qu'une heure après qu'on l'a mise dans son lit… Je m'apprêtais déjà à lui faire tous les reproches qu'elle méritait, lorsqu'elle me tint cet étrange discours: Monstre!.. homme barbare! tyran de ma jeunesse, digne de la mère qui m'a sacrifiée!.. apprends que c'est mon époux que tu as immolé à ta basse jalousie!.. – Votre époux! – Oui, homme féroce, oui, mon époux! Un mariage secret nous avait unis long-temps avant que je te connusse. Ma mère, qui nous avait tant persécutés tous deux, l'apprit, ce fatal mariage… elle força mon époux à s'expatrier. La cruelle me persuada ensuite qu'il était mort, que je l'avais perdu pour jamais… Je le crus, hélas! Vous paraissez, vous demandez ma main. Ma mère me menace de sa malédiction, de la mort même… Persuadée que les liens de l'amour sont rompus, je forme malgré moi ceux de l'orgueil, ceux de l'intérêt… Mon amant, mon premier mari revient; je l'apprends, je le vois… Nous nous occupons ensemble des moyens de vous apprendre cet événement, et vous l'assassinez dans mes bras! Il n'est plus, il n'est plus! et c'est moi qui cause sa mort!.. Je te rejoindrai, ombre chère et sanglante, nous nous reverrons… bientôt! Les hommes nous ont séparés, mais la mort nous réunira!.. Prenez soin, monsieur, au moins, prenez soin du fils, puisque vous avez immolé le père!.. J'étais mère… avant d'être à vous… Je le cachais à tous les regards, ce fils d'un homme à qui le sort avait refusé la naissance, la fortune; mais comme il aimait!.. quel époux!.. Vous trouverez dans ce secrétaire la preuve légitime d'un hymen que vous venez de rompre… (sa voix s'affaiblit.) Cet enfant, ce fils… chéri!.. la fermière vous dira… elle sait où il est… où nous allions tous les jours… l'embrasser… son père et moi… Songez…

      »Cécile ne peut plus achever; elle expire… Étonné, attendri, effrayé même de cette mort peu naturelle, je me jette sur elle… Dieux! son sang coule… Elle vient de se percer d'un poignard homicide… L'infortunée!.. et c'est moi qui cause tous ces maux!.. c'est moi qui les tue, ces deux amans, ces deux époux!.. Malheureuse Cécile!.. mariée secrètement avec moi!.. Eh! pourquoi ne m'a-t-elle pas confié?.. J'étais assez délicat pour lui remettre sa foi; nous serions tous heureux…

      »Vous jugez, mes amis, de l'excès de ma douleur, de mon repentir. Je me jette sur ce corps sanglant pour le ranimer du feu de mes baisers. Vains efforts; il reste froid, froid… glacé… Mais abrégeons cette scène d'horreur.

      »Dès que j'eus fait rendre les derniers devoirs à l'infortunée Cécile, je courus au secrétaire, СКАЧАТЬ