Robert Burns. Angellier Auguste
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Robert Burns - Angellier Auguste страница 33

Название: Robert Burns

Автор: Angellier Auguste

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

Серия:

isbn:

isbn:

СКАЧАТЬ l'anoblissement en littérature ne s'obtient, comme en sculpture, que par le sacrifice des traits individuels et vulgaires, au moyen d'une sorte de généralisation. La recherche de la beauté et de l'élévation soutenues, dans l'art d'écrire, conduit donc à une forme générale et abstraite. Elle substitue des idées à des faits, des considérations à des observations. Elle est ainsi amenée à mettre le développement ab intra et l'enchaînement logique, qui est le développement naturel des conceptions abstraites, à la place du défilé irrégulier et imprévu des faits. Elle substitue la belle ordonnance oratoire aux soubresauts et aux hasards de la réalité. Elle aboutit ainsi à une opération intérieure et, en dernière analyse, toute personnelle; et l'œuvre qui en résulte reste toujours une œuvre subjective. C'est pourquoi il est plus facile de connaître la personnalité d'un écrivain oratoire que d'un écrivain dramatique. Après avoir lu Milton, on le connaît; après avoir lu Shakspeare, on ne sait rien de lui. Ne sent-on pas qu'il serait plus facile de donner la formule de l'esprit de Corneille que de Molière? Cette façon de traiter les choses peut fournir un art très fier et très noble, comme celui de notre XVIIe siècle. Elle est élevée; mais elle est limitée. Elle n'est pas en contact direct avec la vie; elle enlève aux œuvres de la précision et de la variété. Elle ne connaît que les sommets qui sont toujours étroits. Avec cet idéal, on peut être un grand orateur, un grand poète tragique, admirable dans les situations nobles, les plaidoyers moraux, et les analyses psychologiques générales; on ne saurait être un peintre très complet et très fidèle de la vie réelle. L'éducation qui le développe dans les esprits y diminue, en tant qu'elle agit sur eux, la faculté de saisir la vie sur le fait.

      La discipline littéraire est encore nuisible et restrictive en ce qu'elle empêche l'écrivain de se livrer sans arrière-pensée à la joie de reproduire simplement ce qu'il voit. La pensée d'un idéal à atteindre, d'une perfection irréalisable, le trouble, l'inquiète, le tourmente et le contraint. Cette gêne nuit au naturel, à l'aisance, et à la familiarité de la forme. Celle-ci prend une perfection et une beauté par elle-même, indépendante des choses qu'elle représente, et, par là encore, achète sa hauteur au prix d'un peu de vérité. Aussi, c'est un fait remarquable que les plus grands peintres de réalité que l'Angleterre ait eus: Chaucer, Shakspeare, Bunyan, Dickens, sont tous des hommes sans éducation littéraire. Fielding fait seul exception. Mais il s'en était affranchi, en vivant beaucoup et en roulant le monde. Il se rapproche par là de Cervantès et de Molière, deux autres grands montreurs d'hommes, qui n'ont jamais cherché à faire acte de perfection littéraire, mais de vérité.

      Il est à peine besoin d'insister sur ce fait que l'idéal littéraire du XVIIIe siècle était particulièrement contraire, particulièrement funeste à une représentation sincère et complète de la vie. En Angleterre, comme en France, c'était un idéal d'élégance classique. Le goût des choses distinguées, une préférence pour les déclamations générales et le poli du style, dominaient. L'esprit académique y était même plus souverain que chez nous; il y avait pris plus récemment le pouvoir et ne donnait pas encore les signes de fatigue d'un long règne. La vie de Burns coïncide, précisément, avec son moment le plus brillant. Pope était mort en 1744, quinze ans à peine avant la naissance de Burns. Quand celui-ci naquit, le Dr Johnson, la personnification du style classique, arrivait à la royauté littéraire qu'il devait exercer sur la dernière moitié du siècle. Quand Burns mourut, il y avait seize ans que le vieux docteur était mort, mais presque tous ses amis existaient encore et son prestige lui survivait. C'était une période dangereuse. Et Johnson lui-même n'était-il pas un exemple frappant de la façon dont un idéal littéraire peut guinder et rétrécir un esprit? Il y avait en lui un riche fonds d'observation variée, concrète, d'humour, de sensibilité, de rire, et il a donné des écrits qui, avec leurs grands mérites, sont raides, froids et vagues. L'œuvre est loin de valoir l'âme, et Johnson ne serait qu'un pédant ennuyeux si nous ne l'entendions causer dans les pages de Boswell. Sa conversation valait mieux que son style. Les deux récits du même fait, rapprochés par Macaulay235, sont un exemple de la façon dont une préoccupation littéraire peut gâter les impressions. Le premier est une excellente scène de comédie précise et vivante; l'autre est une page de style artificiel. Les quelques hommes du XVIIIe siècle qui ont vraiment touché à la vie, Swift, Fielding, Smollett, Richardson, Goldsmith, sont des irréguliers ou des bohèmes. Rien ne pouvait être plus opposé à la façon dont Burns a peint la vie que les mœurs littéraires de son temps.

      Qu'il ait pu y avoir péril pour lui à un commerce trop prolongé avec le goût de cette époque, cela n'est pas douteux. Il suffit de voir combien l'homme de lettres s'est montré en lui, après son séjour à Édimbourg. À partir de cette époque, ses œuvres contiennent des imitations de Pope et de Gray, des morceaux sans saveur, abstraits et de tout point inférieurs à ses productions originales. Heureusement, le contact fut trop court, et il eut le bonheur de puiser aussitôt à la source des chansons populaires. Mais on sent très clairement le danger236. On peut voir encore par ailleurs combien la mode littéraire aurait agi sur lui. Il avait formé son style épistolaire sur les recueils de lettres du XVIIIe siècle. Sa correspondance, très remarquable comme effort littéraire et souvent très belle, est cependant bien loin de ses vers. On y trouve des dissertations éloquentes et des révélations personnelles parfois touchantes, mais dans un style abstrait, oratoire et souvent déclamatoire. Ses vraies qualités natives d'observation, de gaieté, de naturel n'y apparaissent pas. Elle n'est qu'une œuvre de pur effet littéraire.

      Par les mêmes raisons, sa gaîté a été sauvegardée. Rien ne nuit plus au rire simple, franc et large, que la préoccupation de créer un art toujours noble. La noblesse ne va pas sans gravité. Le rire n'est pas esthétique. Les joyeux bonshommes de Téniers n'ont-ils pas été traités de magots? Les époques dominées par un idéal de dignité et de beauté restent sérieuses. Qu'est devenu le rire du Menteur, qu'est devenu le rire charmant des Plaideurs, lorsque Corneille et Racine se sont consacrés uniquement à la tragédie? Il s'est éteint en eux comme une faculté inactive. N'y avons-nous rien perdu? N'existait-il pas dans ces deux hommes une force comique qui a été atrophiée par la tendance vers un art toujours imposant? Ce quelque chose de solennel, cette tenue, cette bienséance, qui excluent le laisser-aller du rire, est un résultat presque aussi inévitable de la culture littéraire que la tendance à l'abstrait, dont nous parlions plus haut. La grâce, l'urbanité, la plaisanterie modérée, le sourire fin, peuvent se plaire dans cette atmosphère distinguée; le rire fougueux, bruyant, et populaire s'y sent gêné.

      D'autre part, aucun jugement moral n'intervenait pour restreindre sa sympathie envers les caractères des hommes. On peut dire que cette absence de préoccupation morale n'est pas moins nécessaire à une représentation étendue de la vie que l'absence de préoccupation esthétique; elle en est le complément intérieur; elle est indispensable à un peintre d'hommes, s'il veut être autre chose qu'un satiriste. Pour qui les examine avec rigueur, les actions humaines perdent toute saveur dans le goût amer du blâme. Elles se flétrissent entre ses mains, honteuses d'elles-mêmes, et ligotées par les reproches. De plus, un tel homme restera toujours en dehors d'elles, étant un juge. Or, pour faire vraiment exister une âme ou un acte, il faut être en sympathie momentanée avec eux, vivre en eux, fussent-ils mauvais, quitte à se prononcer quand leur œuvre est achevée, ou plutôt à laisser parler les résultats. Cela est si vrai que, dans Molière, la figure de Don Juan est une création dramatiquement supérieure à celle de Tartuffe, parce qu'elle contient moins de réprobation. Le poète a abordé ce dernier avec une indignation devant laquelle le personnage s'est refermé. C'est un caractère clos. Nous ne savons de lui que ses actes, nous n'entrons pas en lui, il nous reste inconnu, comme à ceux qui ont déjoué ses trames sans pénétrer son âme. C'est un caractère traité par le dehors, comme dans une satire. Dans Shakspeare, cette installation au cœur du personnage est constante. Pendant que Iago lui-même parle et agit, nous sommes en lui, et ce scélérat énigmatique, s'il ne nous livre ni les origines de son mépris pour les hommes, ni ses dernières réflexions sur la vie, nous donne au moins des moments de son âme, la СКАЧАТЬ



<p>235</p>

Macaulay. Essay on Boswell's Life of Johnson.

<p>236</p>

Voir dans la partie biographique, pages 456-57.