Histoire Anecdotique de l'Ancien Théâtre en France, Tome Second. Du Casse Albert
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Читать онлайн книгу Histoire Anecdotique de l'Ancien Théâtre en France, Tome Second - Du Casse Albert страница 13

СКАЧАТЬ style="font-size:15px;">      le parterre, alors souverain au théâtre, confus d'avoir pris le change, tourna contre la pièce la mauvaise humeur qu'il ressentait d'avoir si maladroitement jugé.

      Boileau disait partout, et à qui voulait l'entendre, que cette comédie aurait un succès prodigieux, qu'elle porterait aux nues la gloire de Molière. – «Bah! reprit un jour ce dernier, vous verrez bien autre chose.» Il voulait parler du Tartuffe, pièce à laquelle il mettait alors la dernière main, et qu'il préférait évidemment au Misanthrope.

      Afin de ramener le public à des sentiments plus justes, voici ce qu'imagina Molière. Il prit dans les petites comédies qu'il avait fait jadis représenter en province, le sujet d'une pièce fort amusante dont nous avons parlé plus haut: le Médecin malgré lui ou le Fagoteux. Il remit au théâtre le Misanthrope, précédé de ce Fagoteux, qui eut un grand succès et fut joué trois mois de suite, toujours précédant le Misanthrope. Ainsi, à l'aide de la farce et sous son abri tutélaire, le chef-d'œuvre de Molière s'insinua tout doucettement dans la faveur du parterre. D'abord on le supporta; ensuite on le demanda; puis on l'apprécia, et, comme l'avait prédit Boileau, on le comprit et on l'admira.

      Les ennemis de Molière voulurent persuader au duc de Montausier, grand seigneur d'une vertu austère, qu'Alceste, c'était lui; qu'on avait voulu le mettre en scène. Le duc alla voir la pièce et dit tout haut, en sortant, qu'il voudrait bien ressembler au Misanthrope.

      Depuis le mois d'août 1665, la troupe de Molière avait reçu le titre de troupe du Roi, et Louis XIV, pour la fixer tout à fait à son service, lui avait accordé une pension de sept mille livres.

      C'est en 1667 que le Tartuffe parut en entier sur la scène du Palais-Royal. Déjà donc, depuis près de deux ans, la troupe qui avait été jadis l'Illustre Théâtre, était en possession du titre qui faisait sa gloire, lorsque le second chef-d'œuvre de son directeur vint soulever une tempête, non-seulement dans le monde littéraire de l'époque, mais encore et surtout dans le monde religieux, qui voulait voir absolument, dans le Tartuffe, la personnification des hommes jetés dans la dévotion, au lieu d'y voir la critique des hypocrites et des faux dévots.

      D'où vint à Molière la première idée du Tartuffe, c'est ce que l'on ignore, mais on connaît à quelle source il a puisé le nom singulier de cette comédie, nom qui est resté type pour la désignation des hommes vicieux, grimaçant la dévotion et se faisant de la religion un masque pour arriver à des fins peu avouables. A l'époque où Molière travaillait à ce chef-d'œuvre, il vint faire une visite au nonce du Pape, chez lequel se trouvaient deux ecclésiastiques à l'air mortifié, à la mine hypocrite, rendant assez bien, quant à l'extérieur, l'idée du personnage qu'il avait alors en tête de placer à la scène. A cet instant, et tandis qu'il les examinait de son œil scrutateur, on vint présenter au nonce des truffes à acheter. Un des ecclésiastiques, qui savait un peu d'italien, à ce mot de truffes sembla, pour les considérer, sortir tout à coup du dévot silence qu'il gardait, et, choisissant avec soin les plus belles, il s'écriait d'un air riant: Tartufoli, signor nuntio, tartufoli. Molière eut à l'instant la pensée de faire de cette exclamation enthousiaste et gourmande, dans laquelle se peignait la convoitise, le titre de sa pièce, et le nom de Tartuffe prit place dans le dictionnaire de la langue française.

      Un des plus jolis mots de cette admirable comédie fut donné à l'auteur par Louis XIV lui-même, alors fort éloigné de se douter qu'il était observé par son valet de chambre tapissier, lequel prenait partout où il y avait quelque chose de bon à glaner.

      En 1662, sur la fin de l'été, pendant la marche de l'armée française sur la Lorraine, le Roi allait se mettre à table un jour de jeûne, lorsque, ayant conseillé à son précepteur d'en faire autant, l'évêque crut devoir faire observer à Sa Majesté que, pour jeûner, il ne fallait faire qu'une légère collation. Cette réponse de l'évêque fit poindre un sourire sur les lèvres d'un courtisan; Louis XIV voulut en connaître la cause, le rieur lui raconta alors le détail du dîner du prélat auquel il avait assisté. A chaque mets recherché et copieux que le conteur faisait passer sur la table de l'évêque, le Roi s'écriait: le pauvre homme! et chaque fois il variait son intonation, de sorte que cette scène était des plus comiques. Molière s'en empara, et la reproduisit dans son Tartuffe. Lorsque les trois premiers actes furent joués devant le Roi, il rappela cette histoire à Louis XIV, auquel cette délicate flatterie fut loin de déplaire.

      Si les marquis, les médecins, les grandes dames de la Cour, les bourgeois n'avaient pas été assez puissants pour empêcher Molière de les mettre en scène et de faire rire à leurs dépens, les dévots eurent plus de force. Ils s'armèrent contre l'auteur du Tartuffe, et firent si bien qu'on crut longtemps que cette pièce frisait l'impiété. Ils mirent une fureur incroyable dans la lutte, et arrivèrent à persuader au Roi, qui cependant en avait approuvé les trois premiers actes en 1664, qu'il y allait de son salut de défendre une comédie attentatoire à la morale, à la religion, et dont l'auteur méritait le feu.

      Louis XIV, influencé par ce qu'il entendait dire, ordonna que cette comédie ne serait pas représentée qu'elle ne fût terminée et qu'elle n'eût été examinée avec soin par des gens capables de discerner ce qui pouvait s'y trouver de répréhensible. Les choses allèrent si bien que, dans un livre qu'il présenta au Roi, un curé déclara damner Molière de sa propre autorité. Des prélats, le légat lui-même, aussi bien que Louis XIV, après avoir entendu la lecture du Tartuffe, le jugèrent plus favorablement, et permission verbale fut accordée par le souverain à sa troupe de représenter cette pièce sous le titre de l'Imposteur. Il fut prescrit aussi que l'acteur chargé du rôle de Tartuffe prendrait le nom de Panulphe, et qu'au lieu de porter le petit collet et tout ce qui constituait le costume ecclésiastique, il aurait l'épée, le chapeau, en un mot l'habit de l'homme du monde.

      Enfin, cette comédie, qui avait tant fait parler d'elle avant de paraître et qui devait appeler encore bien des tempêtes, fut donnée sur le théâtre du Palais-Royal le 5 août 1667. Le sujet était délicat, les hypocrites ne voulaient pas être démasqués, beaucoup de vrais dévots et de gens simples ne voyaient que la religion mise en jeu, sans voir qu'il n'était question que des faux dévots.

      La première représentation eut lieu. Au moment où les acteurs allaient entrer en scène pour la deuxième, une défense du Parlement de jouer la pièce arriva, et Molière, s'adressant au public, lui dit: «Messieurs, nous comptions aujourd'hui avoir l'honneur de vous donner le Tartuffe; mais M. le premier-président ne veut pas qu'on le joue3,» mot à double entente, qui fit beaucoup rire le parterre et qui fut parodié quelques années plus tard par des acteurs de province. Ces acteurs jouaient le Tartuffe depuis quelque temps, lorsque l'évêque mourut; le successeur voulut que les comédiens quittassent la ville avant son arrivée. La veille de leur départ, celui qui annonça, se présentant au public comme si on devait encore jouer le jour suivant, dit: «Messieurs, demain vous aurez le Tartuffe

      Deux ans s'écoulèrent, et pendant ces deux années, malgré les placets, les demandes, les supplications de Molière, le Tartuffe ne parut pas. Enfin Louis XIV se laissa persuader que ce chef-d'œuvre n'attaquait nullement la religion. Permission fut donc donnée de le reprendre. Les amis de Molière vinrent l'en féliciter, disant que cette comédie, loin d'être mauvaise, mettait la vertu dans tout son jour. «Cela est vrai, s'écria l'auteur; mais je trouve qu'il est fort dangereux de prendre ses intérêts; au prix qu'il m'en coûte, je me suis repenti plusieurs fois de l'avoir fait.»

      Un des hommes les plus contraires au Tartuffe de Molière fut le célèbre Bourdaloue qui, dans son sermon du septième dimanche après Pâques, lui consacra une espèce de long réquisitoire.

      A l'époque où l'on défendait cette pièce СКАЧАТЬ



<p>3</p>

Cette plaisanterie de Molière s'appliquait à tout le Parlement plutôt qu'au premier-président, M. de Lamoignon, homme d'une piété sincère et qu'il était impossible de confondre avec les faux dévots ou tartuffes.