Histoire Anecdotique de l'Ancien Théâtre en France, Tome Second. Du Casse Albert
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Читать онлайн книгу Histoire Anecdotique de l'Ancien Théâtre en France, Tome Second - Du Casse Albert страница 16

СКАЧАТЬ seconde farce.

      Lucas veut faire un voyage aux Indes. Mais il est inquiet; comment faire garder la vertu de sa fille Isabelle? Il en confie la garde à Tabarin, qui promet d'être toujours dessus. Lucas part. Isabelle charge Tabarin d'une commission pour le capitaine Rodomont, son amant. Tabarin promet à Rodomont de le faire entrer dans la maison de sa maîtresse, et il lui persuade, pour que les voisins ne s'en aperçoivent pas, de se mettre dans un sac. Le capitaine y consent, et tout de suite on le porte chez Isabelle. Dans le même temps, Lucas arrive des Indes. Il voit ce sac où est Rodomont, il le prend pour un ballot de marchandises, et l'ouvre. Il est fort étonné d'en voir sortir Rodomont, qui lui fait accroire qu'il ne s'y était caché que pour ne pas épouser une vieille qui avait cinquante mille écus. Lucas, tenté par une si grosse somme, prend la place du capitaine, et se met dans le sac. Alors Isabelle et Tabarin paraissent. Rodomont dit à sa maîtresse qu'il a enfermé dans ce sac un voleur qui en voulait à ses biens et à son honneur. Ils prennent tous un bâton, battent beaucoup Lucas, qui trouve enfin le moyen de se faire reconnaître et la pièce finit.

      La Comtesse d'Escarbagnas est une petite pièce, peinture naïve des ridicules de la province. On se récria d'abord à la Cour, quand Molière la fit jouer; mais le public ne fut pas de l'avis de la Cour. On la vit avec plaisir, on y courut en foule. Le rôle de la Comtesse était rempli par Hubert, acteur excellent pour ces sortes de caractères de femme. C'est lui qui faisait encore madame Pernelle du Tartuffe, madame Jourdain du Bourgeois gentilhomme, et madame de Sotenville du George Dandin.

      La marquise de Villarceaux, dont le mari était l'amant de la fameuse Ninon, avait un jour beaucoup de monde chez elle; on voulut voir son fils. Le précepteur de l'enfant, pédant s'il en fût, ayant reçu l'ordre de faire briller son élève en l'interrogeant sur ce qu'il savait, lui posa cette question: «Quem habuit successorem Belus, Assyriorum?Ninum,» répondit sans hésiter l'élève. La similitude de nom frappa la marquise qui, s'imaginant qu'il s'agissait de la belle Ninon, s'écria: – «Mon Dieu, Monsieur, quelle sottise que d'entretenir mon fils des folies de son père.» Le mot était joli, l'histoire plaisante, elle se répandit et vint bientôt aux oreilles de Molière qui s'en empara et en fit une des plus jolies scènes de sa Comtesse d'Escarbagnas. Il utilisa aussi très-spirituellement le nom de Martial, alors parfumeur de la Cour et valet de chambre de Monsieur. «Je trouve ces vers admirables, dit le vicomte à la seizième scène, en parlant à M. Thibaudier, amant de la comtesse, et qui venait de lire deux strophes de sa composition; ce sont deux épigrammes aussi bonnes que toutes celles de Martial. – Quoi! reprend la comtesse, Martial fait des vers? Je pensais qu'il ne fît que des gants? – Ce n'est pas ce Martial-là, Madame, s'empresse de répondre M. Thibaudier, c'est un auteur qui vivait il y a trente ou quarante ans

      Nulle espèce de ridicule, comme on voit, n'échappait à Molière; il le poursuivait jusqu'au fond de la province. Angoulême, Limoges, comme Paris, étaient ses tributaires. Par le siècle qui court de chemin de fer et de télégraphe électrique, on aurait peut-être quelque peine à trouver en Angoumois, en Limousin ou en Gascogne une comtesse d'Escarbagnas; mais au temps du Grand Roi, alors que le coche était le grand moyen de locomotion, et que les gazettes de Paris ne se pouvaient lire à la même heure à deux cents lieues de distance, alors que chaque petite ville n'avait ni son journal ni le cours de la Bourse, il y avait beaucoup de comtesses pareilles à celle que nous dépeint Molière.

      Une des dernières comédies de Molière, et l'une des plus belles, les Femmes savantes, causa d'abord à l'auteur le même chagrin que celui éprouvé par lui à la première représentation du Bourgeois gentilhomme. Le grand arbitre souverain de toutes choses, Louis XIV, ne donna son avis qu'à la seconde représentation, en disant à l'auteur que sa pièce était très-bonne et qu'elle lui avait fait beaucoup de plaisir.

      L'abbé Cotin, irrité contre Despréaux qui l'avait raillé, dans sa troisième satire, sur le petit nombre d'auditeurs qu'il avait à ses sermons, fit une mauvaise satire contre lui dans laquelle on lui reprochait, comme un grand crime, d'avoir imité Horace et Juvénal. Cotin ne s'en tint pas à sa satire: il publia un autre ouvrage sous ce titre: la Critique désintéressée sur les satires du temps. Il y chargea Despréaux des injures les plus grossières, et lui imputa des crimes imaginaires, comme de ne reconnaître ni Dieu, ni foi, ni loi. Il s'avisa encore, malheureusement pour lui, de faire entrer Molière dans cette dispute, et ne l'épargna pas, non plus que Despréaux. Celui-ci ne s'en vengea que par de nouvelles railleries; mais Molière acheva de le perdre de réputation, en l'immolant sur le théâtre, à la risée publique, dans la comédie des Femmes savantes.

      La scène cinquième du troisième acte de cette pièce, est l'endroit qui a fait le plus de bruit. Trissotin et Vadius y sont peints d'après nature. Car l'abbé Cotin était véritablement l'auteur du sonnet à la princesse Uranie. Il l'avait fait pour madame de Nemours, et il était allé le montrer à Mademoiselle, princesse qui se plaisait à ces sortes de petits ouvrages, et qui, d'ailleurs, considérait fort l'abbé Cotin, jusqu'à l'honorer du nom de son ami. Comme il achevait de lire ses vers, Ménage entra. Mademoiselle les fit voir à Ménage, sans lui en nommer l'auteur. Ménage les trouva, ce qu'effectivement ils étaient, détestables. Là-dessus nos deux poëtes se dirent à peu près l'un à l'autre les douceurs que Molière a si agréablement rimées.

      Ce fut Despréaux, à ce qu'on prétend, qui fournit à Molière l'idée de la scène des Femmes savantes entre Trissotin et Vadius. La même scène s'était passée, a-t-on dit aussi, entre Gilles Boileau, frère du satirique, et l'abbé Cotin. Molière était en peine de trouver un mauvais ouvrage pour exercer sa critique, et Despréaux lui apporta le propre sonnet de l'abbé Cotin avec un madrigal du même auteur, dont Molière sut si bien faire son profit dans sa scène incomparable.

      Molière fit acheter un des habits de Cotin pour le faire porter à celui qui faisait le personnage dans sa pièce. Molière joua d'abord Cotin sous le nom de Tricotin, que plus malicieusement, sous prétexte de mieux déguiser, il changea depuis en Trissotin, équivalant à trois fois sot. Jamais homme, excepté Montmaur, n'a tant été turlupiné que le pauvre Cotin. On fit en 1682, peu de temps après sa mort, ces quatre vers:

      Savez-vous en quoi Cotin

      Diffère de Trissotin?

      Cotin a fini ses jours,

      Trissotin vivra toujours.

      A l'égard de Vadius, le public a été persuadé que c'était Ménage. Et Richelet, aux mots s'adresser et reprocher, ne l'a pas dissimulé. Ménage disait à ce sujet: «On dit que les Femmes savantes de Molière sont mesdames de… et l'on me veut faire accroire que je suis le savant qui parle d'un ton doux. Ce sont choses cependant que Molière désavouait.»

      Molière a joué, dans ses Femmes savantes, l'hôtel de Rambouillet, qui était le rendez-vous de tous les beaux-esprits. Molière y eut un grand succès et y était fort bien venu; mais lui ayant été dit quelques railleries piquantes de la part de Cotin et de Ménage, il n'y mit plus le pied, et joua, comme nous l'avons dit, Cotin sous le nom de Trissotin et Ménage sous le nom de Vadius. Cotin avait introduit Ménage chez madame de Rambouillet: ce dernier allant voir cette dame après la première représentation des Femmes savantes, où elle s'était trouvée, elle ne put s'empêcher de lui dire: «Quoi! Monsieur, vous souffrirez que cet impertinent de Molière nous joue de la sorte?» Ménage ne lui fit point d'autre réponse que celle-ci: «Madame, j'ai vu la pièce, elle est parfaitement belle; on n'y peut rien trouver à redire, ni à critiquer.» Si ce récit est vrai, il fait honneur à Ménage.

      Bayle a pris plaisir de peindre l'effet que la comédie des Femmes savantes produisit sur Cotin et sur ses admirateurs. Ce passage est curieux. Nous le transcrirons en entier:

      «Cotin, qui n'avait été déjà que trop exposé au mépris public par les satires de M. Despréaux, tomba entre les mains de Molière qui СКАЧАТЬ