Barnabé. Fabre Ferdinand
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Название: Barnabé

Автор: Fabre Ferdinand

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ la figure. Puisque je suis un voleur, va-t’en administrer toi-même les remèdes à tes pratiques, et ne leur vole pas leur argent, honnête homme que tu es!..

      Il s’assit, épongeant son front qui ruisselait.

      – J’ai tous les sens tournés, barbouilla-t-il, et il ne faudrait pas qu’en ce moment un ennemi me tombât sous le bourdon.

      Abandonnant le Frère à ses déportements, j’avais ouvert la fenêtre. Il me semblait que les tambours, dont tout à l’heure j’avais perçu le premier bruit, se rapprochaient et qu’ils battaient le rappel. Je ne me trompais pas. Au bout de la rue de la Digue, une foule énorme rassemblée m’annonçait, sur ce point, la présence des comédiens. Tout à coup la multitude des curieux, qui formait un cercle compacte, s’entr’ouvrit et, dans l’écartement des groupes, apparurent les Catalans. Ils s’avancèrent vers notre maison, lentement, menant en laisse toutes espèces de bêtes muselées.

      – Barnabé! Barnabé! appelai-je.

      Le Frère lâcha M. Anselme Benoît, qu’il retenait entre ses dents, et sur mon invitation prit place à la fenêtre à côté de moi.

      Les meneurs d’animaux marchaient toujours dans une tourbe de gamins, les uns gambadant, les autres regardant ahuris. Ces hommes allaient gravement, solennellement. Leur mine avait une expression sévère, presque terrible, contractée sans doute dans l’exercice de leur affreux métier. La bête, avec laquelle ils vivaient depuis trop longtemps, avait laissé je ne sais quel reflet féroce sur leurs traits amaigris et durs. Une large ceinture écarlate ceignait leurs reins souples, nerveux, et, jusque vers le milieu de leur dos rebondi, retombaient les pompons d’une longue bonnette de laine bleue.

      – La comédie sera belle! soupira Barnabé, quand les Catalans défilèrent sous nos yeux… Est-ce possible? ajouta-t-il avec enthousiasme, un taureau de la Camargue, deux loups, trois ânes et une hyène!

      – Cette bête hérissée, c’est une hyène?

      – Oui, une hyène, une vraie. Ça ne vient pas dans nos pays, ce bétail.

      – Et où ça vient-il?

      – Dans les Afriques… Tu sais, les Afriques où les armées de la France se battent avec les Bédouins. Quand il était soldat, mon Félibien a bataillé dans ces contrées. C’est un luron, celui-là!

      Les Catalans avaient disparu, gagnant le Planol par la rue du Vignal.

      – Eh bien? demandai-je à l’ermite, en proie à toutes les angoisses et à toutes les sueurs.

      – Chut! me fit-il portant un doigt à ses lèvres.

      Puis à voix basse:

      – Descends doucement l’escalier, pareillement à un chat qui va faire un mauvais coup. Une fois dans la rue, tu t’en iras en avant, n’ayant l’air de rien, surtout tu ne courras pas. Il ne faut point laisser croire que nous nous échappons. Moi, je te suivrai, mais à distance… Je m’arrêterai même à deux ou trois portes, tout comme si je pratiquais mes quêtes, à l’habitude. Tu m’attendras à l’entrée de la rue du Vignal. S’il le fallait, il y a là de grands platanes, tu pourrais te cacher derrière les troncs qui sont énormes… Je te rejoindrai…

      – Et alors? interrompis-je le cœur palpitant d’espoir.

      – Alors, fillot, nous irons voir si la hyène des Afriques a les dents et les griffes aussi bien établies que les chiens du pays cévenol.

      – Vous me mènerez à la comédie, Barnabé?

      – Je t’y mènerai, mon garçonnet, tout droit comme mon bourdon.

      – Et mon oncle?

      – S’il vit, c’est à moi qu’il le doit. Il fermera les yeux sur cette comédie du Planol, comme il l’a fait sur tant d’autres menues escapades. Je ne suis pas un saint, moi, à l’exemple de Laborie… Allons, pars!

      Ce qui fut dit fut fait.

      V

Mon oncle prend le parti d’acheter une calotte neuve

      Cependant il était écrit que mon engouement tout à fait désordonné pour les Frères libres de Saint-François, lesquels représentaient à mes yeux la vie sans contrainte, la vie en plein air, la vie rustique enfin, m’attirerait quelque méchante affaire sur les bras, et que, Venceslas Labinowski ayant commencé ma perte, Barnabé Lavérune la consommerait.

      Comme l’aventure, aussi singulière que terrible, à laquelle je fus mêlé presque à mon insu, me paraît faite pour mettre de plus en plus en relief le caractère à la fois très simple et très complexe du Frère de Saint-Michel, on me permettra d’entrer dans quelques détails. Ayant à peine entrevu Venceslas, malgré l’attrait d’un type fort original, même dans le milieu de nos ermites cévenols, où l’originalité déborde, je n’ai pu m’étendre longuement sur son compte. Mais j’ai connu à fond Barnabé, mon enfance est remplie du souvenir de cet homme, et je demande à le raconter tout entier.

      Six mois après la disparition de Venceslas Labinowski, qu’aucun gendarme n’était parvenu à harponner ni dans la montagne, ni dans la plaine, je me trouvais installé au presbytère des Aires, bataillant, en compagnie de mon oncle, contre les Fables de Phèdre, lesquelles ne laissaient pas de nous offrir de nombreuses difficultés. Mon oncle avait bien reçu une traduction d’un libraire de Montpellier, M. Seguin; mais il avait négligé de la demander interlinéaire, et, quand il fallait en arriver au mot à mot… Pourtant nous finissions par nous sortir d’embarras. Oh! quelle joie alors, et comme l’élève et le professeur s’embrassaient, encore tout chauds de la lutte et tout enivrés de la victoire!

      Malheureusement la phthisie laryngée dont souffrait le pauvre curé des Aires s’était aggravée à la longue, et il avait dû demander un congé de vingt jours à Monseigneur pour aller prendre les eaux d’Amélie. Quelles préoccupations, bon Dieu!.. Durant tout l’hiver, au coin du feu avec sa vieille gouvernante Marianne, dans la sacristie avec les marguilliers de la paroisse, sur la place du village avec ses simples ouailles, mon oncle s’était entretenu de ce voyage, le plus gros événement de sa vie. Il est certain que, n’ayant point quitté les Aires depuis vingt-cinq ans qu’il desservait ce modeste hameau, il lui en coûtait de s’en éloigner brusquement, surtout pour un motif aussi douloureux qu’une maladie de gorge passée à l’état chronique. Songez donc, plus de cinquante lieues à faire en diligence, car la Compagnie des chemins de fer du Midi n’avait pas encore étendu son réseau jusqu’à nos chaînons cévenols!

      Maintes fois, sentant la tête lui tourner à l’idée d’une pérégrination si lointaine, le saint homme avait essayé, réprimant, Dieu sait par quels efforts, un irrésistible besoin de tousser, de faire revenir son médecin, l’aimable Anselme Benoît, sur une décision qui le remplissait d’effarement. Mais le farouche officier de santé, s’appuyant sur l’opinion de M. le docteur Barascut, de Bédarieux, s’était montré inflexible.

      «Laryngite: eaux d’Amélie!» avait-il répondu, lisant dans un grand livre ouvert.

      Mon oncle donc avait dû se résigner. Il partirait vers Pâques, quand la neige serait fondue aux pentes du mont Caroux et que le soleil nouveau aurait un peu réchauffé la haute vallée d’Orb.

      Le jour de Pâques arriva, et, avec lui, les effluves tièdes du printemps s’épandirent dans l’air, devenu plus transparent et plus СКАЧАТЬ