Название: Barnabé
Автор: Fabre Ferdinand
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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– Et travailleras-tu un peu à Saint-Michel?
– Je travaillerai, mon oncle, je vous le promets.
– N’oublie pas qu’à mon retour je te ferai réciter la grammaire latine jusqu’au «Que retranché.»
– Je la réciterai sans une faute!
Mon oncle m’embrassa. Des pleurs brillaient au coin de ses paupières. Etait-ce regret de me quitter, ou bien mes brusques transports lui avaient-ils fait faire un retour pénible sur lui-même? Qui sait? peut-être avais-je été bien cruel sans le savoir. Je restai tout interdit, n’osant lever mes yeux, qui, sans bien démêler pourquoi, venaient subitement de se remplir de larmes. Marianne, troublée, pour dissimuler un chagrin accablant, quitta sa place sur le granit du foyer, et vint considérer la malle, dont elle ferma à double tour la serrure et le cadenas.
Cependant mon oncle demeurait immobile, pétrifié, promenant des regards vagues à travers les diverses pièces du presbytère, bouleversé de fond en comble. Tout à coup son visage pâle se colora d’une rougeur suspecte. Il toussa. Ce fut une quinte terrible, une quinte qui, ébranlant toute la machine de la tête aux pieds, ne lui permit pas de rester debout. Suant, soufflant, rendu, il s’assit.
A ce moment si triste, parut M. Anselme Benoît.
– Vous voyez, mon ami, lui dit-il, qu’il n’y a plus à hésiter. Plût au ciel que vous eussiez suivi plus tôt mes conseils et ceux du docteur Barascut! Je ne prétends pas que les eaux des Pyrénées vous guérissent radicalement; mais, je vous le garantis, elles produiront de l’amélioration. Un peu de courage, que diable! A cinquante ans, un homme est dans toute la vigueur de l’âge, et vous avez encore de longs jours devant vous.
– Que la volonté de Dieu soit faite en toutes choses! gémit mon oncle.
– Allons, reprit l’officier de santé, la carriole des Garidel est attelée, êtes-vous prêt?
– Je suis prêt.
– La diligence part de Bédarieux pour Béziers à sept heures, et il est cinq heures et demie à présent. Nous n’avons pas de temps à perdre. Êtes-vous heureux! vous allez voir des villes superbes: Béziers, Narbonne, Perpignan…
M. Anselme Benoît se courba et passa sa main droite à l’une des poignées de la malle.
– Marianne, fit-il, désignant l’autre poignée à la gouvernante.
La malle fut enlevée.
Une minute après, la carriole, dirigée par Simonnet Garidel, disparaissait derrière le four communal des Aires, et descendait vers la grande route, dans le fond de la vallée d’Orb.
Marianne et moi, qui avions accompagné mon oncle jusque sur la place du village, nous rentrâmes à la cure en pleurant.
VI
Le lendemain, Barnabé, que Marianne avait fait prévenir aussitôt après le départ de mon oncle, arriva de bonne heure chez nous.
Mais, avant d’aller plus loin en ce récit, il me paraît indispensable d’en portraire minutieusement le héros.
Barnabé Lavérune, ou mieux frère Barnabé, comme on l’appelait aux Aires et partout dans les environs, était un énorme paysan de cinquante-cinq ans, aussi grand, aussi robuste qu’un châtaignier de la montagne. Il avait des bras démesurés, se terminant par des mains cartilagineuses, armées de doigts longs, durs et poilus. Son visage, au beau milieu duquel s’épatait, semblable à un champignon dans les bruyères, un gros nez tuberculeux sillonné de veinules violacées, avait un caractère de gouaillerie ironique qui faisait songer à ces personnages plantureux dont le génie de Rabelais peupla l’abbaye de Thélesme. Les yeux de Barnabé, noirs, petits, étaient singulièrement perçants. Une barbe touffue lui descendait jusqu’au bas de la poitrine, grise autour de la bouche largement coupée, d’un blanc ambré au-dessous du menton.
Notre homme, qui, depuis plus de dix ans, appartenait à la Congrégation des Frères libres de Saint-François, était habillé, accoutré devrais-je dire, d’une soutane. Cette soutane, dans laquelle mon oncle s’était trouvé à son aise, craquait en maints endroits sur la vigoureuse armature de l’ermite de Saint-Michel. Il faut le reconnaître, c’est seulement après huit ans de bons et loyaux services que le curé des Aires avait consenti à se séparer de ce vêtement, élimé par la brosse, aminci par l’usure, un peu troué par-ci par-là. On devine comme ce fourreau de vieux drap, luisant à tous les plis, et dans lequel notre Frère s’était glissé non sans effort, ainsi que dans une gaîne, devait lui aller. Mon oncle étant de petite taille, l’étoffe de la soutane tombait ni plus ni moins jusqu’aux genoux de l’ermite, et là, abandonnait ses tibias à un pantalon de velours bleu, dit chez nous velours d’Espagne, et très en faveur auprès des paysans cévenols.
Aux premiers jours de sa moinerie, pour emprunter le mot de maître François, dans toute la ferveur de sa vocation nouvelle, Barnabé avait caressé le rêve de s’acheter un froc de bure avec capuchon, en tout pareil à celui de la plupart de ses confrères. Mais à la longue, il était revenu de cette coquetterie, ne pouvant se résoudre à toucher au magot de Félibien. Tirer vingt francs du bas sacro-saint au fond duquel gîtait son trésor, c’était, lui semblait-il, ruiner Félibien, lui voler ses montres, ses pendules, le magasin qu’il entrevoyait pour lui dans l’avenir, et il avait accepté avec résignation toutes les loques qu’on lui offrait.
Notre Frère étalait un chapelet à grains énormes noué autour des reins; une croix brillante se balançait sur sa poitrine, retenue par une chaînette de laiton; une pèlerine, bossuée pittoresquement de coquilles polies sur la pierre, lui couvrait les épaules. Son bicorne, autre cadeau de mon oncle, affichait, en guise de bourdaloue, une suite non interrompue de petites images encastrées dans des lamelles de plomb. Ce chapeau, rappelant le couvre-chef célèbre de Louis XI, seyait on ne peut mieux à Barnabé, qui le portait penché sur l’oreille droite avec beaucoup de crânerie.
L’ermite de Saint-Michel, entêté à ne pas être confondu avec ses confrères de Cavimont, de Saint-Raphaël, de Boubals, de Notre-Dame de Nize, de Saint-Sauveur, lesquels depuis longtemps ont abandonné le bourdon, marchait toujours, lui, le bourdon à la main.
«C’est l’insigne de notre Ordre!» répétait-il.
De ce long bâton, souvenir des pèlerinages aux époques de foi, Barnabé avait fait un véritable objet d’art. Outre qu’après de minutieuses recherches, il l’avait coupé lui-même dans un bois de châtaigniers sauvages, nous connaissons que Caramel, de Bédarieux, s’y était appliqué de tout son talent. Un petit miroir enchâssé dans un cadre de cuivre poli étincelait à la cime de cette canne majestueuse, et, à une petite croix surmontant le tout, pendaient, gracieuses et brunes, deux gourdes sèches curieusement historiées à la pointe du couteau. Ces deux gourdes toujours pleines de vin, qui autrefois figuraient le dévouement des ermites aux pèlerins de la Terre-Sainte, Barnabé les vidait aujourd’hui à la plus grande gloire de Dieu. Que diable! on n’est pas Frère libre de Saint-François pour mourir de soif sur la route si âpre de la vie.
– Barnabé, СКАЧАТЬ