La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1. Alcide de Beauchesne
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Читать онлайн книгу La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1 - Alcide de Beauchesne страница 18

СКАЧАТЬ conseillers de la grand'chambre et des gens du Roi) se rend à la Muette pour présenter ses premiers hommages aux nouveaux souverains. La chambre des comptes et la cour des monnaies suivent de près le Parlement. Puis l'Académie française est introduite par le marquis de Dreux, grand maître des cérémonies, et présentée au Roi et à la Reine par le duc de la Vrillière, ministre secrétaire d'État de la maison. Gresset, revenu de sa ville d'Amiens, d'où il ne sortait que dans de grandes circonstances, harangua les jeunes souverains au nom de l'Académie française, dont il était directeur. «Sire, dit-il au Roi en finissant, les brillantes destinées dont ce grand prince (Louis XV) fut privé, vont être remplies par le règne fortuné de Votre Majesté sur la plus noble des monarchies, sur cette nation généreuse, franche, sensible, si distinguée par son amour pour ses maîtres, pour laquelle cet amour est un besoin, une gloire, un bonheur, nation si digne par ses sentiments de l'amour de son Roi54

      Quelles pénibles réflexions ces éloges donnés à la nation ne font-ils pas naître, quand notre mémoire se reporte sur les humiliations, les outrages et la mort que la nation généreuse laissa infliger à ce malheureux prince!

      Et quelles douloureuses pensées ne fait-il pas naître, cet autre discours adressé à la Reine, que nos lecteurs peut-être trouveront trop louangeur, mais auquel les contemporains applaudissaient comme à un hommage mérité, quand Gresset s'exprimait ainsi:

      «Madame,

      »Il ne restoit plus à la nation qu'un sentiment dont elle peut offrir l'hommage à Votre Majesté, celui du plus profond respect qui nous amène au pied du trône; le tribut des autres sentiments vous avoit été offert d'une voix unanime dès que votre présence auguste et chérie a paré nos climats.

      »Tous les titres faits pour commander, réussir et plaire, titres héréditaires dans votre auguste maison; la bienfaisance, la sensibilité pour l'infortune, l'esprit aimable et la vertu embellie de toutes les grâces qui la font adorer, avoient commencé votre empire sur tous les cœurs françois.

      »Dans ces enchantements universels, au milieu de ces acclamations attendrissantes qui précèdent, accompagnent et suivent vos traces, daignez, Madame, en recevant avec bonté le premier hommage de l'Académie françoise, daignez lui permettre d'espérer que Votre Majesté voudra bien honorer quelquefois ses travaux d'un regard.

      »Les lettres, les beaux-arts et le génie sont les organes et les dépositaires de la gloire des empires. Quelle époque plus brillante pourroit les animer et les inspirer que le règne fortuné qui commence? En écrivant, Madame, pour le plus puissant et le plus aimable des rois, en écrivant pour Votre Majesté, l'histoire, l'éloquence et la poésie n'auront que des succès à célébrer, des vertus à peindre et la vérité à exprimer.»

      Ces paroles émurent le Roi et la Reine. Ils y répondirent par quelques mots pleins de bonté. Ils avaient tous deux une véritable sympathie pour Gresset, qui avait éprouvé quelque disgrâce sous le règne précédent; puis ils connaissaient le poëme de Vert-Vert, ce spirituel badinage55 qui a surnagé, aussi bien que le Lutrin, sur ce fleuve du temps où tant de gros livres s'enfoncent et disparaissent.

      La justice du nouveau Roi dédommagea Gresset des rigueurs de Louis XV. L'auteur du Méchant reçut le cordon de l'ordre de Saint-Michel et des lettres de noblesse rédigées dans les termes les plus honorables.

      Durosoi, qui avait été mis à la Bastille en 1770 pour un mauvais ouvrage, ne craignit pas de venir aussi à la Muette complimenter le Roi et la Reine par un pitoyable poëme intitulé le Joyeux Avénement. Il ne faut pas dire qu'un mauvais écrit suppose toujours de l'esprit; «car, dit la Harpe, ceux de M. Durosoi supposent le contraire.» Palissot, en accolant dans un vers Durosoi à Blin de Sainmore, prévient par une note explicative que «Blin est à Rosoi ce que l'honnête aisance est à la mendicité.» Mais le temps viendra où le poëte sans verve prouvera qu'il n'est pas un homme sans cœur: s'il a le tort d'apporter de misérables vers au Roi en 1774, il aura le courage de mourir pour lui en 1792.

      Le 6 juin, le Roi, la Reine et la famille royale se rendent à Versailles, où ils sont accueillis par les témoignages d'une joie vive et franche. Le Roi assiste à la levée des scellés qui avaient été apposés sur les effets du feu Roi, son grand-père, par le duc de la Vrillière.

      La cour va dîner au petit Trianon, château que Louis XVI vient de donner à la Reine, et dont la Reine pour la première fois fait les honneurs à sa famille.

      Le Roi avait déjà signé quelques nominations dans la maison de la Reine, à qui il avait donné l'évêque de Chartres pour grand aumônier, l'évêque de Nancy pour premier aumônier, et le marquis de Paulmy d'Argenson pour chancelier. Il n'était pas question de M. de Vermond. Louis XVI, dont l'âme droite et pure devinait comme par instinct les intrigants, n'avait aucune sympathie pour cet abbé de cour, créature de Choiseul et ami des encyclopédistes. Avant son avénement à la couronne, il ne lui avait jamais adressé la parole, et souvent il ne lui avait répondu que par un haussement d'épaules. Vermond, voyant fort bien que le Roi n'était pas disposé à lui faire oublier les procédés du Dauphin, sentit que la meilleure chance de conserver sa position était de savoir la hasarder. Il alla donc au-devant de la difficulté, et écrivit au Roi que, «tenant uniquement de la confiance du feu Roi l'honneur d'être admis dans l'intérieur le plus intime chez la Reine, il ne pouvait continuer de rester auprès d'elle sans en avoir obtenu le consentement de son auguste époux.» Louis XVI lui renvoya sa lettre, après y avoir écrit ces mots: «Je consens à ce que l'abbé de Vermond continue ses fonctions auprès de la Reine.» Ainsi se révélaient déjà la bonté de cœur et la faiblesse de caractère du jeune Roi. «Je plains mon successeur,» avait dit Louis XV quelques jours avant sa mort. La prévision de ce prince à son déclin frappa les esprits quand on vit que le désir d'être agréable à Marie-Antoinette venait de dicter à Louis XVI un acte qui ne pouvait que porter préjudice à la Reine: toute marque de faveur accordée à un intrigant décrédite l'autorité.

      Revenu au château de la Muette, le Roi y distribue quelques nouvelles grâces56. Dans l'après-midi du 17, après y avoir reçu le serment d'un grand nombre d'évêques et d'archevêques, Louis XVI se transporte avec sa famille à Marly, où le lendemain matin il devait avec la Reine, Monsieur et Madame, se livrer à l'inoculation[56-A], suivant en cela l'exemple de Mesdames Adélaïde, Sophie et Victoire, qui s'étaient précédemment soumises à cette opération, dont le succès avait été complet.

      À cette époque, le parti philosophique eut un jour de triomphe. Longtemps comprimé par l'administration vigoureuse de Maupeou et de Terray, le parti qui prenait le nom de parti du progrès s'était senti renaître à l'avénement du jeune Roi, et il appelait de ses vœux Turgot au ministère. Tous les esprits qui charmaient alors les salons par leur conversation ou dirigeaient l'opinion par leurs livres, les Thomas et les Morellet, les Condillac et les Bailly, les d'Alembert et les Condorcet, les Marmontel et les la Harpe, toute cette pléiade qu'illuminait le dernier rayon du vieil astre de Ferney, proclamait l'intendant de Limoges comme le seul homme capable d'opérer les réformes désirées. Turgot fut présenté le mardi 19 juillet à Louis XVI et à la famille royale, et le vendredi 22 il prêta serment entre les mains du Roi comme secrétaire d'État de la marine.

      Le comte de Vergennes avait prêté serment la veille comme secrétaire d'État des affaires étrangères.

      La vue des honnêtes gens arrivant aux affaires devait inquiéter les mauvais. Le prince Louis de Rohan ayant le 6 juillet quitté Vienne, où il avait laissé son abbé Georgel, était à Paris depuis le milieu du même mois, et s'était empressé de solliciter l'honneur de faire sa cour au Roi et à la Reine. La Reine le connaissait de réputation depuis longtemps. «Sa mauvaise conduite, СКАЧАТЬ



<p>54</p>

Voir, note VI, le discours de Gresset in extenso à la fin du volume.

<p>55</p>

Voir la note VII à la fin du volume.

<p>56</p>

Le 12, Soufflot, contrôleur général des bâtiments de la couronne, chargé depuis 1757 de la construction de la nouvelle église de Sainte-Geneviève, vient mettre sous les yeux de la cour les dessins et les modèles de ce gigantesque monument, exposés dans un pavillon des jardins de ce château. Le Roi et la Reine en examinent avec attention tous les détails et en témoignent leur satisfaction à l'auteur: «Monsieur, lui dit la Reine, Paris était jaloux de l'Hôtel-Dieu de Lyon217; mais les choses vont reprendre leur place, et Lyon redevenir jaloux de Paris.»

Le 16, un autre objet excita aussi la curiosité et l'intérêt de Leurs Majestés: c'était le grand télescope catoptrique qu'elles allèrent voir dans l'hôtel du cabinet de physique et d'optique du Roi. Le mécanisme et le mérite de cet instrument, et de tous ceux qui faisaient partie de cette précieuse collection, leur furent expliqués par le savant Dom Noël, qui en connaissait tous les secrets.

Le journal qui donne ces détails ajoute:

«La matière variolique a été prise d'un enfant de deux ans, dont la petite vérole étoit discrète et de la meilleure espèce. La santé de l'enfant, ainsi que celle du père et de la mère, a été constatée avec le plus grand soin par l'examen des médecins et par les informations les plus exactes du magistrat. Il en a été dressé un procès-verbal218

Pendant tout le reste du mois, les gazettes entretiennent journellement le public de toutes les phases de l'inoculation.

Bulletin du Roi: «L'éruption est au second jour. Il y a très-peu de boutons, mais ils sont bien caractérisés,» etc.

Bulletin de Monsieur: «L'éruption est commencée.»

Bulletin de M gr le comte d'Artois: «L'éruption continue…»

Bulletin de Madame la comtesse d'Artois: «La fièvre est diminuée; l'éruption commence.»

Le lendemain, les bulletins disent: «Les boutons suppurent;» puis plus tard: «les boutons se dessèchent.»

Ce traitement nouveau alors occupait tellement l'attention, que de pareils détails, par l'effroi qu'ils inspiraient, se sauvèrent de l'étrange et du ridicule. Le peuple était si convaincu des dangers de la vaccine, qu'il ne fallait rien moins que l'exemple de la famille royale pour l'amener à accepter cette innovation. Des vœux se faisaient de toutes parts pour que la santé du Roi ne fût point compromise par cette épreuve. Madame de Parabère, abbesse de Notre-Dame-lez-Saintes, prenait l'engagement de «recevoir gratis, dès que le Roi seroit rétabli, deux demoiselles de condition, d'en élever deux autres et de nourrir et entretenir deux pauvres jusqu'à ce qu'ils eussent appris un métier219.» Madame de Quélen, prieure du monastère royal de Poissy, fondait à perpétuité une messe solennelle pour la conservation des jours précieux de Leurs Majestés et de la famille royale220. Marie-Thérèse écrivait à Marie-Antoinette, de Schönbrunn, le 1er juin 1774: «Je ne vous dis rien d'ici; ma tête n'est remplie, autant que mon cœur, que d'inoculation. J'ai recours aux pauvres qui prient Dieu bien instamment chez les bons Capucins et au couvent de la Reine, où je compte bien tenir un Te Deum, si le bon Dieu nous accorde le rétablissement unseres werthen Königs; quelque peu d'allemand, pour que vous ne l'oubliiez. Je vous embrasse.»

Dès que l'Impératrice-reine apprit le succès de l'inoculation de Sa Majesté Très-Chrétienne, elle se rendit à l'église des Religieuses Clarisses de Vienne et y assista à un office solennel, qu'elle fit célébrer en action de grâces.

On écrivait de Vienne, le 13 juillet: «Sa Majesté Impériale a choisi cette église parce qu'elle a été fondée par Élisabeth d'Autriche, reine de France, qui avoit épousé Charles IX, et qui se retira à Vienne après la mort de ce monarque. Cette princesse, qui ne parut qu'un instant à la cour de France, s'y étoit concilié tous les cœurs. On disoit d'elle alors ce que les historiens de nos jours pourront attester à la postérité, en parlant d'une princesse de la même maison qui fait le bonheur et l'admiration de la France, que dans la plus grande jeunesse elle avoit toutes les vertus de l'ancien temps: Prisci moris vel juvenili ætate femina.»