La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1. Alcide de Beauchesne
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Читать онлайн книгу La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 1 - Alcide de Beauchesne страница 10

СКАЧАТЬ fêtes de la cour aussi eurent leurs contre-temps: elles soulevèrent en effet des conflits d'amour-propre et des prétentions de préséance. L'Impératrice avait témoigné le désir que Mademoiselle de Lorraine et le prince de Lambesc, ses parents, y prissent rang immédiatement après les princes du sang. Cette demande avait provoqué une vive opposition de la part de la noblesse française, et comme la Dauphine, qui ne comprenait pas cette susceptibilité, en exprimait sa surprise aux duchesses de Noailles et de Bouillon, ces dames, tout en protestant de leur respectueuse déférence pour la princesse, répondirent que l'inexorable étiquette ne leur permettait pas de faire le sacrifice de droits et de priviléges consacrés par le temps. La jeune Dauphine, dit-on, se prit à sourire, et ce sourire causa un tel scandale que la noblesse du royaume se crut obligée d'intervenir en corps dans le débat. Un mémoire fut rédigé en son nom et remis au Roi par l'évêque de Noyon28. Marie-Antoinette se soumit de bonne grâce, mais elle conçut pour l'étiquette inexorable un dégoût qu'elle ne put surmonter et qui lui attira des ennemis plus inexorables encore que l'étiquette.

      Ce mémoire, dont quelques considérants étaient parfaitement applicables à la vieille noblesse guerrière, et qui par cela même avait le tort de se tromper un peu de date à la fin du dix-huitième siècle, quand la noblesse comptait tant d'anoblis, éveilla une foule de susceptibilités qu'on n'avait pas prévues. Il occupa aussi les causeries railleuses de l'ancienne bourgeoisie, qui commençait à compter dans la société française, et qui déjà, dans son impatience envieuse, sentait que son règne était proche. N'apercevant pas dans ce rapport le côté national qui aurait dû trouver grâce à ses yeux, la ville fit comme Marie-Antoinette, elle se mit à rire de prétentions qui irritaient sa jalousie tout autant qu'elles avaient blessé la naïve fierté de la Dauphine. Quant au Roi, il se tira de cette méchante affaire par un moyen terme, qui semblait offrir une satisfaction à l'Impératrice sans porter atteinte aux priviléges de la noblesse du royaume29.

      L'entrée publique du Dauphin et de la Dauphine dans la capitale fut saluée par les plus chaleureuses acclamations. Pour répondre à l'empressement du peuple parisien, le prince et la princesse se promenèrent longtemps dans le jardin des Tuileries, au milieu d'une foule compacte de spectateurs. Ce fut comme un témoignage incessant de sympathie et d'affection échangé entre ce jeune couple destiné au trône, et ce bon peuple, alors si dévoué encore à ses princes en ce temps-là.

      De nombreux mariages, conclus presque à la même époque, avaient pour ainsi dire renouvelé l'aspect de la cour de France, devenue déjà si brillante par le mariage de l'héritier du trône avec une archiduchesse d'Autriche. Les deux frères du Dauphin avaient épousé30 deux princesses de Savoie, sœurs elles-mêmes. Le duc de Chartres s'était marié31 à la fille du duc de Penthièvre; le duc de Bourbon à une princesse d'Orléans32; et la princesse de Lamballe essayait de cacher sous son voile de veuve l'éclat d'une jeunesse en fleur. Le roi Louis XV se trouvait ainsi au milieu d'une cour toute printanière, comme disait madame du Deffand. Dans de pareilles circonstances, Louis XIV vieillissant s'était fait le centre de la société brillante formée par les générations nouvelles des princes de sa maison; entouré de ses petits-fils, de leurs femmes, de leurs cours, il s'informait d'eux, de leurs intérêts, de leurs habitudes; il s'occupait de leurs plaisirs; sa sollicitude inspirait une respectueuse affection. Aussi, aïeul, enfants, petits-enfants, se rencontraient-ils volontiers, certains de n'avoir point à subir un ennui ou à redouter un blâme. Mais Louis XV n'était ni père ni roi dans son palais: il n'aimait ni la gravité du cérémonial qui impose une gêne, ni la sévérité de l'étiquette qui se fait gardienne de la décence. Arraché aux sentiments de la famille par des passions devenues plus déplorables avec l'âge, il se renfermait pour s'épargner l'ennui d'un contrôle ou la honte d'un scandale.

      D'après les bruits qui coururent à cette époque, mais qui n'ont que la valeur d'hypothèses accueillies par la malignité publique, il aurait eu un trésor particulier qu'il n'aurait pas dédaigné de grossir, comme aurait pu le faire un simple agioteur, par le jeu des actions et des effets royaux; spéculateur d'autant plus habile qu'instruit de l'état exact et du mouvement des fonds publics, il aurait pu diriger ses opérations selon le thermomètre de son intérêt. Il aurait étendu même ses trafics sur le commerce des blés. Ce qu'il y a de certain, c'est que les souffrances rancuneuses du peuple lui attribuèrent plusieurs fois la disette. Si le caractère d'un prince doux, patient et qu'on disait ami de son peuple, ne mérite pas une telle flétrissure, il faut dire toutefois que son insouciance et son incurie autorisaient de graves accusations. Louis XV ne croyait pas à la probité: cette triste incrédulité était-elle le reflet d'une mauvaise conscience ou le résultat de l'expérience qu'il avait faite des hommes? Je ne sais; mais il avait un grand dégoût pour les affaires comme un grand mépris pour l'humanité. Le bien qu'il ne se sentait pas la force de faire, il n'imaginait pas qu'un autre pût le tenter. Il regardait comme chose étrangère ce qui ne lui était point personnel, et les plaisirs mêmes qu'il recherchait cessaient de lui plaire dès que l'uniformité s'y mêlait.

      Cependant, le gouvernement qui s'accommodait de la dépravation des mœurs commençait à s'inquiéter du déréglement effréné des écrits. Pendant son séjour à Fontainebleau, au mois d'octobre 1771, M. de Maupeou appela l'attention du Roi sur cette question. Ce n'était point sa sollicitude pour l'intérêt public qui le portait à agir ainsi, encore moins la pensée de rendre hommage à la mémoire du Dauphin; il obéissait exclusivement à un intérêt de préservation personnelle. Mais aucun moyen ne fut encore proposé pour arrêter ce fléau contagieux des libelles licencieux qui avait envahi les provinces33.

      Une question aussi grave occupait moins la société française qu'un vers de Voltaire ou un bon mot de mademoiselle Arnould. Le billet d'enterrement du duc de la Vauguyon attira l'attention publique cent fois plus que n'avait fait l'annonce de sa mort.

      Marie-Antoinette, qui imputait à cet ancien gouverneur du Dauphin et des princes ses frères tout ce qui lui paraissait défectueux dans leurs habitudes et dans leurs goûts, n'avait aucune sorte de sympathie pour lui, et ne témoigna aucun regret de sa mort. Comme une de ses femmes accourut tout émue lui raconter les actes de piété, de repentir et de charité qui avaient honoré ses derniers instants, disant qu'il avait fait venir ses gens près de son lit pour leur demander pardon… «Pardon de quoi? reprit la Dauphine avec vivacité: il a placé tous ses valets, il les a tous enrichis; c'était au Dauphin et à ses frères que le saint homme que vous pleurez avait à demander pardon pour avoir donné si peu de soins à l'éducation des princes dont dépendent les destinées et le bonheur de vingt-cinq millions d'hommes. Heureusement que leur bon naturel et leur aptitude personnelle n'ont point cessé de travailler à racheter la coupable incurie de leur gouverneur.»

      Le billet d'enterrement de ce vieillard, œuvre d'une composition réfléchie et laborieuse, avait été envoyé, selon l'usage, aux portes de tous les hôtels de Versailles; il n'en devint pas moins bientôt, par sa singularité, un effet de bibliothèque, d'autant plus recherché, qu'une émulation de curiosité le rendit de jour en jour plus rare. En voici la teneur:

      «Vous êtes prié d'assister au convoi, service et enterrement de Monseigneur Antoine-Paul-Jacques de Quelen, chef des noms et armes des anciens seigneurs de la châtellenie de Quelen, en haute Bretagne, juveigneur34 des comtes de Porhoët, substitué aux noms et armes de Stuer de Caulsade, duc de la Vauguyon, pair de France, prince de Carency, comte de Quélen et du Boulay, marquis de Saint-Mégrin, de Callonge et d'Archiac; vicomte de Calvaignac; baron des anciennes et hautes baronnies de Tonneins, Gratteloup, Villeton, la Gruère et Picornet; seigneur de Larnagol et Talcoimur; vidame, chevalier et avoué de Sarlac, haut baron de Guyenne, second baron de Quercy, lieutenant général des armées du Roi, chevalier de ses ordres, menin de feu monseigneur СКАЧАТЬ



<p>28</p>

Voir aux pièces justificatives le discours du prélat et le Mémoire de la noblesse, no III.

<p>29</p>

Voir la réponse du Roi à la fin du volume, no IV.

<p>30</p>

Monsieur, comte de Provence, le 14 mai 1771, et le comte d'Artois, le 16 novembre 1773.

<p>31</p>

Le 5 avril 1769.

<p>32</p>

Le 24 avril 1770.

<p>33</p>

M. de Maupeou écrivait le «5 mars 1772» à M. de Sivry, Pr de la C. S. de Nancy:

«Monsieur, au mois d'octobre dernier vous me promîtes, à Fontainebleau, de m'envoyer des mémoires contenant les moyens d'empêcher l'impression et la distribution des mauvais livres dans la Lorraine et dans les Trois-Évêchés. Je ne vous laissai pas ignorer pour lors combien le Roi étoit occupé de cet objet; cependant je n'ai point encore reçu de vos nouvelles à ce sujet. Vous voudrez bien ne pas différer plus longtemps de me mettre à portée d'en rendre compte à Sa Majesté.

»Je suis, Monsieur, votre affectionné serviteur,»de Maupeou.»
<p>34</p>

On appelait ainsi autrefois un cadet apanagé. Le duc d'Orléans était juveigneur de la maison de France.