Récits d'une tante (Vol. 2 de 4). Boigne Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond
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Название: Récits d'une tante (Vol. 2 de 4)

Автор: Boigne Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/32348

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СКАЧАТЬ style="font-size:15px;">      Nous continuâmes à mener en Piémont la vie retirée que nous avions adoptée à Gênes. Mon père ne voulait rien changer à l'état ostensible de sa maison, mais les circonstances permettaient de réformer toutes les dépenses extraordinaires et la prudence l'exigeait. Notre seule distraction était de faire chaque jour de charmantes promenades dans la délicieuse colline qui borde le Pô, au delà de Turin, et s'étend jusqu'à Moncalieri.

      Ce serait une véritable ressource si les chemins étaient moins désagréables; même à pied, il est difficile et très fatigant d'y pénétrer. Les sentiers qui servent de lit aux torrents, dans la saison pluvieuse, sont à pic et remplis de cailloux roulants. Le marcher en est pénible jusqu'à être douloureux, aussi les dames du pays ne s'y exposent-elles guère. On est dédommagé de ses peines par des points de vue admirables sans cesse variés et une campagne enchantée.

      Nous apprîmes successivement les détails circonstanciés de ce qui s'était passé à Chambéry et à Grenoble. Tous les récits s'accordaient à montrer monsieur de La Bédoyère comme le plus coupable. Je prêtais d'autant plus de foi à la préméditation dont on l'accusait que je l'avais entendu, avant mon départ de Paris, tenir hautement les propos les plus bonapartistes et les plus hostiles à la Restauration.

      La famille de sa femme (mademoiselle de Chastellux) avait commis la faute de le faire entrer presque de force au service du Roi; il avait eu la faiblesse d'accepter. Je ne voudrais pas préciser à quelle époque cette faiblesse était devenue de la trahison, mais il est certain que, lorsque à la tête de son régiment où il était arrivé depuis peu de jours, il se rendait de Chambéry à Grenoble, il dit à madame de Bellegarde, chez laquelle il s'arrêta pour déjeuner, qu'il ne formait aucun doute des succès de l'empereur Napoléon et qu'il les désirait passionnément. Au moment où il montait à cheval, il lui cria: «Adieu, madame, dans huit jours je serai fusillé ou maréchal d'Empire.»

      Il paraissait avoir entraîné le mouvement des troupes qui se réunirent à l'Empereur et abusé de la faiblesse du général Marchand, entièrement dominé par lui. La reconnaissance de l'Empereur pour le service rendu ne fut pas portée à si haut prix qu'il l'avait espéré, mais ses prévisions ne furent que trop tristement accomplies dans l'autre alternative.

      Il était impossible de n'être pas frappé de la grandeur, de la décision, de l'audace dans la marche et de l'habileté prodigieuse déployées par l'Empereur, de Cannes jusqu'à Paris. Il est peu étonnant que ses partisans en aient été électrisés et aient retrempé leur zèle à ce foyer du génie. C'est peut-être le plus grand fait personnel accompli par le plus grand homme des temps modernes; et ce n'était pas, j'en suis persuadée, un plan combiné d'avance. Personne n'en avait le secret complet en France; peut-être était-on un peu plus instruit en Italie. Mais l'Empereur avait beaucoup livré au hasard ou plutôt à son génie. La preuve en est que le commandant d'Antibes, sommé le premier, avait refusé d'admettre les aigles impériales. Leur vol était donc tout à fait soumis à la conduite des hommes qu'elles rencontreraient sur leur route, et la belle expression du vol de clocher en clocher, quoique justifiée par le succès, était bien hasardée. L'Empereur s'était encore une fois confié à son étoile et elle lui avait été fidèle, comme pour servir de flambeau à de plus immenses funérailles.

      En arrivant à Paris, il apprit la déclaration de Vienne du 13 mars; il subit en même temps les froideurs et les réticences de la plupart des personnes qui, dans l'ordre civil, lui avaient été le plus dévouées. Son instinct gouvernemental comprit tout de suite que ces gens-là représentaient le pays beaucoup plus que les militaires. Peut-être aurait-il été tenté de le gouverner par le sabre, si ce sabre n'avait pas dû trouver un emploi plus que suffisant dans la résistance à l'étranger. Il ne pouvait donc écraser les idées constitutionnelles, si rapidement écloses en France, qu'en lâchant le frein aux passions populaires qui, sous le nom de liberté ou de nationalité, amènent promptement la plus hideuse tyrannie.

      Rendons justice à l'Empereur; jamais homme au monde n'a eu plus l'horreur de pareils moyens. Il voulait un gouvernement absolu, mais réglé et propre à assurer l'ordre public, la tranquillité et l'honneur du pays. Dès que sa position lui fut complètement dévoilée, il désespéra de son succès, et le dégoût qu'il en conçut exerça peut-être quelque influence sur le découragement montré par lui lors de la catastrophe de Waterloo.

      J'ai lieu de croire que, bien peu de jours après son arrivée aux Tuileries, il cessa de déployer l'énergie qui l'avait accompagné depuis l'île d'Elbe. Peut-être, s'il avait retrouvé dans ses anciens serviteurs civils le même enthousiasme que dans les militaires, il aurait mieux accompli la tâche gigantesque qu'il s'était assignée; peut-être aussi était-elle impossible.

      Je retournai à Turin. Le Pape nous y avait précédés; sa présence donna lieu à une cérémonie assez curieuse, à laquelle nous assistâmes.

      Le Piémont possède le Saint-Suaire. La chrétienté attache un tel prix à cette relique que le Pape en a seul la disposition. Elle est enfermée dans une boîte en or, renfermée dans une de cuivre, renfermée… enfin il y en a sept, et les sept clefs qui leur appartiennent sont entre les mains de sept personnes différentes. Le Pape conserve la clef d'or. Le coffre est placé dans une magnifique chapelle d'une superbe église, appelée du Saint-Suaire. Des chanoines, qui prennent le même nom, la desservent. La relique n'est exposée aux regards des fidèles que dans les circonstances graves et avec des cérémonies très imposantes. Le Pape envoie un légat tout exprès, chargé d'ouvrir le coffre et de lui rapporter la clef.

      La présence du Saint-Père à Turin et l'importance des événements inspirèrent le désir de donner aux soldats, à la population et au Roi la satisfaction d'envisager cette précieuse relique.

      Malgré les espérances que le gouvernement sarde conservait, in petto, d'obtenir de tous les côtés la reconnaissance de sa neutralité, il avait levé rapidement des troupes considérables et très belles sous le rapport des hommes. On réunit les nouveaux corps sur la place du château, et, après que le Pape eut béni leurs jeunes drapeaux, on procéda au déploiement du Saint-Suaire.

      Le Roi et sa petite Cour, les catholiques du corps diplomatique, les chevaliers de l'Annonciade, les autres excellences, les cardinaux et les évêques étaient seuls admis dans la pièce où se préparait la cérémonie. Nous n'étions pas plus de trente, ma mère, madame Bubna et moi seules de femmes; aussi étions-nous parfaitement bien placées.

      Le coffre fut apporté par le chapitre qui en a la garde. Chaque boîte fut ouverte successivement, le grand personnage qui en conserve la clef la remettant à son tour, et un procès-verbal constatant l'état des serrures longuement et minutieusement rédigé. Ceci se passait comme une levée de scellé, et sans aucune forme religieuse, seulement le cardinal qui ouvrait les serrures récitait une prière à chaque fois.

      Lorsqu'on fut arrivé à la dernière cassette, qui est assez grande et paraît toute brillante d'or, les oraisons et les génuflexions commencèrent. Le Pape s'approcha d'une table où elle fut déposée par deux des cardinaux; tout le monde se mit à genoux, et il y eut beaucoup de formes employées pour l'ouvrir. Elles auraient été mieux placées dans une église que dans un salon où cette pantomime, vue de trop près, manquait de dignité.

      Enfin le Pape, après avoir approché et retiré ses mains plusieurs fois, comme s'il craignait d'y toucher, tira de la boîte un grand morceau de grosse toile maculée. Il la porta, accompagné du Roi qui le suivait immédiatement et entouré des cardinaux, sur le balcon où il la déploya. Les troupes se mirent à genoux aussi bien que la population qui remplissait les rues derrière elles. Toutes les fenêtres étaient combles de monde; le coup d'œil était beau et imposant.

      On m'a dit qu'on voyait assez distinctement les marques ensanglantées de la figure, СКАЧАТЬ