Récits d'une tante (Vol. 2 de 4). Boigne Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond
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Название: Récits d'une tante (Vol. 2 de 4)

Автор: Boigne Louise-Eléonore-Charlotte-Adélaide d'Osmond

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/32348

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СКАЧАТЬ donna une lettre pour le duc de Duras; il fut introduit par celui-ci dans le cabinet de Louis XVIII, le 22 janvier. Le Roi fit remercier mon père du zèle qui avait procuré des renseignements si précieux; mais ils ne donnèrent lieu à aucune précaution, pas même à celle d'envoyer une corvette croiser autour de l'île d'Elbe. L'incurie à cette époque a été au delà de ce que la crédulité de la postérité pourra consentir à se laisser persuader.

      Je viens de dire que mon père n'avait pas reçu de dépêches du ministre des affaires étrangères; j'ai tort. Il en reçut une seule, pour lui demander des truffes de Piémont pour le Roi; elle était de quatre pages et entrait dans les détails les plus minutieux sur la manière de les expédier et les faire promptement et sûrement arriver. À la vérité, le prince de Talleyrand le faisait tenir suffisamment au courant de ce qui se passait au Congrès; mais sa résidence à Vienne empêchait qu'il pût donner, ni peut-être savoir, des nouvelles de France.

      Vers la fin de février, la Cour se rendit à Gênes pour y recevoir la Reine qu'on attendait de Sardaigne. Le corps diplomatique l'y suivit. Nous laissâmes la vallée de Turin et celle d'Alexandrie sous la neige qui les recouvrait depuis le mois de novembre, et nous arrivâmes au haut de la Bocchetta. On ne passe plus par cette route. La montagne de la Bocchetta a cela de remarquable qu'elle ne présente aucun plateau et la voiture n'a pas encore achevé son ascension que les chevaux qui la traînent ont déjà commencé à descendre. Au moment de l'année où nous nous trouvions, cette localité est d'autant plus frappante qu'on passe immédiatement du plein hiver à un printemps très avancé. D'un côté, la montagne est couverte de neige, les ruisseaux sont gelés, les cascades présentent des stalactites de glace; de l'autre, les arbres sont en fleur, beaucoup ont des feuilles, l'herbe est verte, les ruisseaux murmurent, les oiseaux gazouillent, la nature entière semble en liesse et disposée à vous faire oublier les tristesses dont le cœur était froissé un quart de minute avant. Je n'ai guère éprouvé d'impression plus agréable.

      Après quelques heures d'une course rapide à travers un pays enchanté, nous arrivâmes à Gênes le 26 février. Les rues étaient tapissées de fleurs; nulle part je n'en ai vu cette abondance; il faisait un temps délicieux: j'oubliai la fatigue d'un voyage dont le commencement avait été pénible.

      En descendant de voiture, je voulus me promener dans ces rues embaumées, si propres, si bien dallées, et dont le marcher était bien autrement doux que celui de ma chambre pavée de Turin. Je les trouvai remplies d'une population gaie, animée, affairée, qui faisait contraste avec le peuple sale et ennuyé que je venais de quitter. Les femmes, chaussées de souliers de soie, coiffées de l'élégant mezzaro, me charmèrent et les enfants me parurent ravissants. Tout le beau monde de Gênes se trouvait aussi dans la rue; au bout de cinq minutes nous étions entourés de quarante personnes de connaissance. Je sentis subitement soulever de dessus mes épaules le manteau de plomb que le séjour de Turin y fixait depuis six mois. Ma joie fut un peu calmée par les cent cinquante marches qu'il fallut gravir pour arriver à un beau logement, dans un grand palais qu'on avait retenu pour l'ambassadeur de France.

      Pendant le séjour que j'ai fait à Gênes, la hauteur des appartements et l'importunité, sans exemple partout ailleurs, des mendiants sont les seules choses qui m'aient déplu. Je ne répéterai pas ce que tout le monde sait de la magnificence et de l'élégance des palais. Je ne parlerai pas davantage des mœurs du pays que je n'ai pas eu occasion d'observer, car, peu de jours après notre arrivée, les événements politiques nous condamnèrent à la retraite, et j'ai à peine entrevu la société.

      Les génois ne prenaient guère le soin de dissimuler leur affliction de la réunion au Piémont et la répugnance qu'ils avaient pour le Roi. Peu d'entre eux allaient à la Cour, et ceux-là étaient mal vus par leurs compatriotes. Leur chagrin était d'autant plus sensible qu'ils avaient cru un moment à l'émancipation.

      Lord William Bentinck, séduit par les deux beaux yeux de la Louise Durazzo (comme on dit à Gênes), avait autorisé par son silence, si ce n'est par ses paroles, le rétablissement de l'ancien gouvernement pendant son occupation de la ville. Les actes par lesquels le congrès de Vienne disposa du sort des génois leur en parurent plus cruels à subir. Maître pour maître, ils préféraient un grand homme au bon roi Victor; et, s'il fallait cesser d'être génois, ils aimaient encore mieux être français que piémontais. La sentence de Vienne les avait rendus bonapartistes enragés, et c'est surtout des rivières de Gênes que partaient les correspondances pour l'île d'Elbe.

      L'armée anglaise, avant de remettre la ville aux autorités sardes, avait dépouillé les établissements publics et tout enlevé du port, jusqu'aux chaînes des galériens. Cette avanie avait fort exaspéré le sentiment de nationalité des génois.

      Le lendemain de notre arrivée, nous fûmes conviés à aller assister à une représentation qu'un commodore anglais donnait au Roi. Il s'agissait de lui montrer l'effet des fusées à la congrève, invention nouvelle à cette époque. Nous nous rendîmes tous à pied, par un temps admirable, à un petit plateau situé sur un rocher à quelques toises de la ville et d'où l'on jouissait d'une vue magnifique. Une mauvaise barque, amarrée si loin qu'à peine on pouvait l'apercevoir à l'œil nu, servait de but. La brise venait de mer et nuisait à l'effet des fusées, mais elle rafraîchissait l'air et le rendait délicieux. Le spectacle était animé sur la côte et brillant dans le port qu'on apercevait sur la droite, rempli de vaisseaux pavoisés.

      Le tir fut interrompu par la crainte que deux petits bricks, affalés par le vent, pussent être atteints. Évidemment ils ne voulaient pas aborder; ils manœuvraient pour s'élever en mer, y réussirent, et on recommença à tirer. D'après toutes les circonstances qui sont venues depuis à notre connaissance, il est indubitable que ces deux bricks transportaient Bonaparte et sa fortune aux rivages de Cannes. Combien le hasard d'une de ces fusées, en désemparant ces bâtiments, aurait pu changer le destin du monde!

      Le commodore donna un élégant déjeuner sous une tente, et on se sépara très satisfaits de la matinée.

      Je me rappelle que la princesse Krassalkolwitz vint achever la journée chez nous. J'étais liée avec elle depuis longtemps; elle s'embarquait le lendemain pour Livourne. Nous causions le soir de la fadeur des événements, de l'ennui des gazettes: valait-il la peine de vivre pour attendre quinze jours un misérable protocole du congrès de Vienne? Moitié sérieusement, moitié en plaisanterie, nous regrettions les dernières années si agitées mais si animées; l'existence nous paraissait monotone, privée de ces grands spectacles. Ma mère reprit:

      «Voilà bien des propos de jeunes femmes; oh! mesdames, ne tentez pas la Providence! Quand vous serez aussi vieille que moi, vous saurez que les moments de calme, que vous avez l'enfantillage d'appeler d'ennui, ne durent jamais longtemps.»

      Aussi lorsque, trois jours après, la princesse revint à Gênes, n'ayant pu débarquer à Livourne et retournant en toute hâte à Vienne, elle arriva chez nous se cachant le visage, et disant:

      «Ah! chère ambassadrice, que vous aviez raison; je vous demande pardon de mes folies, j'en suis bien honteuse.»

      J'aurais pu partager ses remords, car j'avais pris part à la faute.

      Nous assistions à un concert lorsqu'on vint chercher mon père; un courrier l'attendait; il était expédié par le consul français à Livourne et annonçait le départ de Bonaparte de Porto-Ferrajo. Mon père s'occupa tout de suite d'en donner avis. Il expédia une estafette à Vienne à monsieur de Talleyrand, une autre à Paris, et fit partir un secrétaire de légation pour porter cette nouvelle à Masséna, et, chemin faisant, prévenir toutes les autorités de la côte. Cette précaution fut déjouée par la célérité de l'Empereur. Peu d'heures après son départ de Gênes, monsieur de Château traversait le bivouac de Cannes déjà abandonné, quoique les feux brûlassent encore. Nous avions passé la nuit à copier les lettres et les dépêches qui furent СКАЧАТЬ