La cour et la ville de Madrid vers la fin du XVIIe siècle. Marie Catherine d'Aulnoy
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СКАЧАТЬ infortuné de tous les hommes.»

      »Ce serait abuser de votre patience, Madame, que de vous raconter tout ce que nous nous dîmes dans cette douloureuse séparation; et bien qu'il n'y parût aucun danger, nos cœurs se saisirent à tel point, que nous avions déjà un pressentiment des disgrâces qui nous devaient arriver. Le jour approchait, et il fallut enfin nous dire adieu; je lui vis répandre des larmes, et j'étais toute mouillée des miennes.

      »Je me jetai sur mon lit, roulant dans mon esprit mille tristes pensées, et je parus le lendemain si abattue, que mon père et ma mère eurent peur que je ne tombasse dangereusement malade.

      »Le père de Mendez les vint voir, pour excuser son fils de ce qu'il était parti sans prendre congé d'eux. Il ajouta qu'il s'agissait d'une affaire si pressée, qu'elle ne lui avait pas laissé un moment à sa disposition. A mon égard, Madame, je n'avais plus de joie, je n'étais sensible à rien, et si quelque chose pouvait me soulager, c'était la conversation de ma chère Henriette, avec qui je me plaignais en liberté de la longue absence de Mendez.

      »Cependant le marquis de Los-Rios était hors de danger, et mon père l'allait voir souvent. Je remarquai un jour beaucoup d'altération sur le visage de ma mère: elle et mon père furent longtemps enfermés avec des religieux qui les étaient venus trouver, et après avoir conféré ensemble, ils me firent appeler, sans que je pusse en deviner la cause.

      »J'entrai dans leur cabinet si émue, que je ne me connaissais pas moi-même. Un de ces bons pères, vénérable par son âge et par son habit, me dit plusieurs choses sur la résignation que nous devons aux ordres de Dieu, sur sa providence dans tout ce qui nous regarde, et la fin de son discours fut que Mendez avait été pris par les Algériens, qu'il était esclave, et que par malheur ces corsaires avaient su qu'il était fils d'un riche marchand, ce qui avait été cause qu'ils l'avaient mis à une furieuse rançon; qu'ils étaient à Alger dans le temps qu'il y arriva; qu'ils auraient bien voulu le ramener, mais que l'argent qu'ils avaient porté pour tous n'aurait pas suffi pour lui seul: qu'à leur retour, ils étaient allés chez son père pour lui apprendre ces fâcheuses nouvelles, mais qu'ils avaient su qu'il s'était absenté, et que la perte d'un galion sur lequel il avait tous ses effets, sans en avoir pu rien sauver, l'avait réduit à fuir des créanciers qui le cherchaient pour le faire mettre en prison; que les choses étant en cet état, ils ne voyaient guère de remède aux maux du pauvre Mendez; qu'il était entre les mains de Meluza, le plus renommé et le plus intéressé de tous les corsaires, et que, si je suivais leur conseil et celui de mes parents, je songerais à prendre un autre parti. J'avais écouté jusque-là ces funestes nouvelles si transie, que je n'avais pu les interrompre que par de profonds soupirs; mais quand il m'eut dit qu'il fallait penser à un autre parti, j'éclatai et fis des cris et des regrets si pitoyables, que je touchai de compassion mon père, ma mère et ces bons religieux.

      »L'on m'emporta dans ma chambre, comme une fille plus près de la mort que de la vie; l'on envoya quérir Doña Henriette, et ce ne fut pas sans douleur qu'elle me vit si malheureuse et si affligée. Je tombai dans une mélancolie inconcevable; je me tourmentais nuit et jour, rien n'était capable de m'ôter le souvenir de mon cher Mendez.

      »Le marquis de Los-Rios ayant appris ce qui se passait, conçut de si fortes espérances, qu'il se trouva bientôt en état de venir demander à mon père, de même à moi, l'effet des paroles que nous lui avions données. Je voulus lui faire entendre que la mienne n'était point dégagée à l'égard de Mendez, qu'il était malheureux, mais que je ne lui étais pas moins promise. Il m'écouta sans se laisser persuader, et me dit que j'avais autant d'envie de me perdre que les autres en ont de se sauver; que c'était moins son intérêt que le mien qui le faisait agir. Et ravi d'avoir un prétexte qui lui semblait plausible, il pressa mon père avec tant de chaleur, qu'il consentit à tout ce qu'il souhaitait.

      »Je ne puis vous représenter, Madame, dans quelle douleur j'étais abîmée. Qu'est devenue, Seigneur, disais-je au marquis, cette scrupuleuse délicatesse qui vous empêchait de vouloir mon cœur d'une autre main que de la mienne? Si vous me laissiez au moins le loisir d'oublier Mendez, peut-être que son absence et ses disgrâces me le rendraient indifférent; mais dans le temps où je suis, tout occupée du cruel accident qui me l'arrache, vous ajoutez de nouvelles peines à celles que j'ai déjà, et vous croyez qu'avec ma main je pourrais vous donner ma tendresse!

      «Je ne sais ce que je crois, me disait-il, ni ce que j'espère, je sais bien que ma complaisance a pensé me coûter la vie; que si vous n'êtes point destinée pour moi, un autre vous possédera; que Mendez, par l'état de sa fortune, n'y doit plus prétendre, et qu'enfin, puisque l'on veut vous rétablir, vous avez bien de la dureté de refuser que ce soit avec moi. Vous n'ignorez pas ce que j'ai fait jusqu'ici pour vous plaire, mon procédé vous doit être caution de mes sentiments; et qui vous répondra d'un autre cœur fait comme le mien?»

      »Les jours se passaient ainsi dans les disputes, dans les prières et dans une affliction continuelle.

      »Le marquis faisait bien plus de progrès sur l'esprit de mon père que sur le mien. Enfin, ma mère m'ayant envoyé quérir un jour, elle me dit qu'il n'y avait plus à balancer, et que mon père voulait absolument que j'obéisse à ses ordres. Ce que je pus dire pour m'en dispenser, mes larmes, mes remontrances, ma douleur, mes peines, tout cela fut inutile et ne m'attira que des duretés.

      »L'on prépara toutes les choses nécessaires à mon mariage, le marquis voulut que tout eût un air de magnificence convenable à sa qualité; il m'envoya une cassette pleine de bijoux et pour cent mille livres de pierreries. Le jour fatal pour notre hymen fut arrêté. Me voyant réduite dans cette extrémité, je pris une résolution qui vous surprendra, Madame, et qui marque une grande passion. J'allai chez Doña Henriette, cette amie m'avait toujours été fidèle, et je me jetai à ses pieds; je la surpris par une action si extraordinaire. «Ma chère Henriette, lui dis-je, fondant en larmes, il n'y a plus de remèdes à mes maux, si vous n'avez pitié de moi; ne m'abandonnez pas, je vous en conjure, dans le triste état où je suis; c'est demain que l'on veut que j'épouse le marquis de Los-Rios. Il n'est plus possible que je l'évite. Si l'amitié que vous m'avez promise est à toute épreuve et vous rend capable d'une résolution généreuse, vous ne me refuserez point de suivre ma fortune et de venir avec moi à Alger payer la rançon de Mendez, et le tirer du cruel esclavage où il est. Vous me voyez à vos genoux, continuai-je en les embrassant (car quelques efforts qu'elle eût pu faire, je n'avais pas voulu me lever), je ne les quitterai point que vous ne m'ayez donné votre parole de faire ce que je souhaite.» Elle me témoigna tant de peine de me voir à ses pieds, que je me levai pour l'obliger à me répondre. Aussitôt, elle m'embrassa avec de grands témoignages de tendresse. «Je ne vous refuserai jamais rien, ma chère Marianne, me dit-elle, fût-ce ma propre vie; mais vous allez vous perdre et me perdre avec vous. Comment deux filles pourront-elles exécuter ce que vous projetez? Votre âge, notre sexe et votre beauté nous exposeront à des aventures dont la seule imagination me fait frémir. Ce qu'il y a de bien certain, c'est que nous allons combler nos familles de honte; or si vous y aviez fait de sérieuses réflexions, il n'est pas possible que vous pussiez vous y résoudre. – Ah! barbare, m'écriai-je, plus barbare que celui qui retient mon amant, vous m'abandonnez; mais bien que je sois seule, je ne laisserai pas de prendre mon parti; aussi bien, le secours que vous pourriez me donner ne me pourrait être fort utile: restez, restez, j'y consens, il est juste que j'aille sans aucune consolation affronter tout le péril; j'avoue même qu'une telle démarche ne convient qu'à une fille désespérée.»

      »Mes reproches et mes larmes émurent Henriette; elle me dit que mon intérêt l'avait obligée, autant que le sien propre, de me parler comme elle avait fait; mais qu'enfin, puisque je persistais dans mon premier sentiment et que rien ne pouvait m'en détourner, elle était résolue de ne me point abandonner; que si je l'en voulais croire, nous nous travestirions, qu'elle se chargeait d'avoir deux habits d'homme, et que c'était à moi de pourvoir à tout le reste. Je l'embrassai avec mille témoignages de reconnaissance et de tendresse.

      »Je СКАЧАТЬ