La cour et la ville de Madrid vers la fin du XVIIe siècle. Marie Catherine d'Aulnoy
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу La cour et la ville de Madrid vers la fin du XVIIe siècle - Marie Catherine d'Aulnoy страница 22

СКАЧАТЬ par toute l'Espagne et qui font peu de quartier aux voyageurs; qu'ils enlèvent quelquefois des filles de qualité, qu'ils mettent ensuite à rançon, pour que leurs parents les rachètent; mais que, lorsqu'elles sont belles, ils les gardent, et que c'est le plus grand malheur qui puisse leur arriver, parce qu'elles passent leur vie avec les plus méchantes gens du monde, qui les retiennent dans des cavernes effroyables, ou qui les mènent à cheval avec eux; qu'ils en ont une jalousie si furieuse, qu'un de leurs capitaines, ayant été attaqué depuis peu par des soldats que l'on avait envoyés dans les montagnes pour les prendre, étant blessé à mort, et ayant avec lui sa maîtresse, qui était de la maison du marquis de Camaraza, grand d'Espagne; lorsqu'elle le vit si mal, elle ne songea qu'à profiter de ce moment pour se sauver; mais que, s'en étant aperçu, tout mourant qu'il était, il l'arrêta par les cheveux et lui plongea son poignard dans le sein, ne voulant pas, disait-il, qu'un autre possédât un bien qui lui avait été si cher: c'est ce qu'il avoua lui-même aux soldats qui le trouvèrent et qui virent ce triste spectacle.

      La belle marquise de Los-Rios se tut en cet endroit, et je la remerciai autant que je devais, de la bonté qu'elle avait eue de m'apprendre des choses si curieuses, et que j'aurais peut-être ignorées toute ma vie sans elle. «Je ne pensais pas, Madame, me dit-elle, que vous me dussiez des remercîments, et je craignais bien plutôt d'avoir mérité des reproches pour une conversation si longue et si ennuyeuse; mais c'est un défaut dans lequel on tombe, même sans s'en apercevoir, lorsqu'on raconte quelque événement extraordinaire.»

      Je ne voulus point souffrir qu'elle me quittât pour manger ailleurs, et je l'obligeai de coucher avec moi, parce qu'elle n'avait pas son lit. Un procédé si franc et si honnête l'engagea de me vouloir du bien. Elle m'en assura en des termes si tendres, que je n'en pus douter; car je dois vous dire que les Espagnoles sont plus caressantes que nous, et qu'elles ont, pour ce qu'il leur plaît, des manières bien plus touchantes et bien plus délicates que les nôtres.

      «Enfin, je ne puis m'empêcher de lui dire que si elle avait pour moi l'amitié dont elle me flattait, elle aurait aussi la complaisance de m'informer de ce qui lui faisait de la peine, que je l'avais entendue soupirer la nuit; qu'elle était rêveuse et mélancolique, et que si elle pouvait trouver quelque soulagement à partager ses chagrins avec moi, je m'offrais de lui servir de fidèle amie. Elle m'embrassa d'un air fort tendre, et me dit, que sans différer d'un moment, elle allait satisfaire ma curiosité; c'est ce qu'elle fit en ces termes:

      «Puisque vous me voulez connaître, Madame, il faut que, sans rien vous déguiser, je vous avoue toutes mes faiblesses, et que par ma sincérité je mérite une curiosité aussi obligeante qu'est la vôtre.

      »Je ne suis pas d'une naissance qui me distingue dans le monde; mon père se nommait Davila, il n'était que banquier; mais il était estimé et il avait du bien. Nous sommes de Séville, capitale de l'Andalousie, et nous y avons toujours demeuré. Ma mère savait le monde, elle voyait beaucoup de personnes de qualité, et, comme elle n'avait que moi d'enfant, elle m'élevait avec de grands soins; on trouvait que j'y répondais assez, et j'avais le bonheur que l'on ne me voyait guère sans me vouloir du bien.

      »Nous avions deux voisins qui venaient fort souvent dans notre maison; ils étaient agréablement reçus de mon père et de ma mère. Leur condition n'avait aucun rapport: l'un était le marquis de Los-Rios, homme riche et de grande naissance, il était veuf et d'un âge avancé; l'autre était le fils d'un gros marchand qui trafiquait aux Indes; il était jeune et bien fait; il avait de l'esprit, et toutes ses manières le distinguaient avantageusement. Il s'appelait Mendez. Il ne fut pas longtemps sans s'attacher à moi avec une si forte passion, qu'il n'y avait rien qu'il ne fît pour me plaire et pour m'engager à quelque retour.

      »Il se trouvait dans tous les endroits où j'allais; il passait des nuits entières sous mes fenêtres, pour y chanter des paroles qu'il avait composées pour moi, qu'il accompagnait fort bien de sa harpe, ou pour m'y donner des concerts; en un mot, il ne négligeait rien de tout ce qui pouvait me faire connaître sa passion.

      »Mais voyant que ses empressements n'avaient pas tout l'effet qu'il en attendait, et ayant passé un assez long temps de cette manière, sans oser me parler de sa tendresse, il résolut enfin de profiter de la première occasion qu'il pourrait rencontrer pour m'en entretenir.

      »Je l'évitais depuis une conversation que j'avais eue avec une de mes amies, qui avait bien plus d'expérience et d'usage du monde que moi. J'avais senti que la présence de Mendez me donnait de la joie, que mon cœur avait une émotion pour lui qu'il n'avait point pour les autres; que lorsque ses affaires ou nos visites l'empêchaient de me voir, j'étais inquiète, et comme j'aimais cette belle fille tendrement et que je lui étais chère, elle avait remarqué que j'étais moins gaie qu'à l'ordinaire, et que mes yeux quelquefois s'attachaient avec attention sur Mendez. Un jour qu'elle m'en faisait la guerre, je lui dis avec une naïveté assez agréable: «Ne me refusez pas, ma chère Henriette, de me définir les sentiments que j'ai pour Mendez. Je ne sais encore si je dois les craindre et si je ne dois point m'en défendre; mais je sens bien que j'y aurais beaucoup de peine, et qu'ils me font du plaisir.» Elle se prit à rire, elle m'embrassa et me dit: «Ma chère enfant, n'en doutez point, vous aimez. – J'aime, m'écriai-je avec effroi. Ah! vous me trompez, je ne veux point aimer, je ne veux point aimer. – Cela ne dépend pas toujours de nous, continua-t-elle d'un air plus sérieux, notre étoile en décide avant notre cœur; mais au fond, qu'est-ce qui vous épouvante si fort? Mendez est d'une condition proportionnée à la vôtre, il a du mérite, il est bien fait, et si ses affaires continuent d'avoir un succès aussi favorable qu'elles ont eu jusqu'à présent, vous pouvez espérer d'être heureuse avec lui. – Et qui m'a dit, repris-je en l'interrompant, qu'il sera heureux avec moi, et même qu'il y pense? – Oh! je vous en réponds, me dit-elle; tout ce qu'il fait a ses vues, et l'on ne passe pas les nuits sous les fenêtres et les jours à suivre une personne indifférente.»

      »Après quelque autre discours de cette nature, elle me quitta, et je fis dessein, malgré la répugnance que j'y sentais, de ne plus donner lieu à Mendez de me parler en particulier.

      »Mais un soir que je me promenais dans le jardin, il vint m'y trouver. Je fus embarrassée, de me voir seule avec lui, et il eut lieu de le remarquer sur mon visage et à la manière dont je le recevais. Cela ne put le détourner du dessein qu'il avait fait de m'entretenir. «Que je suis heureux, belle Marianne, me dit-il, de vous trouver seule: mais que dis-je, heureux! Peut-être que je me trompe, et que je dois craindre que vous ne vouliez pas apprendre un secret que je veux vous confier. – Je suis encore si jeune, lui dis-je en rougissant, que je ne vous conseille pas de me rien dire, à moins que vous ne vouliez que j'en fasse part à mes amis. – Hé quoi! continua-t il, si je vous avais dit que je vous adore, que tout mon repos dépend des dispositions que vous avez pour moi; que je ne saurais plus vivre sans quelque certitude que je pourrai vous plaire un jour, le diriez-vous à vos amies? – Non, lui dis-je avec beaucoup d'embarras, je regarderais cette confidence comme une raillerie, et ne voulant pas la croire, je ne voudrais pas hasarder de la laisser croire à d'autres.»

      »L'on nous interrompit comme j'achevais ces mots; il me parut qu'il n'était guère content de ce que je lui avais répondu, et, peu de temps après, il trouva l'occasion de m'en faire des reproches.

      »Je ne pus les soutenir, et j'écoutai favorablement le penchant que j'avais pour lui; tout avait à mon gré une grâce particulière dans sa bouche, et il n'eut guère de peine à me persuader qu'il m'aimait plus que toutes les choses du monde.

      »Cependant le marquis de Los-Rios me trouvait si bien élevée, et toutes mes manières lui revenaient si fort, qu'il s'attacha uniquement à me plaire. Il avait de la délicatesse et ne pouvait se résoudre de ne me devoir qu'à la seule autorité de mes parents. Il comprenait assez qu'ils recevraient comme un honneur les intentions qu'il avait pour moi; mais il voulait que j'y consentisse avant que de s'adresser à eux.

      »Dans cette pensée, il me parla un jour, et me dit tout СКАЧАТЬ