Название: Les vrais mystères de Paris
Автор: Eugène François Vidocq
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066080952
isbn:
—Mais tu ne m'aimes donc pas, lui dit-il un jour.
—Je ne t'aime pas comme je puis aimer, lui répondit Céleste; si tu me quittais, je ne te ferais pas de mal.
De Préval jouait parfaitement tous les jeux, il savait même, lorsque cela était nécessaire, corriger la fortune; mais il n'avait pas, ainsi qu'il l'espérait, trouvé aux îles d'Hyères, l'occasion d'exercer ses talents; aussi, sa bourse étant presque vide, il ordonna à Céleste de se tenir prête à partir pour Paris.
—Vous voulez retourner à Paris? lui dit-elle... A votre aise, mon ami, quant à moi je reste ici.
—Vous voulez rester ici?
—Sans doute ne suis-je pas libre?...
—Mais que ferez-vous?
—Que cela ne vous inquiète pas, je ne suis pas embarrassée de ma personne.
—Vous ne savez ce que vous dites, vous me suivrez à Paris, je le veux; nous verrons qui de nous deux cédera.
—Ce ne sera pas moi.
Une violente querelle s'engagea et de Préval, qui tenait à la main une petite cravache, en porta un coup à Céleste.
Elle ne fit pas un geste, ne dit pas un mot; mais ses yeux lancèrent des éclairs, ses joues devinrent affreusement pâles, de Préval comprit qu'il avait été trop loin et voulut s'excuser.
—C'est bien! lui dit Céleste, c'est bien, si vous partez je partirai avec vous.
Quelques heures après cette scène, de Préval sortait du cercle où il passait toutes les soirées. Au détour d'une petite rue qu'il devait suivre pour se rendre à l'hôtel qu'il habitait, il fut abordé par un homme enveloppé dans un de ces cabans que portent les pêcheurs provençaux.
—Si tu pars, elle partira avec toi, lui dit cet homme. Et sans laisser à Préval le temps de se reconnaître, il lui porta un violent coup de couteau qui l'étendit par terre.
Des passants relevèrent de Préval et le portèrent à son hôtel, la blessure qu'il avait reçue, quoique très-grave, n'était pas mortelle. Céleste était partie. De Préval qui craignait, par-dessus tout, d'être forcé de mettre la justice dans la confidence de ses affaires, ne dit rien de nature à la compromettre, et lorsqu'il fut rétabli, il retourna à Paris.
Nous connaîtrons plus tard les événements qui, à partir de ce moment, précédèrent les débuts de Céleste au grand théâtre de Marseille, où, sous le nom de Silvia, nous l'avons vue obtenir les plus brillants succès.
Supposons un instant que plusieurs jours se sont écoulés durant le temps que nous avons mis à vous raconter les événements qui précèdent, et nous entendrons Servigny, que nous retrouverons dans le boudoir de Silvia, lui adresser cette question:
—Mais tu ne m'aimes donc pas?
—Silvia ne répondit pas à Servigny avec autant de franchise qu'elle l'avait fait lorsque Préval lui avait adressé la même question, elle avait devant les yeux, au moment où nous sommes arrivés, un but qu'elle voulait atteindre.
—Si je ne vous aimais pas, seriez-vous ici, lorsque j'ai fait défendre ma porte à tout le monde.
—Mais si vous m'aimez, Silvia, pourquoi ne me confiez-vous pas toutes vos pensées.
—Mais je n'ai vraiment rien à vous confier, dit Silvia, en adressant à Servigny un de ses plus gracieux sourires.
—Vous me trompez, Silvia, depuis quelques jours vous êtes triste, préoccupée; je vous en prie, ne me laissez pas ignorer plus longtemps le sujet de vos peines.
—Puisque vous l'exigez, je vais vous satisfaire; mais, songez-y bien, je vous défends de vous moquer de moi.
—Je vous écoute avec la plus sérieuse attention.
Silvia était aussi bonne comédienne dans son boudoir que sur les planches de son théâtre; elle baissa modestement ses beaux yeux.
—C'est une bien heureuse vie, n'est-ce pas, que celle d'une comédienne à laquelle le public veut bien accorder un peu de talent, dit-elle après quelques instants d'hésitation. Une actrice fait tout ce qu'elle veut, elle peut écouter tous les compliments qu'on lui adresse; les hommes les plus distingués s'empressent autour d'elle, c'est fort agréable sans doute: c'est le beau côté de la médaille dont voici le revers: Si prenant le temps comme il vient, nous cherchons dans une affection réelle une distraction aux ennuis incessants de notre profession, on nous méprise; si nous restons sages, on nous calomnie; nous sommes forcées, surtout en province, d'obéir à mille petites influences; il faut que nous recevions une foule de gens qui nous déplaisent, parce qu'ils iraient nous siffler au théâtre si nous ne les recevions pas dans notre salon; mais trouverons-nous parmi nos camarades ce que nous ne pouvons pas rencontrer dans le monde?... Ah! n'allez pas le croire; ceux de nos camarades qui ont moins de talent que nous, nous jalousent; ceux qui en on plus, nous méprisent; et tous cherchent à nous nuire: les hommes en faisant manquer nos entrées et les effets sur lesquels nous comptions, les femmes soit en ameutant contre nous ceux qui sont leur amants et ceux qui cherchent à le devenir, soit en cherchant à nous écraser par un luxe auquel nous ne pouvons atteindre.
Silvia pleura en achevant ce petit discours dont Servigny ne devinait pas la conclusion; ses larmes qui paraissaient sincères, touchèrent le pauvre jeune homme.
Silvia appréciant l'effet qu'elle avait produit, vit qu'elle pouvait continuer, ce qu'elle fit en ses termes:
—J'ai une parure d'opales et d'émeraudes assez belle, je tiens à cette parure, non pas à cause de sa valeur qui n'est pas considérable, mais parce qu'elle a appartenu à ma pauvre mère (ici une pause, puis quelques nouvelles larmes), cependant, lors de mes débuts, n'ayant pas assez d'argent pour acheter les costumes qui m'étaient indispensables, je la confiai à un juif qui me prêta la somme dont j'avais besoin, il fut stipulé que si je ne lui rendais pas cette somme à une époque indiquée, la parure deviendrait sa propriété. J'espérais être en mesure à l'époque convenue, je ne savais pas alors qu'au commencement de notre carrière nous devons être exploitée par nos directeurs. Ce matin, le juif est venu chez moi, il ne veut plus attendre, et ce soir, si aujourd'hui je ne lui paye pas une assez forte somme, ma parure sera vendue.
—Calmez-vous, ma chère Silvia; calmez-vous. Je vais aller voir ce juif, et il faudra bien qu'il attende quelques jours encore.
—Il ne voudra rien entendre. Je sais que le marquis de Roselli, que je n'ai pas voulu recevoir, parce que je vous aime, Servigny, veut acheter cette parure pour la donner à la seconde chanteuse.
Si Servigny avait eu à sa disposition la petite fortune qu'il possédait, il eut séché de suite les larmes qui coulaient le long des joues de la femme qu'il aimait; mais ne voulant pas lui laisser concevoir une espérance que, peut être, il ne pourrait pas réaliser, il sortit se bornant à l'engager à souffrir avec résignation ce qu'elle ne pouvait empêcher. Silvia qui avait remarqué la préoccupation à laquelle il paraissait en proie, et qui devinait que c'était d'elle qu'il allait s'occuper, se mit à rire aussitôt qu'il fut sorti.
—C'est bien! se dit-elle, c'est bien! Je crois que je puis sans me compromettre prier Dieu qu'il te fasse réussir СКАЧАТЬ