Название: Les vrais mystères de Paris
Автор: Eugène François Vidocq
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066080952
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—Le duc de Modène est un grand homme, dit le juif, il a trouvé le moyen de me mettre dedans.
Le soir même, Servigny, qui dans la journée avait fait remettre à Silvia la parure, rencontra dans sa loge le marquis de Roselli, cependant il n'osa se plaindre. Silvia, lorsque le marquis fut parti, lui témoigna tant de reconnaissance, de ce qu'il avait fait pour elle, elle se montra si gracieuse, si enjouée, qu'il craignit lui faire injure en la soupçonnant.
Le lendemain matin, le marquis de Roselli sortait de chez Silvia, lorsqu'il y entrait il essaya de faire comprendre à sa maîtresse, qu'elle ne devait pas recevoir cet homme, dont les prétentions étaient connues de toute la ville. Silvia lui répondit qu'elle se souciait peu de ce que pouvaient penser les oisifs; puis elle se mit à rire, et ajouta qu'elle était charmée de pouvoir enlever un adorateur à sa rivale, la seconde chanteuse.
—Ainsi vous recevrez de nouveau ce marquis italien?
—Si cela me plaît, mon très-cher, ne suis-je pas libre?
—Non, tu n'es pas libre de faire ce qui me déplaît, ce qui me blesse.
—Ah! déjà de la tyrannie! je vous en avertis, je n'aime pas les jaloux.
—Vous croyez donc, que vous pourrez recevoir chez vous tous les beaux fils de la ville, et qu'il ne me sera pas permis de m'y opposer? cela ne sera pas, vrai Dieu!
—Ah! ah! vous voulez déjà que je vous paye l'intérêt de votre argent. Et Silvia lança à Servigny un regard de dédain indéfinissable.
Le jeune homme bondit sous ce regard comme s'il eût été frappé d'une étincelle électrique, un éclair lumineux qui traversa sa pensée, lui fit durant un instant, voir tels qu'étaient en réalité tous les faits qui venaient de se passer; il sortit pour ne pas éclater. Silvia ne fit pas un pas pour le retenir, cependant il n'attribua d'abord qu'à un caprice, à une de ces idées fantasques, qui traversent si souvent l'imagination des femmes, la conduite de sa maîtresse.
«En payant ce que je devais au juif Josué, vous m'avez rendu un très-grand service, soyez donc assuré de ma reconnaissance, mais vous connaissez trop bien les usages de la bonne compagnie, pour vous faire un titre de ce service; je vous ai aimé, je vous l'ai prouvé aussi bien que cela m'a été possible, hier je vous aimais encore: aujourd'hui je ne vous aime plus, et je vous l'écris, afin de m'éviter la peine de vous le dire; ne venez plus chez moi, vous pourriez y rencontrer le marquis de Roselli.»
Silvia avait signé cette lettre, qui fut remise à Servigny lorsqu'il rentra chez lui. Il aurait dû sans doute considérer ce qui lui arrivait comme une leçon dont il devait faire son profit et ne plus s'occuper de Silvia. Mais, si l'on veut bien considérer qu'il ne possédait pas encore cette expérience qui ne s'acquiert qu'avec les années, et surtout qu'il aimait véritablement Silvia, on pourra peut-être trouver sa conduite toute naturelle. Sa raison, il est vrai, condamnait cette femme, mais son cœur, vivement épris, cherchait à l'excuser; il ne pouvait croire qu'elle eût agi de son propre mouvement, elle devait, suivant lui, avoir obéi à des influences étrangères. Il voulait la voir encore, elle n'oserait lui avouer qu'elle était l'auteur d'une lettre aussi odieuse que celle qu'il venait de recevoir? «Il n'est pas possible, se disait-il, que si jeune, si belle, elle ait déjà atteint ce degré de corruption.» Puis, relisant la lettre qu'il venait de recevoir, il la commentait avec la plus scrupuleuse attention, et cet examen venait corroborer son opinion.
Il se rendit de suite chez Silvia; la cantatrice le reçut dans son boudoir, elle était étendue sur un divan, et seulement vêtue d'un peignoir de satin noir, qui faisait admirablement ressortir l'éclatante blancheur de sa carnation; en la voyant si belle, le premier désir qu'il éprouva fut celui de tomber à ses genoux. Il se contraignit cependant.
—Ce n'est pas vous sans doute, Silvia, qui avez écrit cette lettre? lui dit-il.
Lorsque Servigny adressait cette question à celle qui avait été sa maîtresse, il n'espérait plus une dénégation; la froide ironie qui étincelait dans les yeux de Silvia, lui faisait pressentir sa réponse, ses prévisions ne furent pas trompées; cependant, elle ne répondit pas d'une manière directe.
—Je n'espérais plus vous revoir, lui dit-elle, je croyais que vous auriez bien voulu me comprendre.
—Ainsi vous pensez tout ce qui est écrit sur cette feuille de papier?
—Sans doute: je vous aimais, je le crois du moins, je ne vous aime plus, j'en suis sûre. Y a-t-il là quelque chose qui doive vous étonner?
Servigny avait le cœur trop bien placé et trop d'énergie dans le caractère pour essayer de répondre à des paroles qui accusaient chez celle qui venait de les prononcer une sécheresse d'âme et un cynisme véritablement inexplicables, il allait quitter le boudoir de Silvia, lorsque celle-ci, qui sans doute espérait une scène de désespoir et de larmes, et qui semblait trouver du plaisir à remuer le poignard dans la blessure qu'elle avait faite, lui dit:
—C'est cela, mon très-cher, partez, mais hâtez-vous, j'attends le marquis de Roselli.
C'en était trop; l'infernale méchanceté de Silvia méritait une punition exemplaire: Servigny la frappa au visage, puis il s'enfuit, effrayé de l'odieuse action qu'il venait de commettre.
—Et de deux, dit Silvia.
—Il paraît que c'est comme cela qu'on vous quitte, dit un homme qui s'était tenu caché derrière les rideaux du boudoir, pendant tout le temps qu'avait duré la scène que nous venons de décrire, faut-il encore aller tuer celui-là.
Cet homme portait le costume des pêcheurs provençaux.
—Que me voulez-vous, s'écria Silvia, qui malgré l'audace de son caractère, ne put s'empêcher de trembler sous le regard implacable de l'homme qui se trouvait devant elle.
—J'étais venu pour vous tuer, répondit le pêcheur en lui montrant un couteau bien affilé.
Silvia saisit le cordon d'une sonnette qui se trouvait à sa portée.
—Ne craignez rien, lui dit le pêcheur, je ne vous tuerai pas aujourd'hui, puis il disparut par la fenêtre avec l'agilité d'un chat sauvage.
Restée seule, Silvia écrivait une petite lettre qu'elle ne signa pas et qu'elle fit porter chez le substitut du procureur du roi.
Le lendemain, à six heures du matin, Servigny était arrêté à son domicile comme prévenu de faux en écriture de commerce.
Il répondit avec franchise à toutes les questions qui lui furent adressées, il dit dans quelles circonstances il avait remis au juif Josué la lettre de change sur laquelle il avait opposé la signature du négociant Mathieu Durand, qu'il avait ensuite endossée; mais le juif qui ne voulait pas faire connaître à la justice les petits secrets de son commerce, soutint qu'il avait escompté la lettre de change, croyant de bonne foi qu'elle avait été souscrite par celui dont elle portait la signature.
Servigny, bien certain d'être sous peu de jours en mesure de payer, ne redoutait pas les résultats de la faute qu'il avait commise, mais un événement qu'il était bien loin de СКАЧАТЬ