Название: Les vrais mystères de Paris
Автор: Eugène François Vidocq
Издательство: Bookwire
Жанр: Языкознание
isbn: 4064066080952
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Les argousins, dont depuis quelque temps on a fait des adjudants, ont pour ces hommes une sorte de respect et des égards qu'ils n'accordent pas aux forçats qui expient un crime de peu d'importance.
L'entrée de Duchemin et de Salvador dans la salle nº 3[194], fut saluée par d'unanimes acclamations; les forçats se cotisèrent, le vin coula à flots, chacun raconta son histoire, et comme on le pense bien, ce furent les plus criminels qui obtinrent les plus bruyants applaudissements.
Salvador, lorsque Duchemin eut raconté son histoire aux doyens de la salle nº 3, obtint une légère part de la considération que l'on accordait à son compagnon; on loua beaucoup surtout sa présence d'esprit et son courage dans la tentative de vol commise chez le banquier Carmagnola.
Les deux amis s'étaient procurés, aussitôt leur arrivée au bagne, tous les petits objets qui sont nécessaires à un forçat; ils s'étaient, en un mot, conduits comme des hommes résignés à subir une punition qu'ils reconnaissent avoir méritée; cependant telle n'était par leur intention; Duchemin portait sur lui une assez forte somme en billets de banque qu'il avait su soustraire à tous les regards, et comme au bagne aussi bien que partout ailleurs on trouve tout ce que l'on désire, lorsqu'on est en mesure de payer, il n'avait pas eu de peine à se procurer un de ces étuis de fer-blanc ou d'ivoire de quatre pouces de long sur environ douze lignes de diamètre qui peuvent contenir un passe-port, une scie et sa monture et auquel les voleurs ont donné le nom de bastrigue.
La jeunesse de Salvador, avait intéressé en sa faveur le commissaire du bagne, qui lui avait accordé une des places de sous-payot.
Les places de payot et de sous-payot, sont les plus belles et les plus lucratives de toutes celles qui peuvent être accordées aux forçats qui, par leur conduite ou leur éducation, se montrent dignes des faveurs de l'administration. Le payot, comme tous les autres sous-officiers de galère, est déferré et ne va pas à la fatigue[195]; mais il a de plus qu'eux, la permission de circuler librement dans l'intérieur du bague.
Duchemin et Salvador avaient tout préparé pour faciliter leur évasion, et ils attendaient avec patience un moment favorable, lorsqu'à des indices qui ne pouvaient échapper à des yeux aussi clairvoyants que ceux de Duchemin, ils s'aperçurent que leur projet avait été deviné par un de leurs compagnons d'infortune.
Duchemin n'avait pas obtenu les même faveurs que Salvador, il était accouplé et allait à la fatigue; son compagnon de chaîne, qui subissait une condamnation à cinq ans, était un homme de vingt-trois à vingt-cinq ans, fortement constitué, ses traits, d'une régularité parfaite, étaient empreints d'une remarquable expression de résolution: nous dirons les causes qui avaient amené au bagne de Toulon, cet homme qui doit jouer un rôle important dans la suite de cette histoire.
VI.—Une cantatrice.
Le voyageur qui, après avoir parcouru les contrées du nord et de l'est de la France, arrive dans une de nos cités méridionales, pourrait croire qu'il se trouve transporté sur une terre étrangère, si l'uniforme des douaniers et des gendarmes, ne venait à chaque pas qu'il fait, lui rappeler qu'il n'a pas quitté le bon royaume de France; les peuples du midi, excités sans doute par l'ardeur du soleil qui brille sur leurs têtes, se passionnent avec la plus grande facilité; leur imagination, d'une extrême mobilité, court sans cesse les champs après toutes les occasions qui peuvent se présenter de l'occuper durant quelques instants. Qu'une des célébrités de l'époque, que ce soit un brave militaire, un artiste célèbre, ou un grand écrivain, arrive dans une des cités du Languedoc, de la Provence ou de la Guienne, si l'homme célèbre est quelque peu populaire, toutes les voix se résumeront en un immense vivat, il n'y aura pas dans la ville assez d'instruments de musique, pour suffire à toutes les sérénades, et si le ciel est serein, et qu'une main rencontre par hasard celle qui se trouve près d'elle, une immense farandole est exécutée à l'instant sur la place publique.
C'est des pays méridionaux qu'est venue la mode d'accorder aux artistes dramatiques, ces ovations gigantesques, qui doivent laisser à celui qui en est l'objet, la crainte d'être enseveli vivant sous une avalanche de fleurs, mode du reste qui a fait plus de chemin que la liberté, car à l'heure qu'il est, elle a déjà fait le tour du monde.
Après cette légère esquisse du caractère de nos compatriotes du midi, nos lecteurs ne seront pas étonnés lorsque nous leur dirons que les débuts d'une jeune cantatrice qui, pour parler comme l'affiche, n'avait encore paru sur aucun théâtre, occupait toute la population de l'antique cité phocéenne: on racontait des merveilles de cette jeune femme, elle était, disait-on, plus belle que la mère des Amours, sa voix devait faire oublier celle d'Henriette Sontag, la célébrité de l'époque; elle n'avait pas encore eu l'occasion de donner les preuves de l'immense talent qu'on lui supposait, et déjà l'on craignait que la capitale, que l'on maudissait par anticipation, ne vînt enlever à la ville de Marseille, le plus beau diamant de sa couronne.
Le jour des débuts arriva, toute la ville s'était donné rendez-vous dans la rue de la Comédie; les spéculateurs qui, depuis le matin, obstruaient toutes les avenues des bureaux de location, gagnèrent des sommes énormes; on se battit aux portes du théâtre, plus d'un lion marseillais laissa, sur le champ de bataille, les parties les plus essentielles de sa parure, il y eut des épaules démises et des chapeaux enfoncés, des bras et des jambes cassés, et des habits et des redingotes transformés en vestes rondes; enfin l'on entra.
Un cri partit à la fois de toutes les poitrines, lorsque la toile se leva: la débutante! la débutante! le public ne voulut pas écouter la petite pièce qui devait commencer le spectacle. Un religieux silence s'établit, lorsque l'orchestre attaqua les premières mesures de l'ouverture de l'opéra, dans lequel devait paraître la débutante. Malgré l'expression paterne que l'on pouvait remarquer sur la physionomie de la plupart des individus qui se trouvaient dans la salle, on eut, bien certainement, très-rudement jeté à la porte celui qu'une quinte aurait surpris à l'improviste; c'est qu'il faut peu de chose pour aigrir la bile des Marseillais, braves gens, du reste, si ce n'est qu'ils paraissent être constamment en colère, et que l'on peut croire qu'ils sont prêts à se battre, lorsqu'ils parlent entre eux d'affaires ou de plaisirs.
La débutante parut enfin, c'était une très-belle personne, grande, bien faite, ses cheveux noirs et luisants comme l'aile du corbeau, dont les longues boucles tombaient sur ses épaules d'une blancheur éblouissante, encadraient un visage d'un ovale parfait; ses traits d'une régularité tout à fait artistique, rappelaient les gracieuses créations que nous a légué le ciseau des vieux sculpteurs, ses yeux bleus, à demi cachés sous des cils longs et soyeux, semblaient lancer des éclairs.
Elle chanta; les espérances qu'elle avait fait concevoir ne furent pas déçues; sa voix, d'une pureté et d'une fraîcheur remarquables, atteignait sans efforts les notes les plus élevées du registre, c'était un déluge de cadences perlées, d'admirables fioritures se succédant toujours nouvelles avec une rapidité merveilleuse.
Presque toujours, les passions violentes, lorsque l'événement qui doit en déterminer l'explosion agit sur une nature impressionnable, naissent spontanément dans le cœur de celui qui doit en éprouver les effets; aussi un jeune homme, que le hasard avait conduit au théâtre eut toute la nuit devant les yeux l'image de la brillante cantatrice.
Ce jeune homme que nous nommerons Servigny, avait réalisé une somme d'environ vingt mille francs, qu'il avait déposée chez un notaire de Paris qui devait la lui faire tenir à Marseille, et il attendait dans cette ville qu'un navire mît à la СКАЧАТЬ