" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов
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СКАЧАТЬ effrénée des impies et la témérité des imprimeurs. » Comme l’analyse J. DeJean, la censure choisit la force pour suppléer à son inefficacité13.

      À la différence de Théophile de Viau, Claude Le Petit n’a pas de protecteurs influents pour le tirer d’affaire et sa condamnation, rapide, se déroule presque à l’abri des regards14. Mais la première décision de justice est bien exprimée en des termes similaires pour les deux auteurs15 et semble confirmer le surnom dont Claude Le Petit s’était affublé : Théophile le Jeune – autrement dit Théophile sans soutien et sans notoriété.

      Paris, capitale de la répression ?

      Au sein de son œuvre, le poète laisse planer l’ombre du châtiment et participe à l’élaboration des bornes de l’interdit, contredisant amplement la représentation d’un auteur inconscient du danger. Le sujet même de Paris ridicule fait appel aux instances de répression sans mentionner directement la police du livre. Des lieux sont déclinés comme « La Chapelle du Louvre », « Les Tuileries », « Le Palais Mazarin », « Le Parlement de Paris », « La Grève », « La Bastille », « Le Gibet de Montfaucon » qui sont autant d’incarnations topographiques de la persécution que le poète raille, non sans témoigner de son inquiétude réelle. Ces lieux, souvent personnifiés, « Auguste et grave Parlement », ne manquent pas d’inspirer des mises en garde par le poète : « Si l’on nous trouvait sur le fait / L’on jetterait sur ce portrait / De très dangereuses œillades ». À la satire corrosive de l’auteur qui menace chaque étape de la déambulation dans Paris, la plupart des espaces semblent répondre par une mise en garde plus menaçante encore.

      Certaines allusions sont moins évidentes que ne le sont « La Grève » ou « Le Parlement de Paris » ; c’est le cas de la strophe 40 consacrée à « La Croix du Tiroir ». Son caractère énigmatique, du fait de son rythme haché et de ses sous-entendus, est d’autant plus intéressant qu’il fait converger cette fois le bûcher et les « livres » :

      Muse, c’est ce qu’il me faut dire ;

      Autrement je crie aux voisins,

      Et nous ne serons pas cousins

      À la fin de cette satire

      Brûle comme magiciens

      Plutôt tes livres et les miens…

      Ah ! ma mémoire s’est refaite ;

      Savez-vous pourquoi c’est, badauds ?

      C’est qu’ici la reine Gilette

      Fut tirée par quatre chevaux.16

      Arrivé, dans la fiction poétique, sur la place de la Croix du Tiroir, le poète rappelle le supplice de Brunehaut, femme de Sigebert Ier. Toutefois il ne parvient à cette réminiscence qu’au terme d’une digression qui convoque l’imaginaire des autodafés. Faut-il y voir une référence au martyre de plusieurs protestants, en 153517, date bien lointaine, ou plus simplement à l’emploi de cette place pour des exécutions capitales jusqu’en 1698 ? Dans tous les cas, la menace du bûcher sur son œuvre – « Brûle […] tes livres et les miens… » – surgit pour suspendre sa parole.

      Le danger répressif ne se matérialise pas seulement par des lieux mais s’incarne aussi bien dans des figures, à commencer par celle du Roi. La strophe 11 qui lui est consacrée atteste l’existence d’un appareil de répression affecté à la création littéraire :

      Les monarques ont les mains longues,

      Ils nous attrapent sans courir,

      Et n’aiment pas à discourir

      Avec un peseur de diphtongues […]

      Derrière les « mains longues » du souverain, c’est sans doute la police du livre, à travers le régime des privilèges et les instances juridiques, qui est suggérée, à l’encontre du poète évoqué par la périphrase du quatrième vers. Les derniers vers de la strophe, « S’il prend les gens comme les villes, / Nous serions bientôt pris d’assaut », insistent sur le péril encouru, renchérissant sur l’inutilité de toute défense argumentée – « Et n’aiment pas à discourir ».

      Outre Paris ridicule, la crainte de la sanction affleure régulièrement dans Madrid ridicule, bien que ce soient davantage des individus, et non des édifices, qui figurent la condamnation. Une strophe met en scène la Sainte Inquisition :

      Oui, ce sont ces cruelles gens

      Qui font brûler tant d’innocents…

      Mais il vaut mieux nous taire ou changer de langage :

      Quiconque serait assez sot

      Pour pincer ces gens davantage

      Pourrait bien sentir le fagot.

      L’apparition convoque le motif du bûcher mais incite surtout à adopter une langue appropriée, qui exclut toute familiarité et tout blasphème. Si la menace se fonde sur la pratique orale de la langue, pour consonner avec la fiction itinérante du poète, on peut sans doute transposer cette auto-censure à l’écriture et compter, parmi les innocents injustement condamnés, les hérétiques comme les auteurs.

      La marque de la censure, une fortune littéraire

      Paris ridicule semble répondre à l’hypothèse posée par Saint-Amant au moment de clore sa Rome ridicule :

      Qu’on me deffende, on me lira

      Par cœur un chacun me sçaura,

      Si le Conclave me censure.1

      Devant les multiples rééditions du poème de Claude Le Petit, devenu de ce fait un ouvrage à part entière, la censure semble manquer son premier objectif : l’oblitération du texte. Compte tenu de la confusion qui entoure la conservation du texte, en dépit du bûcher, il est nécessaire d’éclairer le rapport du poète avec les normes éditoriales.

      Préambule : entre désinvolture et exigence éditoriale

      Sans préjuger d’un lien entre la destinée de Paris ridicule et les relations de Claude Le Petit avec le monde de l’édition, sa liberté d’action en la matière mérite d’être mentionnée. En jouant avec les conventions éditoriales, l’auteur s’en remet avant tout au jugement de son public. Il tourne en dérision les précautions, nombreuses, qu’il convenait de respecter dans les espaces liminaires d’un ouvrage. Néanmoins, il ne faut pas être dupe de cette attitude : Claude Le Petit avait obtenu le privilège indispensable à l’impression légale de ses écrits en prose – L’Heure du Berger et L’École de l’Intérêt et l’Université d’Amour. La désinvolture dont il fait preuve à l’égard de ses imprimeurs ou des convenances est en partie feinte puisqu’il investit avec force ces espaces réservés.

      Les textes liminaires de ces œuvres en prose lui servent de prétexte. Son refus d’avoir un dédicataire pour L’École de l’Intérêt et l’Université d’Amour provient sans doute de la difficulté à en trouver un. Qu’importe, en renversant artificieusement l’ordre hiérarchique il affirme son désir libertaire :

      Sixain СКАЧАТЬ