" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов
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СКАЧАТЬ le rôle central des professionnels du livre, devenus médiateurs obligés des auteurs vers le public et le succès.

       Les mazarinades : on n’aura garde de les oublier non plus car elles correspondent, comme Christian Jouhaud et Hubert Carrier l’avaient démontré, chacun à sa manière dès les années 198050, à un moment unique de mobilisation de toutes les formes disponibles de littérature et de publication au service du débat politique.

       Le concept de police du livre, mis au point par les historiens du livre précisément à l’usage des XVIIe et XVIIIe siècles, se révèle également fructueux pour l’étude du littéraire. L’empilement des institutions centralisées qui ont au XVIIe siècle à faire avec le champ littéraire, de la Grande Chancellerie et de la censure royale à la lieutenance générale de police de Paris, doit être compris comme la contrepartie du mécénat royal exclusif sur les lettres mis en place par la monarchie absolue. Il faut se féliciter du fait que soit à présent engagée une histoire sociale de ces institutions qui régissent la vie du livre et de la littérature.

       Enfin, et on ne l’oublie évidemment pas, la bibliographie matérielle, mise au service de toutes nos recherches attentives aux objets et aux supports de la vie du livre et de la littérature. Sans une maîtrise minimum de cette science auxiliaire, les textes auxquels on a accès restent pour nous comme abstraits, dépourvus des clefs qui permettent d’appréhender les conditions et processus de leur publication.

      Soit en définitive une moisson de questionnements et d’apports qui témoigne de la fécondité de nos rencontres et du dynamisme de nos confluences. Certes, on savait déjà, comme l’écrit Ivan Jablonka, que « l’histoire est plus littéraire qu’elle le veut, et la littérature plus historienne qu’elle le croit51 ». Mais, au-delà d’une écriture et d’une méthode qui peuvent être proches, ce que ce colloque vient surtout nous rappeler, me semble-t-il, c’est à quel point les humanités qui sont les nôtres peuvent partager des centres d’intérêt et des préoccupations parentes.

      L’histoire du livre est née, nous l’avons rappelé, du constat bien simple, en somme, que le livre, et l’imprimé au premier chef, n’allaient pas de soi, qu’ils devaient être replacés dans une ample interrogation d’histoire sociale et d’histoire de la culture de l’écrit. De même, l’étude du littéraire, sans du tout renoncer à lire les textes, bien au contraire, a su ne pas se laisser enfermer dans le « textualisme » et questionner la littérature comme n’allant pas de soi. La présence au monde des textes, même, interrogeait et nécessitait d’être replacée dans une chaîne d’interventions tout à la fois intellectuelles et matérielles, de « mise en texte », de « mise en livre », qui contribuaient à construire la signification et la portée de ces textes. D’où, depuis plusieurs décennies, une vaste entreprise de relativisation et de recontextualisation du livre, de la littérature et de ceux et celles qui, à l’image des imprimeurs-libraires, les ont fait exister et évoluer. Le paradoxe n’est qu’apparent : tout ce travail de relativisation, de recontextualisation, de quête de représentativité, n’a fait que renforcer et élargir l’intérêt que peuvent susciter aujourd’hui, pour la recherche, les trois termes de notre intitulé : Littérature, Livre, Librairie.

      À nous à présent de capitaliser et d’avancer ensemble à partir de ces acquis de mieux en mieux partagés. Pour cela, toutefois, nous aurons à prendre garde au conditionnement et aux facilités que nous offrent aujourd’hui la recherche et la lecture de textes « dématérialisés », sur le continuum indifférencié de nos écrans : textes coupés de leurs supports d’origine et de leur identité matérielle (format, appartenance ou non à un recueil, encre, filigranes du papier, reliure, marques de provenance, annotations et traces de lecture, etc.), textes coupés de leurs corpus éditoriaux comme de leurs collections et catégorisations bibliothéconomiques – sans même évoquer ici la qualité déficiente de nombre de numérisations et surtout de leurs métadonnées… La commodité d’accès à des textes soustraits à leurs contextes et aux matérialités qui les ont vus naître et prendre sens ne doit pas nous laisser penser qu’il s’agit dès lors des « mêmes » textes, comme l’a rappelé à juste titre Roger Chartier52. Le matériau que l’on peut repérer et découvrir de nos jours commodément à distance grâce aux « re-productions » existantes, il est nécessaire de savoir aussi l’examiner et vérifier sur pièce53. Les bibliothèques doivent être à cet égard pleinement conscientes de leur responsabilité vis-à-vis de la recherche, en veillant bien sûr à la bonne conservation et au signalement pertinent, mais en préservant aussi l’accès aux exemplaires originaux d’éditions qu’elles ont numérisées ou fait numériser. Se laisser persuader de la pseudo-équivalence des textes inscrits dans leur environnement livresque d’origine et de leur version numérisée, ce serait d’une certaine façon démentir leur « mobilité54 », voire revenir insidieusement à une abstraction textualiste et à un antihistoricisme stérilisant. Ce serait en définitive tendre à défaire voire à nier les efforts et les avancées qui ont permis la confluence de nos recherches sur Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Et il y aurait tout lieu de le regretter.

I LA FABRIQUE DU LIVRE

      1. USAGES DU MANUSCRIT

      Le cas du Paris ridicule de Claude Le Petit, itinéraire d’un manuscrit interdit

      Dimitri ALBANESE

      Université Paris-Sorbonne

      S’adressant dans un sonnet au « Grand Ministre » Mazarin, Claude Le Petit exprime, au moment de rentrer en France, son espoir d’atteindre à la gloire littéraire en donnant la parole à sa patrie :

      Si ce Héros Romain, dont l’âme peu commune,

      A pu faire ma paix avecque l’Espagnol,

      Il fera bien la tienne avecque la Fortune.1

      S’il est réducteur de ne lire Claude Le Petit qu’au prisme de sa figure de poète martyr, brûlé pour ses écrits à 23 ans (1662), il n’en demeure pas moins le symbole des excès de la police du livre. Jeune avocat, il s’adonne à l’écriture à corps perdu et connaît bien des difficultés pour financer son ambition. C’est sans doute une logique économique qui permet d’expliquer son empressement à publier en 1661 ses œuvres les plus sulfureuses, réunies en un recueil intitulé Le Bordel des Muses. Celui-ci contient entre autres un long poème destiné à vilipender la capitale de la monarchie française : La chronique scandaleuse ou Paris ridicule.

      Le projet de Claude Le Petit apparaît plus vaste dans sa table des matières, incluant la satire de plusieurs capitales européennes dans lesquelles il aurait séjourné. Seules les 132 strophes réservées à Paris sont conservées, ainsi que 47 autres qui constituent La Castillade ou Madrid ridicule. La référence est évidente : la Rome ridicule de Saint Amant, à ce point respectée que Claude Le Petit ne s’en prend qu’à Venise lorsqu’il aborde l’Italie dans sa table des matières. Ordinairement, on considère que le destin de ce poète et celui de son œuvre sont imbriqués2, tant le scandale de son Paris ridicule se confond avec la punition qui les frappera tous deux : ils finissent ensemble dans les flammes sur la place de Grève.

      Le guide du Paris ridicule nous fait justement passer par cette même place de Grève. Ce long poème se distingue des courtes pièces licencieuses, pour l’essentiel perdues, du Bordel des Muses. L’expression pornographique y est presque absente, au profit d’un registre satirique versant dans la critique politique, et soutenu par la scatologie et le blasphème. Outre cette divergence de ton, le Paris ridicule offre une trajectoire éditoriale distincte du reste du recueil, qui interroge l’efficacité de la condamnation « exemplaire » du poète et de СКАЧАТЬ