Journal du corsaire Jean Doublet de Honfleur, lieutenant de frégate sous Louis XIV. Doublet Jean
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СКАЧАТЬ son particulier, et sy j'avois creu les mauvais consseils j'aurois mis de mon costé à l'écart pour plus de cinq cents pistoles, que cela n'auroit en rien diminué la vente, et qu'on m'offroit et à mon capitaine de nous les transporter à couvert. Je le vits un peu dans ce penchant et luy dits famillièrement: «Qu'avons-nous de plus cher et plus précieux a consserver, que l'honneur?» Sur quoy ayant réfléchy, il me dits: «Mon enfant, tu as bien raison, je t'ay estimé et t'estime d'avantage.» Et je travaillé exactement et très-fidellement aux inventaires, et l'on fut plus de trois semaines à nous acorder du prix que Mr Desgranges en souhaitoit. Les marchands portugois ne marquaient pas d'empressement à leurs offres, ce qui déconcertoit un peu nos Mr. Je leurs dits que j'avois en penssée une ruze qui m'étoit venue en l'esprit, qu'il faloit faire sourdement coure le bruit que les marchands de Cadix en ayant eu advis qu'ils en faisoient offrir plus de quinze mil livres qu'on ne nous en offroit, et faire remettre les mâts d'hunne et les voilles en état d'apareiller, et tirer les expéditions pour sortir du port. La choze fut trouvée bonne, et nous travaillasmes à nous réquiper, on nous offroit déjà mil cruzades de plus et puis encore 500. Je dits: «Il faut aler plus haut; il faut faire dessendre nos vaisseaux à Blem53 qui est la sortye, et au pis aler nous concluerons.» Et deux jours après comme nous étions soubs les voilles, il vint à nos bords une chaloupe avec un ordre de Mr Desgranges de remonter à nos places, sur ce qu'il avoit conclu le marché des deux navires. Nous ne pouvions remonter à cause de la marée que nous avions atendu baisser pour nous dessendre; nous mouillasmes les ancres et dits à Mr Delastre: «Alez trouver Mr le consul et luy demandés s'il a penssé à notre chapeau54 et que ne l'ayant fait il fasse savoir à ces acheteurs que nous ne conssentons à la vente et que nous irons à Cadix.» Et il conduit Mr de Lastre chez les marchands où ils s'expliquèrent, où nous obtinsmes six cents cruzades de chapeau valant douze cents livres, que nous partageasmes en trois et nous remontasmes le lendemain à marée montante, et secrètement Mr le Consul me donna cent cruzades pour mes paines des inventaires et pour l'advis que j'avois donné. Je présentay mes cent cruzades à mon capitaine, lequel n'en voulut rien prendre et dits seulement: «Mr le Consul devoit honnestement me les délivrer pour que je vous les euts présentées.» Puis l'on me paya mes gages, et Mr Delastre me dit: «Il nous faut chercher un passage pour retourner enssemble à Dunkerque où nous verons ce que nous ferons pour l'advenir.» Mr le Consul nous engagea nous deux à souper chez luy, car l'autre capitaine étoit une vraye cruche pour ne pas dire beste; sur la fin du repas Mr Desgranges me demanda si je me proposois de retourner en France, lui disant que ouy, et: «Qu'alez-vous faire au commencement de cette paix où l'on ne sait encore que entreprendre?» Mr De Latre prit la parolle: «Il ne sera pas désœuvré.» Et Mr Desgranges me dits: «Sy vous voulez commander icy une caravelle où j'ay intérêt, nous luy avons depuis peu fait la poupe en frégate et mastée aussy de mesme elle est bonne voilière, mais elle n'a que six canons et autant de périers, voyez là; elle est placée devant St-Paul.» Et je luy demandai au lendemain pour luy répondre, afin de savoir les sentiments de mon amy et capitaine qui eut la bonté de m'acompagner à en faire la visite. Je la trouvois à mon gré excepté son peu de déffence contre les Saletins où l'on est fort exposé; mon capitaine m'en représentoit les dangers pour m'en dégouster, et il me reconnu y avoir du penchant. Il me dits: «Vous en ferez ce qu'il vous plaira.» Je futs retrouver Mr Desgranges pour luy demander à quel voyage il destinoit. Il dits pour aler porter des sucres à Bilbaots et raporter du fer et autre choze. Je vouluts aussy savoir soubs quel pavillon et passeports. Il me promit que ce seroit soubs ceux de France, car soubs pavillon de Portugal je n'aurois pas acxepté. Nous convinmes pour mes gages, ainsy je me séparay de mon capitaine et fits en peu de jours mon équipage et chargement, et fit heureusement le voyage de Biscaye et retour à Lisbonne, et après avoir fait ma décharge l'on m'en proposa un segond et pareil, mais lequel ne fut pas tout à fait aussy heureux, car j'échapay belle d'estre esclave par deux frégates de Saley: lorsque je faisois route pour Biscaye, étant au travers de Tamina, en vue des isles de Bayosne en Galisse, j'aperceus les susdites frégates, qui me donnoient la chasse. Je reviray de bord et prits la fuitte pour me sauver dans la rivière de Vianna55 et où la barre y est périlleuse, et par malheur la mer y avoit baissé d'une heure et demie; je mits tout au hazard de la vie pour la liberté, car j'étois fort empressé puisque leurs mousqueteries nous frapoient à nostre bort que j'euts mon contre-maistre blessé à la cuisse et un gros dogue que j'avois qui fut tué. Je resté seul sur mon pont à faire gouverner, et j'entray entre deux rochers par-dessus la barre; les pilotes du lieu n'osoient m'aprocher avec leurs chaloupes à cause des boulets de leurs canons qui me surpassoient, mais la forteresse de Vianna tira plusieurs coups sur ces pirates qui les écarta au large, mais par la marée trop basse, je ne peus entrer assées avant dans le port et mon navire échoua presqu'à sec, dont il souffrit beaucoup, et que je le creu perdre et les sucres, car je futs avec la chaloupe tout autour en faire la visite et je remarquay plusieurs coutures entre ouvertes dont l'étoupe en sortoit et point de secours des gens du pays, je me fis aporter des chandelles de suif qui étoient molasses par la chaleur et dont je les couchois en long, les écrasant avec mes pouces dans les coutures et les bouchoirs par ce moyen, et lorsque la marée fut au deux tiers montée mon navire se dressa et flotta, et les coutures se resserèrent sy fort que toutes mes chandelles parurent sur l'eau et que je ne m'arestay pas à les represcher, mais bien à faire pomper deux pieds d'eau qui avoit entré dedans ma calle dont le premir rang d'en bas des caisses de sucre fut endommagées et nous entrasmes au port proche de la ville, quoyque petite qui est une des plus agréables que j'ay vues, étant pavée par de grandes pierres de taille blanche et grisâtes, et à toutes les places de très belles fontaines bouillantes à triple rang et qui maintien une grande propreté des rues. Je fis connoissance avec Mr Michel de Lescole56, parisien et ingénieur en chef du roy de Portugal, lequel finisoit de fortifier cette ville. J'y fis aussy connoissance avec Mr le Marquis Desminas57, gouverneur des frontières, et dont le fils est aujourdhuy généralissime des armées du Roy de Portugal. Je fus 15 jours avant de pouvoir sortir du dit port, et faisant route pour Bilbao, le travers du Cap Pinas, à un petit matin, j'aperceut un navire qui aparament ne me vit pas; je seray de bord et au jour il me chassa vivement. C'étoit un de ceux qui me fit entrer à Vienne; je poussay au hazard dans la barre des Ribadios dont j'étois proche, et trois jours après je reprits ma route et arrivey à Portugaletto au bas de la rivière de Bilbao, et ensuite montay à St-Mames à demie lieux proche la dite ville qui est encorre très-agréable.

      CHAPITRE III

      Voyages aux Açores. – Explosion d'un volcan. – Les Pirates d'Alger. – Voyages à Madère. – Découverte d'un banc de rochers. – Naufrage. – Voyage à l'Ile de Ténériffe; excursion dans l'Ile. – Voyages à la côte de Barbarie. – Supplice d'un Juif. – Doublet résiste aux séductions de Mme Thierry. – Autres voyages à Ste-Croix-de-Barbarie. – Les Maures attaquent Mazagan. – Retour à Cadix puis en France.

      1681. Pendant cete année j'ay fait plusieurs voyages à toutes les illes Assores pour y charger des bleds froments et les porter à Lisbonne, et dans mon premier en vüe de l'ille de Saint-Michel j'échapay heureusement par adresse d'un piratte de Salé, ce qui seroit ennuyeux à réciter.

      Dans le segond, je futs à la Tercère, capitale de toutes les autres, où est un bon évesché et un colège de jésuites et plusieurs beaux couvents, tant Récolets que Religieuses de trois ordres, une bonne citadelle presque imprenable par sa situation ne pouvant estre ataquée que du costé de la ville qui forme un amphitéastre. A la sortie de ce port, je futs au Fayal pour y charger des sucres qui y étoient arrivés du Brésil et finir mon chargement d'excellents vins de l'ille Pico nommés vins passados qu'on apelle vins du Fayal, mais il n'y en croit que très peu, tout vient de l'ille du Pic, mais c'est que la rade où posent les navires est devant et proche la ville du Fayal, où pendant que j'y étois un volcan creva СКАЧАТЬ



<p>53</p>

Belem, bourg de Portugal, sur le Tage, à deux lieues au-dessous de Lisbonne, au devant duquel on voit une tour. C'est auprès de cette tour que les navires mouillaient en attendant leurs dépêches. Doublet écrit indifféremment Blem, Bleum, Balem et Belem.

<p>54</p>

Terme de commerce maritime. Chapeau de mérite, ou simplement et plus ordinairement, chapeau, gratification accordée par convention au capitaine d'un bâtiment de commerce, qui remet à bon port les marchandises chargées à fret. (Littré).

<p>55</p>

Port de Portugal sur la Lima, province de Minho. Quatre lieues au-delà est situé un autre hâvre nommé Ville del Conde, et plus loin se trouve Port-à-Port dont Doublet citera le nom dans les pages suivantes.

<p>56</p>

On trouve dans les registres des Ordres du Roi du dépôt de la Marine plusieurs lettres adressées à cet ingénieur. Voyez notamment à la date du 20 juin 1689.

<p>57</p>

Le marquis de La Mina ou de Las Minas.