Journal du corsaire Jean Doublet de Honfleur, lieutenant de frégate sous Louis XIV. Doublet Jean
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СКАЧАТЬ Gédéon Labat de la Rochelle, qui se convertit pour épouser une demoiselle portuguaize; le consul pour les Anglois étoit Jacques Ston, et celuy des Holandois Jean Abraham, et il étoit resté chez les Pères jésuites un cordelier françois qui n'avoit voulu se rembarquer sur un navire qui avoit relasché en cette ville. Je fus convié par tous les sus-nommés d'aler avec eux voir autant que possible le dit volcan, et sans quelques affaires qui me survindre à mon bord j'aurois esté de la partie; et lorsque le soir je retournay à terre j'en apris le succès, qu'ils avoient esté près d'une lieue dans la montagne et qu'il se creva un autre volcan autour d'eux et dont le cordelier y fut englouty sans le plus apercevoir. Abraham le holandois, fort alerte à sauter, en fut quite pour les jambes un peu brûlées, ayant sauté des ruisseaux en feu, et le reste furent fort épouvantés et fatigués d'avoir raporté de leur mieux le pauvre Abraham qui ne vécut plus que deux jours. Et je retournay à Lisbonne, et en peu de jours je futs réquipé pour le mesme voyage où de chemin faisant je devois porter à l'île de la Terciere Don Roberto de Saa, secrétaire d'un nouveau évesque, avec une partie de ses ornements et meubles et de ses domestiques.

      Etant environ cent cinquante lieux en mer, je fus rencontré d'une frégate de 36 canons nommé le Rosier Dargel58, et plus de 300 hommes. M'ayant aproché à la voix, il me fit comandement d'abaisser mes voilles et d'aler avec ma chaloupe à son bord, ce qu'il fallut faire. Aussitôt que je fus dans son bord, quatre gros Maures les bras nus jusqu'aux épaules tenant d'une main chacun un sabre clair comme argent me conduisirent au Reys qui étoit assis comme un tailleur sur un beau tapis, fumant de bonne grasce avec une longue pipe, me faisoit questionner par un renégat de Provence qui étoit son lieutenant. L'on fit aussy embarquer mes 4 hommes, et bien une douzaine de turcs armés furent à mon bord. Il me demanda mon passeport dont j'étois porteur, et après l'avoir bien examiné, il me fit dire que sy je savois avant mon départ que la guerre entre Alger et la France étoit déclarée et que j'étois son esclave avec mes gens. Je luy dits que j'étois certain du contraire et que j'en étois bien informé chez notre ambassadeur. Et pour me mieux intimider, il me fit dépouiller mon justau corps et veste, chapeau et peruque, cela ne laissa pas de m'éfrayer. Et ses gens revindrent de nostre bord et lui dirent avoir trouvé dans ma chambre un prestre portugais malade dans une cabane et qu'il avoit cinq à six valets et neuf à dix chiens de chasse, et qu'il faloit que ce fût un évesque. Je luy dis: «Vos gens ne se trompent pas de beaucoup, car c'est son secrétaire.» Et sur cela, il dits: «Prends garde, crestien, ne me ment pas.» Je dis «Faites examiner ses papiers et ses gens et sy je ments jettez-moy à la mer.» – Il répliqua: «Non, non, je te garderay mieux.» – Tout cela m'embarassoit fort, et je croy mon passager et tout le reste ne l'étoit pas moins. Mais à mauvais jeu, bonne minne. Après m'avoir bien tourné sur tous sens, il me fit rabiller, et me donna un verre d'eaudevie et me voulut engager à fumer. Je m'en excusay disant que je n'en avois pas l'usage. Ensuitte il me parla luy mesme en langue franque demy Espagnol et François corompu et que j'entendois très bien. – «Sy tu veux avoir ta liberté, ton équipage et ton navire, il faut que tu conssente par écrit que j'enlève tous tes portugais et leurs bagages seront à toy.» – Je luy dits: «Vous avez la force en main, je ne puis empescher vos volontées, et vous savez mieux que moy que sy je faisois telle action que je serois au moins pendu et que je m'estimerois bien plus heureux d'estre son esclave.» – Il me dit par deux fois: «Tu es malin, prends bien garde à toy, entends-tu?» – «Oui seigneur, j'entends. Et sy vous m'enlevez, le moindre de mes passagers, il faut aussy m'enlever, sinon jiray droit vous attendre à Argel devant vostre Dey qui me fera justice.» Et le lieutenant renégat me donna un souflet légèrement en disant: «Ets ainssy que tu parles au Reys.» – Je luy enfonça du pied sur l'os de la jambe croyant luy pousser au ventre. Le Reys se leva: «Alons, qu'on donne la bastonnade à ce jeune coco.» L'on s'y préparoit. Je dits au Roy; «Seigneur, écoutez. Cet homme qui m'a frapé le premier et sans vos ordres n'est pas un turc, cets de ma nation renié59.» – Il tend les bras vers moy disant: «Il a raison. Va à ton bord et te retire de moy.» Ce que j'aspirois entendre. Ses gens enlevèrent seulement six rôles de tabac de Brézil, qui étoient pour le bureau de la Terciere, dont je fits semblant n'en rien voir; l'on fit rembarquer mes 4 matelots et nous retournasmes jouyeux dans notre petit bâtiment et continuyons notre route. C'étoit sur les 6 heures du soir lorsqu'il nous relascha, et nous en perdismes la vue en peu de temps. C'étoit le beau de voir le secrétaire se lever de sa cabane et me baiser les pieds et aussy ses gens sans m'en pouvoir dégager m'apelant; Santo, santo liberator.

      Deux jours après ce malheureux encontre, nous fusmes ataqués des vents de oest et sud-oist tout opozès à nôtre route, et grande tempeste pendant 16 jours; nos vivres manquoient; la contagion se mit à mes passagers excepté Mr de Saa; les autres mouroient au premier et deuxième jour qu'ils estoient pris par un seignement de neez. Mon chirurgien fut le premier des nostres mort la deuxième journée, mon pillote ensuite en un jour; plus personne ne voulut se hazarder d'aler tirer deux morts entre ponts, j'y fut les atacher à une corde et criois à ceux de haut: «Hisse.» J'en fus pris d'une grande douleur de teste, et sentois comme un feu soubs l'aisselle gauche. Mon contre maistre, vénitien de nation, me pilla du vieil oingt, de l'ail, du sel, de la poudre à canon et m'apliqua sur la douleur qui étoit enflée son emplastre; j'en penssay perdre l'esprit ayant une fièvre terible; je m'atachay la teste d'une fine serviette que je faisois étraindre par deux hommes de toute leur force que mes yeux en étoient forcées; l'abcès creva dès la mesme nuit, et mon vénitien me lava avec du vin presque bouillant; je me soutint et je faisois pousser vent arière à toute force pour atraper la première terre venue; j'avois perdu mon point de navigation dans mon mal, je poussois au hazard et en cinq jours par un matin nous aperceumes la terre que je reconnuts estre entre Port à port et Viana où j'avois esté. Je poussay dedans en tirant quelques canons et nous trouvasmes une chaloupe de pillotes de la barre qui nous y entrèrent, et je ne permis à aucun d'eux d'entrer dans mon bord crainte de leur communiquer notre contagion, je leur donnay une lettre ouverte et trempay au vinaigre pour M. de l'Escolle, où je luy donnois advis de nostre malheur et le suppliois de sa protection et ses pilotes la receurent ne sachant lire le françois, ny à qui je l'adressois. Ils la portèrent au consul de notre nation, qui la fut communiquer à Mr le Marquis Desminnes, lequel ordonna de nous mettre avec notre bâtiment dans une crique, à deux lieues éloignées de la ville, entre une pénisule de sable déserte de toutes maisons plus d'une lieue autour de nous, lequel me fit dire que lorsque j'aurois quelques besoin de mettre mon pavillon en berne, et que moy ny mes gens ne se communiquats avec ceux par quy il m'envoiroit les secours que l'on débarqueroit sur la pointe et où je metrois mes lettres trempées ou vinaigre au bout d'une gaule. Mr de Saa et moy lui écrivismes une lettre respectueuse le suppliant de nous honorer de sa protection, et il nous fit responsce de bien observer les reigles requizes au pareil cas, et que rien ne nous manquera et que Don Miguel de l'Escole étoit retourné à Lisbonne. Il fit poser des sentinelles pour nous empescher communication avec ces habitants, mais il se fit une cabale pour nous venir brusler dans notre navire, et auxquels nous fismes la peur de tirer dessus, et en donnai advis à Mr Desmines qui me manda de tirer sur ceux qui m'aprocheroient, et il fit redoubler sa garde. Je fits débarquer des voilles sur la pointe de sable et des petits mâts et fits deux tentes l'une pour mes gens et pour Mr de Saa et moy et notre mousse. Il me mourut un matelot au bout de trois jours de notre arivée, et nous l'enssablasmes bien au loin de nous sans le donner à conoistre à ceux du pays, le restant de mes gens se rétablissoient d'un jour à autre, ainssy que Mr de Saa et moy; il est vray que nous fusmes bien secourus de tous vivres et rafreschissements et les deux communautées de religieuses nous acabloient de confitures et conssomées. Au bout de quinze jours Mr de Saa et moy écrivismes une lettre civile à Mr le Marquis en luy donnant advis que depuis nous estre débarqués sur la péninsule et fait airer notre navire et le laver avec l'eau de la mer tous les jours et nos hardes et brullé les paillasses, que nous jouissions d'une parfaite santé et que nous nous sentions en état de reprendre la mer, ayant repris des vivres et quatre matelots qui me manquoit. Il nous fit réponsce de ne nous pas précipiter et qu'il me faloit rester jusqu'aux 40 jours, et après quoy nous aurons toute satisfaction. Cependant au bout d'un mois il se fit aporter dans une barque СКАЧАТЬ



<p>58</p>

Le Rosier d'Alger. Le ms. porte Dargel en un seul mot. Plus loin, Doublet écrira correctement Alger; plus loin encore il écrira Argérins pour Algériens. Il dit encore Europiers pour Européens.

<p>59</p>

C'est un renégat de ma nation.