Journal du corsaire Jean Doublet de Honfleur, lieutenant de frégate sous Louis XIV. Doublet Jean
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СКАЧАТЬ que j'en perdois l'apétit, qu'un jour sur l'heure du disner je m'étois acoudé sur le bord du navire que nostre maistre chirurgien nommé M. Prevosts me demanda sy j'étois malade de ce que je ne mangeois pas avec mes camarades. Je soupirois et je m'empressa de luy dire qui me tenoit dans cette tristesse. Un nommé Castor Crestey lui dits que je n'étois pas acoutumé à pareille ordinaire ny compagnie. Il le questionna s'informant qui j'estois et Crestey l'en ayant instruit et nommé mon père, M. Prévost dit. «Ah! je l'ay connu, et ay esté à son service.» Et en fut entretenir M. De Latre avec lequel il étoit fort familier. M. De Latre luy dits de m'ameiner dans sa chambre, et me demanda qui j'étois et ce que j'avois à me chagriner. Je lui dits que je plaignois mon sort de ce que la fortune m'avoit esté contraire trois années de suite, et que la suivante en m'étoit pas meilleure. Il dits: «Il ne faut pas qu'un jeune homme se rebute.» Il me demanda si je savois les principes de la navigation, et je luy dits que j'en savois plus que les principes, puisque je luy avois demandé un poste de pillote. Il m'engagea à boire un verre de vin avec luy et me demanda si les principes sont dificiles d'apprendre. Je luy dits qu'à un homme d'esprit comme luy, je les luy aprendrois en moins de six semaines, et sur le champ je luy en donna ouverture dès la première reigle. Et il me fit souper à sa table et le lendemain nous commenssasmes à travailler, où il y prit du goût, et me dit que j'avois sa table pendant toute la campagne, il me prit en affection et il me fit faire une cabane dans sa chambre, ce qui me fit un peu plus respecter. Et dans les moments de son loisir, je luy donnois des leçons dont il profitoit très-bien. L'on fit plusieurs prises et dont ma capitainerie du canot qui aloit toujours des premiers au bord des dites prises dont je seut en profiter, me procura de bonnes nipes, dont au retour de notre campagne j'en fits de bon argent, et je m'équipay très-honnestement et modestement et donnois à garder tout mon petit butin à Madame Delatre son épouse; ils n'avoient qu'un enfant qui mourut, n'ayant plus d'espérance d'en avoir enssemble quoy qu'encore jeunes. Ils me prirent tous deux sy fortement en affection, qu'ils m'obligèrent de loger et manger chez eux en me disant qu'ils n'avoient d'autre enfant que moy, ainssy j'avois toute la soubmission et complaisance possible pour eux.

      En octobre 1673, notre commandant M. le Panetier receut ordre de rarmer promptement son escadre sur des advis que la cour eut que les Holandois attendoient le retour de plusieurs de leurs vaisseaux venant des Indes Orientalles sur quoy M. Delastre de son chef m'honora du poste de segond lieutenant. Je prenois tous les soins possibles à bien remplir mon devoir et de plus sur la navigation et en sondant quatre et cinq fois par quart, écrivant ponctuellement les brasses d'eau et les fonds des sondes à connaîstre les courants des marées qu'il me dits plusieurs fois: Vous vous fatiguez trop et laissées faire cela à nos pilotes qui sont gagées pour cela, c'est leur office, et je continua. Trois semaines après notre départ, étant sur le banq aux Dogres, nous avisasmes deux vaisseaux sur lesquels nous donnasmes la chasse, et en étant aprochées nous les reconusmes estre les convois de Hambourg avec lesquels nous avions aussi guerre. L'un avait 66 canons, l'autre 54. M. notre commandant n'avoit que 36 canons sur la Droite et nos autres frégates 30 et 24 et nous 18; les forces étaient fort inégalles, et particulièrement la mer qui étoit agitée, nous ne pouvions les aborder sans nous briser comme le pot contre le rocher, cependant nous les suivions hors leurs portées de canons espérant avoir plus de calme, et ils nous conduirent en fesant leur route jusqu'à l'entrée de la rivière d'Elbe, l'entrée de Hambourg.

      M. le Panetier se démontoit de les voir nous échaper, prit résolution que nous les fussions attaquer et nous y fusmes à portée du mousquet, malgré leur décharge de leurs gros canons qui nous brisoient an pièces, le vent et la mer s'augmenta et ne pusmes les aborder. Nous perdismes 148 hommes sur notre escadre, sans plus de cent estropiés, où j'euts pour ma part le bras droit rompu en deux par un éclat, qui me prit au travers du costé et me culbuta en bas du château d'avant où j'étois pour sauter à l'abordage; il nous falut abandonner la partie. Nous fusmes ensuite vers le cap Derneuf, coste de Norvègue; nous y trouvasmes une flotte de Holandois de la mer Baltique, chargée de froment qui étoit très-cher en France, et nous n'en prismes que vingt et deux navires; leurs convois se sauvèrent et la plus grande partye dans un havre de Norvègue et nous amenasmes à Dunquerque les 22 navires, qui y causèrent bien de la joye et mesme jusque dans Paris.

      Nous trouvasmes le fameux M. Jean Bart qui venoit de recevoir son brevet de lieutenant de haut bord50 auquel le Roy luy donna le comandement de la frégate l'Alcion de 40 canons, avec quatre autres frégattes légères formant son escadre de cinq bâtiments, lequel étoit prêt à sortir du Port, et il me fit l'honneur de me demander pour son segond lieutenant. Je n'étois encore bien guéri de mon bras ny de mon costé, je m'excusay sur cela, et que je ne ferois rien sans l'agrément de M. de Lâtre auquel je devois tout. M. Bart en fit ma cour à M. de Lastre et luy dits: «J'aurey plutots finy ma campagne que vous ne serez prets à sortir; je vous rendray Doublet au retour.» Le soir je rentray chés mes bons hostes pour souper, et je ne leur dits rien de la proposition, et sur la fin du repas, la dame me dits: «Je ne vous croyois pas sy dissimulé vous voulez aller avec Jean Bart et quiter mon mary.»

      Je paru estonné crainte que M. Bart n'eut dit que c'étoit moy qui l'eut sollicité. Et M. de Latre prit la parolle et dits: «Non c'est M. Bart qui l'a demandé et a fait une honeste responsce, qui me fait augmenter l'estime que j'ay pour luy. S'il étoit bien guéri, je luy consseillerois d'y aler pourveut qu'au retour il revienne à moy et j'ay mesme donné mon consentement à M. Bart.» Et je conssentits.

      Le 9 janvier 1674, nous sortismes les cinq frégates du Roy avec trois autres frégates de particuliers et le 20e du mesme mois nous prismes une grande flûte holandoise venant de Moscovie, richement chargée, et après quoy nous rencontrasmes le gros de la flotte des bleds que nous avions fait relascher avec M. le Panetier et nous donnasme sur les deux convoys, l'un de 40 et l'autre de 24 canons que nous prismes et toute la flote de 36 grosses flûtes que nous aconduismes au port de Dunquerque ce qui redoubla les joyes des peuples, et les bleds diminuèrent bien de leur haut prix, et notre campagne ne fut que 37 jours. Nous trouvasmes à notre arrivée l'escadre et M. le Panetier en état de reprendre la mer, et M. le marquis Damblimonts chef d'escadre et commandant à Dunquerque avoit obtenu de commander l'Alcion dont il démonta M. Bart, et on luy donna la Serpente de 36 canons, et M. De Lastre monta la Sorcière de 30 canons formant cete escadre de M. Le Pannetier de 8 frégattes et M. De Lâtre me prits avec luy comme il étoit convenu, et je fus son premier lieutenant. Nous sortismes le 5 de mars pour aler aux isles Orcades et celles de Féroe, tout au nord d'Ecosse, espérant d'y rencontrer les vaisseaux venant des Indes Orientales. Mais après avoir bien essuyé des tempestes sans rien trouver, nous fusmes à la grande ille de Hitlant51, ou il y a de très bons hâvres de toutes marées pour nous y espalmer, nos batiments étant très-sales et ne marchoient plus, et là nous y aprismes que les Indiens que nous cherchions y avoient passé il y avoit dix jours et devoient être rendues en Holande. Notre commandant s'arrachoit la barbe de dépit. Ce pays d'Hitlant est habité par des Ecossais tous galeux comme des chiens; il ne vivent que presque tout poisson et de mauvais pain d'orge et d'avoine; ils ont quelques troupeaux de moutons et chèvres, la laine ets métisse dont ils font de gros bas et habillement; ils appellent ville de méchantes bourgades, pauvres maisons basses où leurs bestiaux sont enfermés avec eux et ils puent comme des boucs; leurs chevaux ne sont pas plus haut que des bourriques ayant une grosse teste, et mal faits de corps, ainsy les beufs et vaches; ils peschent quantité de morues qu'ils font seicher sans sel, à la gelée, quils nomment Stocfit ou poisson en baston; les testes étant bien seichées et les harestes ils les broyent et en donne à menger à leurs bestiaux en guize d'avoine; il n'y a aucun arbre de quoy faire un menche à baley, etc.

      Je reviens à nostre voyage. Lorsque les frégates furent espalmées M. Le Pannetier nous fit remettre à la mer, et fusmes entre le banc des Dogres et le Welles, et d'un beau calme convia tous nos capitaines à disner et pour tenir consseil; et dans le repas l'on parla de la grande ignorance de nos pillotes pour les bancs, qui ne savent lire ny écrire et seulement d'avoir esté sur les bateaux pescheurs aux harancs, disent conoistre les fonds, M. De Lastre dit bonnement: «J'ay mon lieutenant qui est СКАЧАТЬ



<p>50</p>

Jean Bart fut fait lieutenant de vaisseau le 5 janvier 1679; capitaine de frégate le 14 août 1686; capitaine de vaisseau le 20 juin 1689. Il fut anobli le 3 août 1694 et nommé chef d'escadre le 1er avril 1697. Arch. de la Marine.

<p>51</p>

Iles de l'Océan septentrional appartenant à l'Angleterre. Les cartes modernes les nomment Shetland.