Journal du corsaire Jean Doublet de Honfleur, lieutenant de frégate sous Louis XIV. Doublet Jean
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СКАЧАТЬ pour la terre neufve de me prendre avec luy, ce qu'il m'accorda; et ma mère ne pouvant rien détourner luy pria de m'estre rigoureux pendant le voyage afin qu'il pust me rebuter de la mer pour que je reprist les études, et mon dit capitaine ne manqua pas d'exécuter ces ordres et de m'exposer à tout ce qu'il y avoit de plus fatiguant, et je ne me rebuté nullement et aprenois toujours la maneuvre et la navigation. —

      166935. L'un de nos proche voisins qui avoit longtemps commandé un navire à terre neufve où il avoit augmenté sa fortune et se sentant apesantyr par âge et ses fatigues, ayant son fils aisné à peu près de mon âge il luy fit bastir un bon navire et luy en donna le comandement, et ayant esté camarade d'écolle, et que j'étois plus au fait que luy il me proposa d'aler avec luy et que je serois la 3e perssonne de son navire, et qu'en outre de mon loyer il m'acordoit le tiers sur le sien dont il me passa un écrit secret à cause de sa mère qui n'y aurait pas conssenty étant très avare. Et pour abréger discours, nous fusmes près de sept mois sur le grand banc, et ne peschasmes pas entièrement la moitié de notre charge; les vivres nous manquant nous obligèrent de revenir, et étant arrivés jusqu'à l'entrée de la Manche, les vents de Nord-Est nous contrarièrent pendant plus d'un mois, à court de tous vivres et boissons, voltigeants d'un bord sur l'autre pendant cet espasce, nous nous rassemblasmes jusqu'à vingt et un navires tous terreneuviers, tant du Havre, Diepe et Honfleur, tous dans la mesme disette sans se pouvoir assister aucuns, et nous faisions tous nos efforts pour relascher fut-ce aux costes d'Angleterre ou à nos costes de Bretagne, et lorsque nous avions aproché de l'un ou de l'autre, le vent y étoit entièrement oposé; et après avoir bien debatu nous gagnasmes en vüe de l'ille de Wic. L'on prit tous résolution d'y relascher, et il n'y eut entre tous les capitaines qu'un qui dit bien en connoistre l'entrée du port, qui étoit le capitaine Duval, du Havre, qui avoit pour pilotte le Sr Bougard36 qui a fait ce bon livre le Petit Flambeau de la mer et qui depuis est parvenu à estre un des premiers pilotes des armées navales de Sa Majesté et fait capitaine de brûlot. Nous fusmes tous nos navires soubs la conduitte de ces deux conducteurs pour entrer par la pointe de Ste Heleine de la dite isle et comme c'étoit sur le soir et que la nuit s'aprochoit ils dirent qu'ils alloient alumer un fanal et marcheroient à la teste et sur lesquels nous les suivirions, ce qui fut exécuté. Mais ils se trompèrent aux cours des marées, qui nous transportoient sur les bancs, nomées les Ours, où ils eschouèrent et tirèrent un coup de canon qu'un chacun croyoit estre à dessein de marquer que ce soit où il falloit jetter l'ancre, mais c'étoit pour demander du secours, et tous les navires eurent le mesme sort d'échouer comme ces mauvais guides. L'on entendoit de tous costés que cris et lamentations, et par un bonheur les vents calmèrent et la mer, ce qui empescha le perdition totale des corps et biens, et qu'à la marée suivante du lendemain au matin un chacun se rechapèrent de leur mieux de dessus les bancs, où il n'en resta que trois dont les équipages furent sauvés, et cette pauvre flotte regagna à la rade de Ste Hélène, puis entra au havre de Porsemuths, où l'on nous y aprist la guerre avec l'Espagne et Holande. Chaque capitaine de nos navires écrivirent à leurs interessées, ce qui était arivé et demandant des lettres de crédit pour avoir le nécessaire.

      Dans l'intervale il arriva à la rade de Ste Heleine37 une escadre holandoise venant du retour du combat de Palerne contre l'armée du Roy comandé par Mr le duc de Vivonne, où Mr l'admiral Ruiter fut tué38, dont son cercueil en plomb étoit dans la dite escadre, et Mr Angel de Ruiter son fils, qui commandoit l'un des vaisseaux, très beau cavalier, très-affable et parlant bon latin et françois. Et comme nos capitaines atendoient leurs réponsces à leurs lettres, nous estions fort à loisir; nous alions souvent les après-disner aux promenades et aux cabarets boire de la bière; Mr Ruiter fils entra dans nostre auberge avec un de ses officiers et me demanda sy j'étois l'un des capitaines de ces pauvres terneuviers, et que je les pouvois tous assurer de sa parolle que sy le vent nous venoit favorable, que nous pourions en toute seureté en profiter pour nous rendre chez nous, et que aucun de son escadre ne coureroit sur nous; ce que je raporté à tous nos capitaines. Après quoy nous nous séparasmes et busmes à la santé l'un de l'autre. Et me pria pour le landemain de me trouver à la mesme auberge du Grand Ours sur les deux heures d'après midy, et mon capitaine par timidité ny voulut retourner, et je n'y manqué pas, et le trouvé qui m'attendoit. Et après avoir bu une canette de bière il me dits qu'ils prenoit beaucoup de plaisir à parler françois et qu'il les aimoit naturellement, quoyque Mr son père en avoit esté tué, qu'ils étoient braves et tout ce qu'on peu d'obligeant pour une nation leurs adverses.

      Comme nous sortions pour aler à une promenade, on luy dit que Madame la duchesse de Porsemuths39 venoit d'ariver en ville. Il me dit: Alons la saluer. Je luy dits: «J'ai l'honneur d'estre connu de Madame la contesse de Keroal, sa mère, mais de cette dame non.» Il me pressa fort d'y aler; et je m'en excusois, disant que je luy ferois deshonneur à luy mesme par mon trop comun habillement. Il me répond: «Bon c'est comme l'on aime les marins.» Et m'engagea d'y aler. Nous la trouvasmes entourée d'une grande cour d'officiers comme étant maitresse du Roy d'Angleterre, et tour à tour elle receut les compliments d'un chacun ainsy de Mr Ruiter qui eut la bonté de luy dire que j'étois connu de Madame sa Mère et qu'il se plaisoit avec moy, quoy qu'en guerre. Cette dame me questionna sur Madame sa Mère et connaissant ma justesse nous fit bien des gracieusetées en la quittant et nous dit un peu bas: «Or ça, il faut demain venir disner avec moy, et ny manquez pas.» Ce que nous ne pusmes refuser.

      Nous y fusmes. Après le disner le caffé fut présenté et puis des tables pour les jeux. Elle demanda à Mr Ruiter s'il avoit vu Londres et la cour, il dit que non. «Et vous, me dit-elle.» «Non madame» – «Ah! vraiment puisque vous en êtes sy proches il faut que vous y alliez.» Nous nous excusions très-fort tous les deux en disant ne pouvoir nous écarter de nos navires, en cas pour moy d'un bon vent. «Hé, bon, bon, dit-elle, ce n'est qu'un voyage de sept à huit jours. Je vous presteray ma chaise à deux et mon cocher, et prendrez logement dans mon hostel. Quoy! des jeunes gens.» – Enfin elle nous gagna par ses belles manières, elle se mit au jeu qui nous donna lieu de sortir sans sérémonie et sans estre aperceus.

      Ce seigneur craignoit la dépence comme tous ceux de sa nation et moy pour n'avoir en pareille occasion rien épargné, je n'en avois pas. Il fallut pensser tous les deux comment faire et comment nous dégager. Il me dits qu'il ne pouvoit faire ce voyage qu'incognito, que sy Mrs les Etats Généraux le savent que se sera pour estre disgrascié. Je luy dits que l'odeur de Mr son père étoit forte en Holande et qu'il avoit beau se couvrir, en disant qu'il aloit s'emboucher avec Mr leur Embassadeur qui étoit son oncle, mais que pour moy que j'étois excusable, n'ayant ny argent ny crédit ny de quoy en faire, cependant que s'il payoit les trois quarts de nostre dépence, que je ne l'abandonnerois pas. Et il fut sy bas de me dire que j'en payerois la moittié et à la fin nous acordasmes pour luy les deux tiers. Sur quoy je fut emprunter dix livres sterlins à un marchand nommé Mr Smits, et entreprismes le voyage et estant arivées à Londre Mr L'Angel Ruiter fit toujours servir la chaise de Madame la duchesse à nos promenades du Withals, St Jemes et Winsorts et dont j'en avois honte, et une mexquinerie horible en tout, et après neuf jours et demy nous remerciasmes la dame Duchesse notre bienfaitrice.

      Peu de jours ensuitte, il nous arriva à Ste Héleine deux frégattes du Roy de 24 et 18 canons, soubs les comandements de Mrs de Gravansson40 et St Mars Colbert41, que les intéressés de nostre petite flotte avoient obtenües de la cour, pour nous venir escorter jusqu'à la rade du Havre, et nous aconduire deux caravelles de Quilbeuf où estoient des pilotes lamaneurs pour chacun de nous et aussy des vivres pour tous nos équipages, et on nous fit sortir du port de Porsemuts pour nous joindre à la rade de Ste Heleine proche de nos frégates, pour partir du premier bon vent. СКАЧАТЬ



<p>35</p>

Dans le ms. les pages qui suivent sont enregistrées sous la date de 1669. La date exacte est 1676; les faits cités permettent de l'établir.

<p>36</p>

Nommé lieutenant de frégate le 25 octobre 1689; capitaine de brûlot le 1er janvier 1693. Tué sur le Bon en mars 1694. Il a publié le Petit Flambeau de la mer ou le véritable guide des pilotes côtiers, (Havre, 1731, in-8o).

Une famille du nom de Bougard, et à laquelle le pilote-hydrographe cité par Doublet appartenait peut-être, vivait à Honfleur au milieu du dix-septième siècle: Elle professait la religion réformée. Nous pouvons citer: Marie Bougard mariée à Jacques Lelou, avocat; Me Bougard médecin et Judith Le Prevost, sa femme, qui abjurèrent en novembre 1685 ainsi que dix-sept autres religionnaires. – Reg. du tabellionnage d'Auge, 7 octobre 1684; Reg. de l'état civil, nov. 1685.

<p>37</p>

Sur la partie est de l'île de Wight, au large de Portsmouth, au nord du port Brading. Cette rade peut contenir tous les vaisseaux de la marine anglaise.

<p>38</p>

Le combat de Palerme est du 2 juin 1676; 12 vaisseaux hollandais et espagnols furent incendiés, ainsi que la galère réale et quatre autres galères. L'amiral espagnol Florès et l'amiral hollandais de Haën périrent dans les flammes.

Quant à l'amiral Ruyter, ce fut à la bataille du Mont-Gibel livrée par Duquesne le 22 avril 1676 qu'il reçut une blessure dont il mourut le 29 du même mois.

<p>39</p>

Louise de Kerhouent, duchesse de Portsmouth, maîtresse de Charles II, roi d'Angleterre, avait été amenée de France, en 1670, par Henriette d'Angleterre, duchesse d'Orléans.

<p>40</p>

Le capitaine Gravenson était originaire de Nantes. Il fut promu lieutenant de vaisseau le 1er janvier 1667; capitaine de frégate en 1671 et capitaine de vaisseau le 1er mars 1673. Noyé au Havre en 1679.

<p>41</p>

François Colbert de St-Mars, enseigne en 1672, lieutenant de vaisseau en 1673, capitaine de frégate en 1675, obtint le grade de capitaine de vaisseau le 7 février 1678. Il se retira, le 1er juillet 1721, chef d'escadre honoraire et mourut près de La Rochelle, le 22 janvier 1722.