Название: La corde au cou
Автор: Emile Gaboriau
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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En Saintonge, pays aisé, mais où les grandes fortunes sont assez rares, on donne carrément le nom de château à la moindre bicoque ayant girouette sur un toit pointu. Mais Boiscoran est bel et bien un château. C'est une construction de la fin du XVIIe siècle, d'un goût déplorable, mais massive comme une forteresse. L'emplacement en est heureux. Tout autour verdoient des bois et des prairies, et, au bas des jardins en pente, coule sur un lit de cailloux une petite rivière qui doit sans doute à son perpétuel gazouillement son nom: la Pibole, la pie, en patois saintongeois.
7. Il était sept heures quand la voiture «qui portait la justice»entra dans la cour de Boiscoran…
Il était sept heures quand la voiture «qui portait la justice»entra dans la cour de Boiscoran – une vaste cour plantée de tilleuls et entourée de bâtiments d'exploitation.
Le châteauétait bienéveillé. Devant la porte de son logis, la métayère récurait le chaudron où elle avait fait cuire la soupe du matin; des filles de ferme allaient et venaient, et, près de l'écurie, un robuste gars brossait à tour de bras un cheval de sang. Debout sur le perron, le valet de chambre de M. de Boiscoran, M. Antoine, surveillait tout en fumant son cigare au soleil.
C'était un homme d'une cinquantaine d'années, fort alerte encore, qui avaitété légué à Jacques de Boiscoran par son oncle, en même temps que sa fortune. Il avaitété marié et il avait perdu sa femme, mais sa filleétait au service de la marquise de Boiscoran. Né dans la famille, ne l'ayant jamais quittée, il se considérait comme en faisant partie et ne voyait aucune différence entre son intérêt à lui et celui de ses maîtres. Et de fait, on le traitait moins en serviteur qu'en ami, et il pensait bien ne rien ignorer des affaires de M. de Boiscoran.
Voyant descendre de voiture le juge d'instruction et le procureur de la République, il jeta son cigare, et s'avançant rapidement vers eux en les saluant de son plus accueillant sourire:
– Ah! messieurs, fit-il, quelle bonne surprise! Monsieur vaêtre bien content!
Avec desétrangers, Antoine ne se fût point permis cette familiarité, car ilétait formaliste, mais il avait déjà vu au château M. Daubigeon, et il savait quels projets avaientété agités entre son maître et M. Galpin-Daveline. Aussi fut-il singulièrementétonné de la raideur embarrassée de ces messieurs, et de l'accent dont le juge d'instruction lui demanda:
– Monsieur de Boiscoran est-il levé?
– Pas encore, répondit-il, et même monsieur m'avait bien recommandé de ne pas le réveiller. Comme il est rentré assez tard, il se proposait de dormir la grasse matinée…
Instinctivement, le juge et le procureur de la République détournèrent la tête, chacun craignant de rencontrer le regard de l'autre.
– Ah! Monsieur de Boiscoran est rentré tard? insista M. Galpin-Daveline.
– Vers minuit; plutôt après qu'avant.
– Et ilétait sorti?…
– Sur les huit heures.
– Commentétait-il vêtu?
– Comme d'ordinaire. Il avait un pantalon gris clair, de velours côtelé, une jaquette de velours marron et un grand chapeau de paille.
– Avait-il son fusil?
– Oui, monsieur.
– Savez-vous où il est allé?
Le respect seul que professait Antoine pour les amis de son maître avait pu le déterminer à répondre à cet interrogatoire, qu'il jugeait à part soi de la plus haute inconvenance. Mais cette dernière question lui parut passer les bornes. Et c'est d'un ton de réserve offensée qu'il répondit:
– Je n'ai pas l'habitude de demander à monsieur où il va quand il sort, ni d'où il vient quand il rentre.
À quels honorables sentiments obéissait l'honnête valet de chambre, M. Daubigeon le comprit. Et c'est d'un air dont la conviction s'imposait que, prenant la parole:
– Ne croyez pas, mon ami, dit-il, qu'une vaine curiosité nous fasse vous poser toutes ces questions. Répondez. Votre franchise peut servir votre maître plus que vous ne l'imaginez.
C'est d'un regard décidément stupéfait qu'Antoine examinait tour à tour le juge d'instruction et le procureur de la République, le greffier Méchinet et enfin Ribot qui, descendu de son siège, avait déroulé la longe de Caraby et l'attachait à un arbre.
– Je vous jure, messieurs, répondit-il, que j'ignore où monsieur de Boiscoran a passé la soirée.
– Vous ne le soupçonnez même pas?
– Non.
– Peut-êtreétait-ilà Bréchy, chez un de ses amis?
– Je ne lui connais pas d'amis à Bréchy.
– Qu'a-t-il fait en rentrant?
L'inquiétude, visiblement, gagnait le digne serviteur.
– Attendez! répondit-il. Monsieur, en rentrant, est monté à sa chambre et y est resté quatre ou cinq minutes. Il est redescendu, ensuite, et a mangé une tranche de pâté et bu un verre de vin. Après, il a allumé un cigare et m'a dit d'aller me coucher, qu'il voulait faire un tour et qu'il se déshabillerait seul.
– Et vousêtes allé vous coucher?
– Naturellement.
– De sorte que vous ignorez ce qu'a pu faire votre maître?
– Pardonnez-moi: je l'ai entendu ouvrir la porte qui donne sur le jardin.
– Il ne vous a pas paru… extraordinaire?
– Non… ilétait comme tous les jours, plus gai, peut-être, il chantait…
– Pouvez-vous me montrer le fusil qu'il avait emporté?
– Non… Monsieur a dû le déposer dans sa chambre.
M. Daubigeon ouvrait la bouche pour présenter une objection, le juge l'arrêta d'un geste, et vivement:
– Y a-t-il longtemps, demanda-t-il au domestique, que monsieur de Boiscoran et monsieur de Claudieuse ne se sont rencontrés?
Antoine tressaillit, comme si un pressentiment eût traversé son esprit.
– Très longtemps, répondit-il. À ce que je crois, du moins.
– Vous n'ignorez pas qu'ils sont au plus mal?
– Oh!…
– Ils ont eu ensemble les altercations les plus violentes…
– Des fâcheries, tout au plus… Ne se fréquentant pas, comment se seraient-ils haïs? Vingt fois, d'ailleurs, j'ai entendu monsieur dire qu'il tenait le comte de Claudieuse pour le meilleur et le plus loyal des hommes, et qu'il le respectait infiniment.
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