La corde au cou. Emile Gaboriau
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Название: La corde au cou

Автор: Emile Gaboriau

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ Je viens de recevoir des nouvelles inquiétantes. Je crains du désordre. Les paysannes, qui se rendaient au marché, y ont raconté, avec toutes sortes d'exagérations, les malheurs déjà si grands de cette nuit. Elles ont assuré que dix ou douze hommes avaientété tués et blessés, et que l'incendiaire, monsieur de Boiscoran, était arrêté. La foule s'est portée chez la veuve du malheureux Guillebault, et il y a une manifestation devant la maison des demoiselles de Lavarande, où demeure la fiancée de monsieur de Boiscoran, mademoiselle Denise de Chandoré.

      Pour rien au monde, en des temps ordinaires, M. Séneschal n'eût consenti à confier à des mainsétrangères son bon cheval – Caraby —, le meilleur peut-être de l'arrondissement. Mais ilétait affreusement bouleversé, on le voyait bien, malgré ses efforts pour conserver cette impassible dignité qui sied si bien à l'autorité.

      Il fit un signe, et en un moment sa voiture fut prête. Seulement, lorsqu'il demanda quelqu'un pour conduire, personne ne se présenta. Tous ces braves campagnards qui venaient de passer la nuit dehors avaient hâte de regagner leur logis, où les réclamaient les soins à donner à leur bétail. Voyant l'hésitation des autres:

      – Eh bien! c'est moi qui mènerai la justice, déclara le fils Ribot, ce gars avantageux qui avait rencontré M. de Boiscoran au déversoir de la Seille.

      Et s'emparant du fouet et des guides, il s'installa sur la banquette de devant, pendant que prenaient place le procureur de la République, le juge d'instruction et le greffier Méchinet.

      – Surtout, ménage Caraby, recommanda M. Séneschal, qui sentit à cet instant suprême se réveiller toute sa sollicitude.

      – N'ayez pas peur, monsieur le maire, répondit le gars en enlevant vigoureusement le cheval, si je tapais trop fort, monsieur Méchinet me retiendrait…

      C'était presque une puissance à Sauveterre que ce Méchinet, greffier du juge d'instruction, et les plus huppés comptaient avec lui. Ses fonctions officiellesétaient humbles et peu rétribuées, mais il avait eu l'art d'y adjoindre, sans que le tribunal y trouvât rien à redire, quantité d'occupations parasites qui grandissaient singulièrement son importance et sextuplaient ses revenus.

      Lithographe distingué, c'était lui qui faisait toutes les cartes de visite que l'on commandait à M. Serpin, le premier imprimeur de la ville et le propriétaire et gérant responsable de L'Indépendant de Sauveterre. Comptable expérimenté, il tenait les livres et débrouillait les comptes chez plusieurs négociants. Il donnait aussi des consultations de droit aux paysans processifs et rédigeait habilement des actes sous seing privé. Depuis longtemps ilétait chef de la musique des pompiers et directeur de l'orphéon.

      Correspondant de la société des auteurs dramatiques, dont il percevait les droits, il devait à ce titre ses entrées au théâtre, non seulement dans la salle, par la porte du public, mais dans les coulisses, par le couloirétroit et malpropre réservé aux artistes. Enfin, il donnait, selon la volonté des personnes, des leçons d'écriture et de français aux petites filles et des leçons de flûte ou de cornet à pistons aux jeunes amateurs.

      Tant de talents divers lui avaient longtemps attiré la sourde inimitié des autres employés de la localité, du secrétaire de la mairie, du factotum de la sous-préfecture, du premier commis des hypothèques et même du fondé de pouvoir de la recette particulière. Mais tous ces ennemis avaient fini par désarmer devant une supériorité universellement reconnue. Et de même que tout le monde, lorsqu'unévénement imprévu les prenait sans vert: «Allons consulter Méchinet», disaient-ils.

      Lui dissimulait, sous les apparences rassurantes d'uneéternelle bonne humeur, l'ambition qui le dévorait de devenir riche et l'un des premiers personnages de Sauveterre. C'est que c'était un diplomate retors que ce Méchinet, fin comme l'ambre et plus délié que la soie. Il l'avait bien prouvé, en réalisant ce problème de remplir la ville du mouvement de sa personnalité remuante, de se mêler de tout et de tous sans se faire un seul ennemi déclaré.

      Le fait est qu'on le craignait et qu'on avait une peur terrible de sa langue. Non qu'il eût jamais fait de malà personne – il n'était pas si sot-, mais à cause du mal qu'il eût pu faire, pensait-on, étant l'homme le mieux au courant de tous les petits secrets de Sauveterre, et le plus exactement informé de toutes les intrigues, de toutes les vilenies et de tous les tripotages.

      Cela tenait à sa situation particulière. Célibataire, il vivait chez ses sœurs, les demoiselles Méchinet, quiétaient les premières couturières de la ville, et de plus des dévotes célèbres affiliées à toutes les congrégations religieuses. Par elles, il avait l'œil et l'oreille dans la belle société, et il savait le fin et le dernier mot des cancans dont il recueillait l'écho, soit à son imprimerie, soit au Palais.

      Il disait plaisamment: «Comment m'échapperait-il quelque chose, à moi, qui ai pour me renseigner l'église et le journal, le tribunal et le théâtre?…»

      Un tel homme eût failli à son rôle s'il n'eût pas connu sur le bout du doigt tout ce qu'on pouvait connaître dans le pays des antécédents de M. de Boiscoran. Aussi, tandis que roulait la voiture, sur la route bien unie, par la plus belle matinée de juin, débitait-il ce qu'il appelait le casier judiciaire du prévenu.

      M. de Boiscoran – Jacques de son prénom – n'était pas fixé à sa propriété et rarement y séjournait plus d'un mois de suite. Il vivait à Paris, où sa famille possédait, rue de l'Université, un confortable hôtel. Car il avait encore ses parents.

      Son père, le marquis de Boiscoran, maître d'une belle fortune territoriale, député sous Louis-Philippe, représentant en 1848, s'était retiré des affaires à l'avènement du Second Empire et dépensait, depuis, tout ce qu'il avait d'activité et de capitaux à collectionner toutes sortes de bibelots artistiques, des porcelaines spécialement et des faïences, dont il avaitécrit une monographie.

      Sa mère, une Chalusse, avait eu la réputation d'une des plus charmantes et des plus spirituelles femmes de la cour du roi-citoyen. Même, à une certaineépoque, la médisance ne l'avait pasépargnée, et vers 1845 ou 1846, elle avaitété, prétendait-on, l'héroïne d'une aventure un peu vive, dont le hérosétait un galant substitut devenu depuis le plus austère des magistrats.

      En vieillissant, la marquise de Boiscoran avait incliné vers la politique comme d'autres se jettent dans la dévotion. Et tandis que son mari se vantait de n'avoir pas ouvert un journal depuis dix ans, elle avait fait de son salon un petit centre parlementaire qui n'était pas sans influence.

      Ayant encore son père et sa mère, Jacques de Boiscoran possédait néanmoins une fortune personnelle assez importante: vingt-cinq ou trente mille livres de rentes. Cette fortune, qui comprenait le château de Boiscoran, ses terres, ses prairies et ses bois, lui avaitété léguée par un de ses oncles, le frère aîné de son père, mort veuf et sans enfants en 1868…

      Jacques de Boiscoranétait alors un homme de vingt-six à vingt-sept ans, brun, grand, vigoureux, bien découplé, non pas joli garçon précisément, mais ayant, ce qui vaut mieux, une de ces physionomies ouvertes et intelligentes qui préviennent en leur faveur. Son caractèreétait, à Sauveterre, moins connu que sa personne. Les gens qui avaient eu avec lui des relations le disaient loyal et généreux, grand ami du plaisir, spirituel et gai, de cette bonne et franche gaieté devenue si rare.

      Lors de l'invasion prussienne, il avaitété nommé capitaine d'une des compagnies de mobiles de l'arrondissement, et même – chose honteuse à dire, et qu'il faut dire pourtant – il s'était trouvé des gens dans le pays pour lui reprocher de n'avoir pas su, comme d'autres chefs, éviter le danger. Il avait vaillamment conduit ses hommes au feu et s'yétait si bien comporté que le général Chanzy avait cru devoir appliquer, sur une blessure qu'il avait reçue, СКАЧАТЬ