Название: Le gibet
Автор: Emile Chevalier
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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En 1855, leur irritation, leur fureur, étaient à leur comble.
À cette époque, dans une ferme sur la frontière du territoire et du Missouri, vivait un homme avec ses sept fils.
Cet homme était dans la force de l’âge. Il avait cinquante-cinq ans. Sa physionomie était hardie: elle respirait l’intelligence, mais dénotait l’opiniâtreté. Doué d’une constitution musculeuse, d’un esprit solidement trempé, il était propre aux grandes fatigues physiques et morales. Son regard sombre et triste s’éclairait parfois d’une mansuétude infinie. Mais, ordinairement, il inquiétait et fatiguait.
Assurément, une pensée dominante, pensée de tous les instants, de toute l’existence, absorbait cet homme.
Il se nommait John Brown mais on l’appelait communément le capitaine Brown ou le père Brown (old Brown).
Le capitaine Brown était la terreur des esclavagistes, l’espoir de abolitionnistes.
Depuis bien des années, il combattait de la voix et des bras pour l’émancipation des nègres.
«Celui qui dérobera un homme et le vendra sera mis à mort», répétait-il fréquemment, – d’après Moïse, – à ses enfants.
Sa vie avait été un roman en action. Il la devait terminer en héros de l’antiquité.
Né en 1800 à Torringhton, petit village du Connecticut, il descendait en droite ligne de ces Pères Pèlerins (Pilgrims Fathers) qui vinrent, en 1620, chercher dans l’Amérique du Nord un refuge contre les persécutions auxquelles leur secte était en butte dans la Grande-Bretagne.
John Brown était âgé de six ans quand son père quitta le Connecticut pour se fixer dans l’Ohio.
Là, il reçut une éducation sévère, dont les pratiques de la religion protestante constituèrent la base principale.
À seize ans, il se fit recevoir membre de l’Église congrégationaliste d’Hudson.
«À dix-sept ans, dit un de ses biographes, nous le trouvons faisant ses études pour le ministère académique de Morris Academy. Une inflammation chronique des yeux le força à abandonner cette carrière. Son précepteur, le révérend H. Vaille, dit que c’était le plus noble cœur qu’il eût jamais rencontré.
À vingt et un ans, John Brown épousa, en premières noces, Dianthe, fille du capitaine Amos Lusk.
En 1827 ou 28, il alla s’établir à Richmond, comté de Crawford[4]. En 1831, il eut le malheur de perdre sa femme.
Ce fut à partir de cette époque que ses idées commencèrent à se fixer sur les horreurs de l’esclavage et à chercher les moyens d’y mettre un terme.
Son fils John dit, dans une lettre écrite le 3 décembre 1859, le lendemain du martyre de son père: «Ce fut immédiatement après la mort de ma mère que j’entendis mon père dire pour la première fois, qu’il était résolu à vivre pour venir en aide aux opprimés».
Ces paroles semblent indiquer que Brown fut profondément affecté par la mort de sa femme, et qu’il pensa un instant ne lui point survivre.
Quoi qu’il en soit, à Richmond, capitale de la Virginie, au foyer de l’esclavage, il apprit à juger cette détestable institution; jura de consacrer le reste de ses jours à son anéantissement.
Dès lors, il prêche l’émancipation; mais il prêche dans le désert. On ne l’écoute pas, ou bien on lui impose silence, on le menace; sa vie est en péril.
Sans se laisser intimider, il sonde plus avant la question et découvre que l’abaissement du niveau intellectuel chez les nègres, tout autant que la cupidité et la perversion du sens moral chez les propriétaires, sont les aliments de la servitude.
Et le voici qui formule les aphorismes suivants, dont la vérité perce en traits de feu:
1° Les droits de l’esclave à la liberté ne seront jamais respectés, encore bien moins reconnus, tant qu’il ne se montrera pas capable de maintenir ses droits contre l’homme blanc.
2º Les qualités nécessaires pour maintenir ses droits sont l’énergie, le courage, le respect de soi-même, la fermeté, la foi en sa force et en sa dignité; mais ces qualités ne peuvent être acquises par l’esclave que dans une lutte armée pour rentrer dans ses droits.
3° Lorsqu’un peuple, tombé entre les mains de brigands, a, par suite de plusieurs années d’oppression, perdu ces qualités, il est non seulement du droit, mais du devoir de l’homme blanc de travailler en faveur de ce peuple, de verser le baume et l’huile dans ses plaies et de le soutenir jusqu’à ce qu’il puisse marcher tout seul.
«Depuis 1831, jusqu’en 1854, dit encore M. Marquand, nous trouvons John Brown occupé à réaliser sa grande idée. Quoique à peu près seul à l’œuvre, rien ne le rebute; il arrache à l’esclavage un grand nombre de nègres et brave tous les dangers pour les assister dans leur fuite».
Le bruit des troubles qui ont éclaté dans le Kansas parvient à ses oreilles. Il voit là, une excellente occasion de faire prévaloir ses doctrines, et abandonnant immédiatement la Virginie, il vole offrir son grand cœur aux abolitionnistes.
C’est pourquoi, dès 1855, il apparaît avec ses sept garçons sur les bords du Missouri, où l’a précédé une réputation colossale.
En arrivant dans le Kansas, il acheta une ferme, puis monta une scierie et en commença l’exploitation.
Mais il ne tarda guère à essuyer les violences des esclavagistes.
Un soir, entouré de sa robuste famille, il faisait, suivant son habitude, la lecture d’un passage de la Bible, lorsqu’on heurta brusquement à la porte de l’habitation.
– Entrez, dit Brown, de sa voix calme et ferme.
La porte s’ouvrit pour donner accès à Edwin Coppie.
Le jeune homme était essoufflé, hors d’haleine.
Les fils de Brown l’interrogèrent d’un regard anxieux. Mais le père continua froidement sa lecture:
«Ils immolent des bœufs en mon honneur et ils se rendent homicides; ils font couler le sang des agneaux et ils offrent des chiens en sacrifice, vos offrandes sont pour moi comme des animaux immondes, votre encens comme l’encens des idoles. Vous n’avez pas abandonné vos vices, et votre âme s’est réjouie dans vos abominations.
Je choisirai des maux pour vous; je ferai tomber sur vos têtes les fléaux que vous craignez. J’ai appelé, nul ne m’a répondu. J’ai parlé, qui m’a entendu? Ils ont fait le mal en ma présence; ils ont choisi ce que je n’ai pas voulu».
Pendant ce temps, Edwin s’était remis.
– Capitaine, dit-il en s’approchant de Brown.
– Je t’écoute, mon fils, répondit celui-ci en fermant le livre sacré et en posant un signet à la place où il avait СКАЧАТЬ