Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 2. Charles Athanase Walckenaer
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СКАЧАТЬ style="font-size:15px;">      Les deux enfants de madame de Sévigné étaient tous deux parvenus à cet âge qui tient le milieu entre l'enfance et l'adolescence, et que les anciens exprimaient par un mot qui manque à notre langue. Les soins qu'elle donnait à leur éducation devenaient de jour en jour plus importants et plus nécessaires; et sans doute une partie du temps qu'elle était habituée à sacrifier aux amusements du monde fut consacrée aux deux êtres qui lui étaient les plus chers, et vers lesquels se dirigeaient ses principales pensées.

      Ce n'était pas à cause de ce titre d'excellente mère qu'elle s'était attiré les prévenances et les assiduités d'un si grand nombre de ses contemporains et qu'elle était recherchée par les femmes les plus aimables de son temps; les intérêts de la société, dont elle faisait le charme, se trouvaient, au contraire, en opposition avec ses devoirs maternels. Aussi les mémoires et les correspondances de ces temps ne nous donnent aucun détail sur la manière dont madame de Sévigné dirigea l'éducation de ses enfants. Mais l'amitié vive et sincère qui s'établit entre le frère et la sœur semble démontrer qu'ils ont été élevés ensemble et sous les yeux de leur mère.

      On a souvent discuté les avantages et les désavantages de l'éducation publique et de l'éducation particulière, et cherché à déterminer quelle est celle des deux qui doit obtenir la préférence sur l'autre. Montaigne et Pascal n'eurent point d'autres précepteurs que leurs pères; et nous savons que ceux-ci firent de l'éducation de leurs enfants l'œuvre principale de leur vie. Cependant ces exemples et plusieurs autres semblables ne décident point cette question, qui, comme beaucoup d'autres, n'est pas susceptible d'une solution absolue. Il en est des divers modes d'éducation comme des différentes formes de gouvernement, dont les perfections et les vices dépendent de ceux qui les dirigent. A l'époque dont nous parlons il régnait une grande émulation pour le perfectionnement de l'éducation publique. L'université de Paris, après avoir rendu d'immenses services pour la renaissance des lettres en Europe, était, comme toutes les corporations privilégiées ou sans rivales, restée stationnaire au milieu du mouvement progressif de la société et des esprits. Retranchée derrière ses vieux usages et ses antiques préjugés, elle serait devenue tout à fait impropre à remplir les fins de sa création, si les jésuites, en élevant partout des colléges qui ne ressortissaient pas à sa juridiction, et en admettant dans leur plan d'éducation tout ce que les mœurs et les progrès de la société rendaient nécessaire, n'avaient pas produit une heureuse émulation, et forcé l'université, au commencement du dix-septième siècle, à introduire quelques innovations dans ses statuts. Ces innovations furent en petit nombre et insuffisantes; cependant l'université ne put se décider à les faire sans jeter de hauts cris contre ceux qui l'y contraignaient, et sans demander aux parlements que les écoles de ceux-ci fussent fermées. A la suite de ces nouveaux statuts, imprimés en 1601, elle compare l'ordre des jésuites à une nouvelle Carthage qui était venue établir son camp sur le territoire de Rome elle-même, et à un astre contagieux qui produit la flétrissure et la décadence des études à Paris et dans toutes les académies du royaume153. Mais, heureusement pour les progrès de l'enseignement en France et pour l'université elle-même, ses plaintes ne furent point écoutées. Les jésuites, protégés par le pape et les souverains, enlevèrent à l'université son monopole, et la forcèrent à faire de nouvelles altérations dans le plan des études, sous peine de voir déserter ses bancs.

      Cette révolution dans l'instruction n'était que le prélude d'une plus grande. La philosophie d'Aristote était alors exclusivement enseignée par l'université comme par les jésuites; et l'admiration pour le génie de cet ancien philosophe était telle, que ses axiomes de physique et de métaphysique semblaient être les dernières limites de la raison et celles dans lesquelles elle devait se renfermer. On les regardait comme des principes aussi incontestables, aussi hors de toute discussion que les articles de foi, que la religion nous ordonne de croire. Les nier eût été une sorte de sacrilége ou une preuve de la plus grossière ignorance.

      Un génie puissant, élevé chez les jésuites, venait, à l'époque dont nous nous occupons, de briser les entraves dans lesquelles la routine avait si longtemps enchaîné l'esprit humain, et de mettre en crédit une nouvelle philosophie: c'était Descartes. Toutes les intelligences vigoureuses s'empressèrent de se mettre à la suite de ce hardi novateur, de s'enrôler sous les drapeaux de ce nouveau chef, qui les appelait à une entière liberté, et les délivrait des chaînes qui jusque alors avaient arrêté leur essor. Les écrivains de Port-Royal durent au doute universel de Descartes et à ses écrits, au vaste horizon tracé par sa profonde métaphysique, cette méthode lumineuse de discussion, cette hauteur de vues, cette déduction sévère dans les raisonnements, cette lucidité d'expression, cette énergie de style qu'ils portèrent jusque dans les régions, auparavant si obscures, de la théologie. Par leur école, mais plus encore par leurs excellents livres élémentaires, ils opérèrent dans l'enseignement une réforme complète. Ils introduisirent surtout dans toutes les classes éclairées le goût des discussions en matière religieuse, et par là ils contribuèrent à accroître la ferveur de ceux dont la foi était ferme et sincère. Rien n'est plus propre à raffermir une croyance dont les semences, implantées dès l'enfance, ont jeté en nous de fortes et profondes racines, que les efforts qu'il nous faut faire pour repousser une autre croyance, que nous regardons comme fausse, et qu'on voudrait nous imposer. Ce qu'il y a de plus mortel pour l'esprit comme pour le cœur, c'est l'indifférence. Ce vers de la comédie de Gresset,

      .... Rien n'est vrai sur rien; qu'importe ce qu'on dit?

      est le résumé de la doctrine du type brillant et corrompu d'une société usée, qui n'a plus ni principe, ni croyance, ni morale, et où tout tend à se dissoudre.

      Tandis que Descartes démontrait l'existence de Dieu et l'immortalité de l'âme par les seuls secours de la raison; que les jansénistes semblaient concentrer tous les principes de la religion et de la morale dans leur doctrine sur la grâce; que les jésuites plaçaient tout espoir de salut dans une soumission aveugle à l'autorité du pape, un jeune homme parut tout à coup, comme un soleil d'été, qui en se levant darde aussitôt sur l'horizon la lumière et la chaleur. Survenu au milieu de ces opinions opposées, mais qui toutes se proposaient le même but, il s'appuya sur ce que chacune d'elles lui offrait de conforme aux Écritures et aux décisions de l'Église. Par son génie, par sa vaste érudition, par son saint enthousiasme, par sa haute éloquence, il se créa un nouvel apostolat, qui ne se fondait ni sur une servile obéissance à Rome, ni sur les subtiles doctrines de Jansenius, ni sur les concessions jésuitiques. Ce jeune homme, tous nos lecteurs l'ont nommé, c'était Bossuet.

      Ce fut en 1657 qu'il parut à Paris pour la première fois dans la chaire évangélique. Il prêcha le 10 mars à Saint-Thomas d'Aquin, et le 24 du même mois aux Feuillants, en présence de vingt-deux évêques; puis le 27 octobre suivant il prononça le panégyrique de sainte Thérèse, en présence de la reine mère et de toute sa cour. Dès ces premiers débuts il laissa bien loin derrière lui les Boux, les Camus, les Lingende, et les Testu, qui à cette époque n'avaient point de rivaux dans la prédication.

      Loret, qui l'entendit alors, et qui ne pouvait prévoir la réputation que ce jeune docteur, comme il l'appelle, devait acquérir un jour, qui ne vécut même point assez pour la connaître, atteste que jamais orateur chrétien n'a prêché avec un tel succès; et il résume, avec une précision qui certes ne lui est pas ordinaire, tout ce qu'il a dit sur l'effet que produisait le nouveau prédicateur:

      Il presse, il enflamme, il inspire154.

      Telles étaient les diverses sortes d'influences sous lesquelles se trouvait placée madame de Sévigné lorsqu'elle s'occupait de l'éducation de ses enfants. Elle était liée particulièrement avec madame Duplessis-Guénégaud, une des amies intimes du jeune Bossuet, et elle dut le rencontrer fréquemment chez elle155. Par l'oncle de son mari et par le СКАЧАТЬ



<p>153</p>

CRÉVIER, Hist. de l'Université de Paris, t. VII, p. 60.

<p>154</p>

LORET, liv. VIII, p. 36 et 162 (10 et 24 mars 1857).—Ibid., liv. VIII, p. 28, 48, 200.—DE BAUSSET, Vie de Bossuet, 1814, in-8o, t. I, p. 130. M. de Bausset n'a pas bien connu ces premiers commencements de Bossuet, ni bien déterminé les dates de ses premières compositions. Œuvres de Bossuet; Versailles, 1816, in-8o, t. XVI, p. 463.

<p>155</p>

DE BAUSSET, Hist. de Bossuet, t. I, p. 21.