Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 2. Charles Athanase Walckenaer
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Читать онлайн книгу Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 2 - Charles Athanase Walckenaer страница 21

СКАЧАТЬ mademoiselle d'Argencourt s'aperçut aussitôt de l'impression qu'elle produisait; et avec cette assurance que donne à la beauté la conscience de son irrésistible empire, elle s'avança vers le jeune monarque, lui prit la main, et le pria de danser avec elle. Toutes les résolutions prises et gardées avec tant de peine furent abandonnées à l'instant même; la main de Louis trembla dans celle de son amante, une sueur froide le saisit, il changea de visage, et fut quelque temps à se remettre. Tous les regards s'étaient dirigés vers lui, et cette scène avait eu pour témoins toute la cour. Cet événement devint l'objet des conversations; personne ne doutait que le triomphe de mademoiselle d'Argencourt sur le roi ne fût assuré et qu'elle ne parvînt à le rendre durable. La reine elle-même n'y voyait pas de remède, et déjà l'on faisait des projets pour s'arranger avec la grandeur future de cette favorite et de celle de sa famille.

      On se trompait; Mazarin en avait décidé autrement. Dès le lendemain du bal, il avait eu avec Louis un long entretien. A ce jeune néophyte, qui se trouvait sous le charme d'une passion en vain combattue, il ne parla point des scrupules de la religion, digue impuissante, déjà emportée par l'impétuosité du torrent; mais il fit entendre les maximes du monde, les exigences de l'opinion, ce que l'expérience enseigne, ce que la prudence prescrit. Il retraça tout ce qu'un homme, et encore plus un souverain qui savait s'estimer et se faire estimer des autres, avait droit d'exiger d'une femme quand il se donnait à elle. Il ne se consuma point en vaines paroles pour signaler les dangers de l'amour; mais il démontra bien pour tous les hommes, et encore plus pour un roi, la nécessité de se prémunir contre la perfidie de celles qui avaient le pouvoir de l'inspirer. Dès que Mazarin commença à entrer en explication, et qu'il eut parlé des promesses faites par le monarque à mademoiselle d'Argencourt; qu'il eut redit les discours qui avaient eu lieu entre les deux amants dans le tête-à-tête, Louis fut ébranlé, et commença à se croire trahi par celle qui lui était chère; mais il n'en douta plus quand les lettres écrites par elle à l'amant qu'elle favorisait lui furent remises. Celui qui les avait reçues avait eu la lâcheté de les livrer au ministre tout-puissant, dont il voulait se concilier la faveur; et Mazarin gardait depuis longtemps pour ce moment décisif, qu'il avait prévu, le secret de cette correspondance et les preuves qu'il en avait.

      Le dépit et l'orgueil firent ce que la religion et la raison n'avaient pu faire: Louis sans daigner avoir aucune explication avec mademoiselle d'Argencourt, ne lui témoigna plus que du dédain. Elle, qui ignorait la trame qu'on avait ourdie, crut que l'ascendant de la reine mère et de son ministre avait été plus fort sur le jeune roi que le pouvoir de ses charmes; et elle attribuait à cette cause l'étrange changement des manières de Louis à son égard. Elle ne songea donc plus qu'à se consoler de la chute de ses espérances avec le marquis de Richelieu. Mais la marquise sa femme s'étant plainte à la reine de cette liaison scandaleuse, mademoiselle d'Argencourt fut chassée, et renfermée dans le couvent des Filles de Sainte-Marie de Chaillot. Là elle apprit l'odieuse intrigue dont elle avait été la victime. Les douleurs de l'amour trahi, les mécomptes de l'ambition trompée, la disposèrent à écouter favorablement les leçons de piété et de religion qui lui furent données par les bonnes religieuses au milieu desquelles elle se trouvait; leur compassion la toucha, leurs consolations la convertirent; leur société lui devint agréable et chère: si bien que lorsqu'on lui permit de rentrer dans le monde, elle s'y refusa. Elle resta au couvent, et, toujours libre d'en sortir et sans jamais prononcer aucun vœu, elle y passa toute sa vie, et y mourut, chérie et regrettée de tous ceux qui la connurent177.

      Après cette aventure, les penchants du jeune roi pour les femmes, que ses jeux d'enfance avaient donné lieu de soupçonner, ne furent plus un secret pour personne. La reine avait une femme de chambre nommée mademoiselle de Beauvais, qu'elle affectionnait beaucoup, à cause de sa dextérité, de son exquise propreté, du zèle et de l'intelligence qu'elle mettait à la servir. Dans l'âge du retour, laide et borgne, et peu scrupuleuse, mademoiselle de Beauvais épiait depuis longtemps les premiers effets de la puberté dans le jeune roi. Elle savait qu'à cet âge, si le cœur sait déjà choisir ses affections, les sens obéissent sans discernement à une première surprise. Elle s'en prévalut; et le souvenir des instructions que Louis reçut d'elle lui devint par la suite un moyen d'élévation pour sa famille178.

      Dès que le jeune roi eut appris qu'on pouvait goûter les jouissances de la volupté sans avoir besoin d'éprouver le sentiment de l'amour, la violence de ses passions l'emporta sur ses scrupules, mais non pas encore sur sa pudeur. Il n'osa pas s'attaquer à ces fleurs qui brillaient éminentes autour de lui, mais qui se trouvaient placées sous les regards et sous la protection de sa mère; les plus humbles et les plus cachées lui devinrent préférables, et il s'embarrassa peu d'avoir à se baisser pour les cueillir. Une jardinière, fraîche et jolie, devint enceinte de ses œuvres, et en eut une fille. Madame de Sévigné et les Mémoires du temps, qui nous entretiennent si souvent des enfants naturels de Louis XIV, ne parlent pas de celui-ci. Le profond mystère dont le jeune roi enveloppait à cette époque ses aventures galantes ne pouvait lui permettre d'en déclarer le premier fruit; l'obscurité de la condition de celle à laquelle il était dû l'en empêcha par la suite. Mais sa fille lui ressemblait trop pour qu'il pût la méconnaître. Bontemps, son valet de chambre et son homme de confiance, fut chargé de la marier à un gentil-homme nommé Laqueue, seigneur du lieu qui porte ce nom, à six lieues de Versailles. Ce gentilhomme se promettait une fortune d'une telle alliance, dont le secret, dit Saint-Simon, lui fut dit à l'oreille; mais il ne parvint jamais au delà du grade de capitaine de cavalerie. Sa femme était grande et bien faite; elle savait de qui elle tenait le jour, et enviait le sort de ses trois sœurs (comme elle filles naturelles), princesses magnifiquement mariées. Elle vécut ainsi vingt ans, sans sortir de son village, plus heureuse que si elle avait été admise à la cour. Sans l'exact Saint-Simon, si bien instruit des détails de ce grand règne, on eût ignoré jusqu'à l'existence de cette aînée de tous les enfants du plus illustre de nos rois179.

      CHAPITRE X.

      1658

      Partis qui se forment à la cour parmi les courtisans.—Commencement de la faveur du prince de Marsillac.—Politique de Mazarin dans l'intérieur.—Il gouverne pendant la régence, par son influence sur la reine.—Depuis la majorité du roi, par l'ascendant qu'il sut prendre sur lui.—Il l'occupe des deux choses qu'il aimait le plus, la guerre et la galanterie.—Il le force avec autorité de s'occuper d'affaires.—Adresse que Mazarin met dans sa conduite envers les autres membres de la famille royale.—Il se concilie Gaston et MADEMOISELLE.—Il accorde un passe-port au médecin Guenaud pour aller soigner Condé, malade.—Procédés de Mazarin envers la princesse de Longueville.—Détails sur cette princesse et sur le prince de Conti.—Mazarin n'a plus d'autres ennemis à l'intérieur que les amis de Retz et les jansénistes.—Politique de Mazarin à l'extérieur.—Moyens qu'il emploie pour abattre la puissance de la maison d'Autriche.—L'ennemi s'empare de Rocroi.—Cette circonstance donne lieu à l'épître de La Fontaine à une abbesse.—Madame de Sévigné en entend la lecture chez Fouquet, et en fait l'éloge.—Madrigal de La Fontaine à ce sujet, adressé à madame de Sévigné.—Grandes richesses de Fouquet.—Il construit Vaux.—Protège les beaux esprits.—De mademoiselle de Scudéry et de ses romans, et de l'influence qu'elle exerçait.—Madame de Sévigné allait fréquemment à Vaux.—Madame Scarron, encore plus souvent.—Phrase d'une de ses lettres à madame Fouquet, au sujet des jardins de Vaux.—Madame de Sévigné va à sa terre des Rochers, et y passe l'automne avec ses trois oncles et son cousin de Coulanges.

      Les plus légères préférences du jeune roi pour quelques-uns de ses courtisans n'étaient pas remarquées avec moins de soin que ses plus petites attentions envers les femmes. L'ambition, qui toujours veille, épiait avec une jalousie inquiète, ou avec une secrète joie, ses amitiés comme ses amours. Sa prédilection pour le prince de Marsillac n'avait échappé à personne, et la faveur naissante de ce fils du duc de La Rochefoucauld, cet ancien chef de la Fronde, était appuyée СКАЧАТЬ



<p>177</p>

MOTTEVILLE, t. XXXIX, p. 400, 404, 435.—LA FARE, chap. IV, t. LXV, p. 157.—DREUX DU RADIER, Mém. des Reines et Régents de France, 1782, t. VI, p. 363 à 373.—MONTPENSIER, t. XLII, p. 348.

<p>178</p>

SAINT-SIMON, Mém., 1829, in-8o, t. I, p. 124, ch. XIV.

<p>179</p>

SAINT-SIMON, Mém., 1829, in-8o, t. IV, p. 192, ch. XIV.