Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 2. Charles Athanase Walckenaer
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Читать онлайн книгу Mémoires touchant la vie et les écrits de Marie de Rabutin-Chantal, Volume 2 - Charles Athanase Walckenaer страница 12

СКАЧАТЬ elle connaissait une partie des chansons, des satires, des épigrammes qui avaient cours: son amitié vive et sincère lui fit désirer ardemment d'ôter à cet égard tout prétexte à la calomnie. Naturellement franche, elle s'expliqua sans réticence et sans détour sur ce sujet délicat. La reine, blessée, ne lui répondit que par des paroles dures et des reproches sévères114. Il y eut des larmes répandues, des explications vives, des réconciliations, des promesses, des pardons donnés et reçus115, puis de nouveaux accès d'humeur et d'une brusque franchise. Enfin, au moment où on s'y attendait le moins, un ordre fut donné à mademoiselle de Hautefort de quitter le Palais-Royal116. La sensible confidente, qui n'avait jamais prévu que son amitié, toujours la même, que son dévouement, toujours entier, pussent avoir ce résultat, sentit son cœur se briser par tant d'ingratitude117. Elle partit, aimée, vénérée de toute la cour; l'admiration qu'avaient inspirée sa loyauté, sa générosité, sa vertu, s'augmenta encore de toute la haine amassée contre le cardinal, auquel elle était sacrifiée. La reine, quoiqu'elle en témoignât son mécontentement, ne put empêcher que les personnes qui lui étaient le plus attachées, le plus dans sa dépendance, n'allassent consoler mademoiselle de Hautefort et ne plaignissent hautement son malheur.

      Elle se retira dans un couvent, et on craignit pendant quelque temps qu'elle ne se fît religieuse. Heureusement pour le monde, dont elle devait être le modèle, qu'un homme instruit, spirituel, joignant aux talents du guerrier tous ceux qui font briller en société118, la rechercha, et lui fit agréer ses vœux. Elle épousa en 1646 le maréchal duc de Schomberg. Son mari, qui avait acquis tous ses grades sous le règne précédent, désira, dans l'intérêt de son ambition, que sa femme reparût à la cour; qu'elle tâchât de se prévaloir de l'ancienne et longue affection que la reine avait eue pour elle, et qu'il ne pouvait croire entièrement éteinte. Pour lui obéir, elle se contraignit, et se dépouilla d'une fierté qui lui avait semblé noble et légitime. Ses efforts pour rentrer en grâce auprès d'Anne d'Autriche furent repoussés avec tant de hauteur, qu'elle ne put parvenir à déguiser la douleur qu'elle en ressentait, ni s'empêcher de montrer encore devant cette reine altière, et en présence de toute la cour, son visage baigné de larmes119.

      On doit dire que pendant la Fronde la maréchale de Schomberg s'était liée avec la duchesse de Longueville, et que, sans s'engager dans aucun parti, elle avait paru cependant plutôt favorable que contraire à ceux qui étaient opposés à Mazarin; mais son mari était resté neutre. La duchesse de Chevreuse, qui s'était montrée hostile, non-seulement avait obtenu son pardon, mais elle avait reconquis toute la faveur et toute l'influence qu'elle avait eues autrefois auprès d'Anne d'Autriche. Cependant il existait entre la duchesse de Chevreuse et la maréchale de Schomberg toute la distance qui sépare le vice de la vertu; l'honneur, de l'intrigue; la loyauté, de la duplicité.

      Le maréchal de Schomberg et sa femme ne firent plus d'autre tentative auprès d'Anne d'Autriche et de Mazarin. Ils se retirèrent dans leur gouvernement de Metz; et, sans jamais donner de marque de mécontentement, ils s'acquirent par leur zèle ardent pour tout ce qui pouvait contribuer au bien public, l'estime et l'affection de tout le monde: par leur conduite ils finirent par obtenir les égards de la reine et de son ministre, et même par se concilier leur bienveillance. Ils se montrèrent tous deux protecteurs des gens de lettres: Scarron et le gazetier Loret étaient au nombre de leurs pensionnaires120. Ils furent les protecteurs de Bossuet, et comme les promoteurs de son génie. Ce grand homme commença par être archidiacre à Metz, où son père résidait121.

      Au commencement de l'année 1656, madame de La Flotte, grand'mère de la maréchale de Schomberg, mourut, âgée de quatre-vingt-sept ans; elle était la doyenne des dames d'atour de la reine. De tout temps vénérée par sa piété, elle s'était maintenue dans sa place en restant étrangère à toutes les intrigues, et en y donnant l'exemple de toutes les vertus. Personne à la cour ne s'abstint d'aller jeter de l'eau bénite sur sa tombe, et le roi s'y rendit comme les autres. Loret rapporte que le jeune monarque voulut voir le visage de cette défunte octogénaire, et en le contemplant il dit: «Voilà le destin qui m'attend; et ma couronne ne m'en exemptera pas122

      Cet événement força la maréchale de Schomberg et son mari de se rendre à Paris, où depuis longtemps ils n'avaient point paru. Le jour de leur arrivée fut connu de plusieurs personnes, qui allèrent à leur rencontre. Le nombre en fut si grand, que la file des carrosses s'étendait, si l'on en croit Loret, depuis les remparts de la ville jusqu'au Bourget123.

      Madame de Sévigné, quoique liée intimement avec la maréchale de Schomberg, ne fut pas prévenue du jour de son arrivée à Paris, et ne fit point partie du nombreux cortége qui l'accompagna à son entrée. La contrariété qu'elle en ressentit et la touchante expression de ses regrets firent assez de sensation dans le beau monde pour que Loret en parlât dans sa Gazette.

      Même trois jours après, je sus

      Que madame de Sévigny,

      Veuve de mérite infini,

      Et dont le teint encor mieux brille

      Que de la plus aimable fille,

      N'ayant su le temps ni le jour

      Du susdit glorieux retour

      (Ignoré dans chaque paroisse),

      Faillit s'en pâmer d'angoisse.

      Son chagrin ne peut s'égaler;

      Et quand on la veut consoler

      Avec des fleurs de rhétorique,

      Sa divine bouche s'explique

      (Comme elle a l'esprit excellent)

      D'un air si noble et si galant,

      Et qui jamais ne l'abandonne,

      Que de bon cœur je lui pardonne124.

      Le maréchal de Schomberg ne jouit pas longtemps de cette manifestation de l'opinion publique, si glorieuse pour lui et pour sa femme, ni de l'accueil flatteur que lui firent le roi et la reine mère. Il mourut deux mois après son arrivée à Paris; son corps fut porté au château de Nanteuil, dans le lieu de sépulture de ses ancêtres, où sa veuve, qui lui survécut longtemps, lui fit ériger un monument, près duquel Bossuet ne manquait jamais d'aller prier toutes les fois qu'il passait à Nanteuil125.

      CHAPITRE VII.

      1656

      Madame de Sévigné passe toute cette année à Paris.—Elle assiste aux fêtes nombreuses qui s'y donnent.—Elle a des occasions de s'entretenir familièrement avec le jeune roi.—Les partis se rapprochent.—Gaston s'arrange avec la cour.—On n'était pas satisfait du gouvernement.—Mort du grand prieur Hugues de Rabutin.—Cette mort n'interrompt pas les plaisirs de madame de Sévigné.—Bussy écrit à sa cousine les événemens de la campagne.—Condé délivre Valenciennes.—Turenne prend la Capelle.—Départ du roi pour l'armée, le 17 mai.—Bussy va en Bourgogne, et revient passer l'hiver à Paris.—Les plaisirs n'avaient pas cessé pendant l'été.—Plusieurs occasions y donnèrent lieu.—Premier voyage de la reine Christine en France.—Admiration qu'elle excite.—Réflexion sur ceux qui se démettent du trône.—Christine est reçue en France avec de grands honneurs.—Madame de Sévigné est du nombre des femmes qu'elle goûte le plus.—C'est avec la France que Christine avait ses principales correspondances.—La France avait alors la supériorité en tout, et attirait l'attention СКАЧАТЬ



<p>114</p>

MOTTEVILLE, t. XXXVII, p. 32.

<p>115</p>

Ibid., p. 36.

<p>116</p>

Ibid., p. 63.—LA PORTE, t. LIX, p. 407.

<p>117</p>

Ibid., p. 65.—LA PORTE, loc. cit.

<p>118</p>

SCARRON, Épithalame ou ce qu'il vous plaira sur le mariage de M. le maréchal de Schomberg et de madame de Hautefort, Œuvres, t. VIII, p. 252 et 254.

<p>119</p>

MOTTEVILLE, Mém., t. XXXVII, p. 277.

<p>120</p>

SCARRON, Œuvres, t. VIII, p. 160, 162, 168, 247 et 399.

<p>121</p>

DE BAUSSET, Hist. de Bossuet, 1814, in-8o, t. I, p. 38 et 39.

<p>122</p>

LORET, t. VII, p. 62, lettre en date du 22 avril 1656.

<p>123</p>

LORET, Muse historique, liv. VII, p. 63, lettre 16, en date du 22 avril 1656.

<p>124</p>

Ibid.

<p>125</p>

LORET, Muse historique, liv. VII, p. 68, lettre 17, en date du 29 avril 1656, p. 97, lettre 25, en date du 24 juin.—DE BARANTE, dans la Biographie universelle, art. Bossuet.