Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4 - (C suite). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
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СКАЧАТЬ aux guerres, au trafic; qui, vers le milieu du moyen âge, ont pris une si grande place dans le pays; de ces artistes ou artisans, si l'on veut, constitués en corporations; obtenant des priviléges étendus par le besoin qu'on avait d'eux et les services qu'ils rendaient; travaillant en silence, non plus sous les voûtes des cloîtres, mais dans l'atelier; vendant leur labeur matériel, mais conservant leur génie indépendant, novateur; se tenant étroitement unis et marchant tous ensemble vers le progrès, au milieu de cette société qui se sert de leur intelligence et de leurs mains, sans comprendre l'esprit libéral qui les anime.

      Que d'autres entreprennent une tâche tracée seulement ici par nous: elle est belle et faite pour exciter les sympathies; elle embrasse des questions de l'ordre le plus élevé; elle éclairerait peut-être certains problèmes posés de nos jours et qui préoccupent, non sans cause, les esprits clairvoyants. Bien connaître le passé est, nous le croyons, le meilleur moyen de préparer l'avenir; et de toutes les classes de la société, celle dont les idées, les tendances, les goûts varient le moins, est certainement la classe laborieuse, celle qui produit. En France, cette classe demande plus ou autre chose que son pain de chaque jour: elle demande des satisfactions d'amour-propre; elle demande à conserver son individualité; elle veut des difficultés à résoudre, car son intelligence est encore plus active que ses bras. S'il faut l'occuper matériellement, il faut aussi l'occuper moralement; elle veut comprendre ce qu'elle fait, pourquoi elle le fait, et qu'on lui sache gré de ce qu'elle a fait. Tout le monde admet que cet esprit règne parmi nos soldats, et assure leur prépondérance: pourquoi donc ne pas reconnaître qu'il réside chez nos artisans? Pour ne parler que des bâtiments, la main-d'oeuvre a décliné chez nous aux époques où l'on a prétendu soumettre le labeur individuel à je ne sais quelles règles classiques établies par un pouvoir absolu. Or, quand la main-d'oeuvre décline, les crises sociales ne se font guère attendre en France. De toutes les industries, celle des bâtiments occupe certainement le plus grand nombre de bras, et demande, de la part de chacun, un degré d'intelligence assez élevé. Maçons, tailleurs de pierre, chaufourniers, charpentiers, menuisiers, serruriers, couvreurs, peintres, sculpteurs, ébénistes, tapissiers, et les subdivisions de ces divers états, forment une armée innombrable d'ouvriers et d'artisans agissant sous une direction unique, très-disposés à la subir et même à la seconder lorsqu'elle est éclairée, mais bientôt indisciplinée lorsque cette direction est opposée à son génie propre. Nos ouvriers, nos artisans n'écoutent et ne suivent que ceux qui peuvent dire où ils vont et ce qu'ils veulent. Le POURQUOI? est perpétuellement dans leur bouche ou dans leurs regards; et il n'est pas besoin d'être resté longtemps au milieu des ouvriers de bâtiments, pour savoir avec quelle indifférence railleuse ils travaillent aux choses dont ils ne comprennent pas la raison d'être, avec quelle préoccupation ils exécutent les ouvrages dont ils entrevoient l'utilité pratique. Un tailleur de pierre ne travaille pas le morceau qu'il sait devoir être caché dans un massif avec le soin qu'il met à tailler la pierre vue, dont il connaît la fonction utile. Toutes les recommandations du maître de l'oeuvre ne peuvent rien contre ce sentiment. C'est peut-être un mal, mais c'est un fait facile à constater dans les chantiers. Le paraître est la faiblesse commune en France; ne pouvant la vaincre, il faut s'en servir. On veut que nous soyons Latins, par la langue peut-être; par les moeurs et les goûts, par le caractère et le génie, nous ne le sommes nullement, pas plus aujourd'hui qu'au XII siècle. La coopération à l'oeuvre commune est active, dévouée, intelligente en France, lorsqu'on sait que cette coopération, telle faible qu'elle soit, sera apparente, et par conséquent appréciée; elle est molle, paresseuse, négligée, lorsqu'on la suppose perdue dans la masse générale. Nous prions nos lecteurs de bien se pénétrer de cet esprit national, trop longtemps méconnu, pour comprendre le sens des exemples que nous allons successivement faire passer sous leurs yeux.

      Pour se familiariser avec un art dont les ressources et les moyens pratiques ont été oubliés, il faut d'abord entrer dans l'esprit et les sentiments intimes de ceux auxquels cet art appartient. Alors tout se déduit naturellement, tout se tient, le but apparaît clairement. Nous ne prétendons, d'ailleurs, dissimuler aucun des défauts des systèmes présentés; ce n'est pas un plaidoyer en faveur de la construction gothique que nous faisons, c'est un simple exposé des principes et de leurs conséquences. Si nous sommes bien compris, il n'est pas un architecte sensé qui, après nous avoir lu avec quelque attention, ne reconnaisse l'inutilité, pour ne pas dire plus, des imitations de l'art gothique, mais qui ne comprenne en même temps le parti que l'on peut tirer de l'étude sérieuse de cet art, les innombrables ressources que présente cette étude, si intimement liée à notre génie.

      Nous allons poursuivre l'examen des grandes constructions religieuses, d'abord parce que ce sont les plus importantes, puis parce qu'elles se développent rapidement à la fin du XIIe siècle, et que les principes en vertu desquels ces édifices s'élèvent sont applicables à toute autre construction. Nous connaissons maintenant les phases successives par lesquelles la construction des édifices voûtés avaient dû passer pour arriver du système romain au système gothique; en d'autres termes, du système des résistances passives au système des résistances actives. De 1150 à 1200, on construisait, dans le domaine royal, dans le Beauvoisis et la Champagne, les grandes églises de Notre-Dame de Paris, de Mantes, de Senlis, de Noyon, de Saint-Remy de Reims (choeur), de Sens et de Notre-Dame de Châlons-sur-Marne, toutes d'après les nouveaux principes adoptés par l'école laïque de cette époque, toutes ayant conservé une stabilité parfaite dans leurs oeuvres principales.

       VOÛTES.--En toute chose, l'expérience, la pratique précèdent la théorie, le fait précède la loi; mais lorsque la loi est connue, elle sert à expliquer le fait. On observe que tous les corps sont pesants et qu'une force les attire vers le centre du globe. On ne sait rien encore de la pesanteur de l'atmosphère, de la force d'attraction, de la forme de la terre; on sait seulement que tout corps grave, abandonné à lui-même, est attiré verticalement vers le sol. De l'observation du fait, on déduit des préceptes; que ces préceptes soient vrais ou faux, cela ne change rien à la nature du fait ni à ses effets reconnus. Les constructeurs du XIIe siècle n'avaient point défini les lois auxquelles sont soumis les voussoirs d'un arc, savoir: leur poids et les réactions des deux voussoirs voisins. Nous savons aujourd'hui, par la théorie, que si l'on cherche sur chaque lit de ces voussoirs le point de passage de la résultante des pressions qui s'y exercent, et que si l'on fait passer une ligne par tous ces points, on détermine une courbe nommée courbe des pressions. Nous découvrons encore, à l'aide du calcul algébrique, que si l'on veut que l'équilibre des voussoirs d'un arc soit parfait, il faut que cette courbe des pressions, dont le premier élément à la clef est horizontal si l'arc est plein cintre, ne sorte sur aucun point des lignes d'intrados et d'extrados de cet arc. Cette courbe des pressions, prolongée en contre-bas de l'arc, lorsqu'il est porté sur des piles, détermine ce qu'on appelle la poussée: donc, plus l'arc se rapproche, dans son développement, de la ligne horizontale, plus cette poussée s'éloigne de la verticale; plus l'arc s'éloigne de la ligne horizontale, plus la poussée se rapproche de la verticale.

      Les constructeurs gothiques n'avaient que l'instinct de cette théorie. Peut-être possédaient-ils quelques-unes de ces formules mécaniques que l'on trouve encore indiquées dans les auteurs de la renaissance qui ont traité de ces matières et qu'ils ne donnent point comme des découvertes de leur temps, mais au contraire comme des traditions bonnes à suivre. Relativement aux poussées des arcs, par exemple, on se servait encore, au XVIe siècle, d'une formule géométrique très-simple pour apprécier la force à donner aux culées.

      Voici (32 bis) cette formule: soit un arc ayant comme diamètre AB, quelle devra être, en raison de la nature de cet arc, l'épaisseur des piles capables de résister à sa poussée? Nous divisons le demi-cercle ou le tiers-point en trois parties égales ADCB; du point B, comme centre, nous décrivons une portion de cercle prenant BC pour rayon. Nous faisons passer une ligne prolongée par les points C et B; son point de rencontre E avec la portion de cercle, dont B est le centre, donnera le parement extérieur de la pile dont l'épaisseur sera égale à GH. Si nous procédons СКАЧАТЬ