Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4 - (C suite). Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc
Чтение книги онлайн.

Читать онлайн книгу Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle - Tome 4 - (C suite) - Eugene-Emmanuel Viollet-le-Duc страница 15

СКАЧАТЬ petit échantillon, les parties rigides ou trop engagées dans la masse, ou trop lourdes, présentaient une résistance qui n'avait d'autre résultat que de causer des brisures et des lézardes; les points trop solides de la construction écrasaient ou entraînaient les points faibles. Observons encore que, dans ces monuments, les piles, d'une faible section horizontale, reçoivent toute la charge, et qu'en raison même du peu de surface de leur assiette, elles doivent tasser beaucoup plus que les murs, par exemple, qui ne portent rien, puisqu'ils sont même déchargés du poids des combles et maçonneries supérieures par les formerets. Si, dans ce système, il y a une solidarité complète entre ces points d'appui chargés et les remplissages, les clôtures, les murs, qui ne le sont pas, il faudra nécessairement qu'il y ait rupture. Mais si, au contraire, les constructeurs ont eu le soin de faire que tout ce qui porte charge conserve une fonction indépendante, puisse se mouvoir, tasser librement; si les parties accessoires ne sont que des clôtures indépendantes des effets de pression ou de poussée, alors les ruptures ne peuvent se faire et les déliaisonnements sont favorables à la durée de la construction au lieu de lui être nuisibles.

      Les Romains, qui n'opposaient que des résistances passives aux poussées, avaient parfaitement admis ce principe de déliaisonnement, de liberté entre les parties chargées des constructions voûtées et celles qui ne le sont pas. Les grandes salles des Thermes antiques sont en ce genre des chefs-d'oeuvre de combinaison. Tout le système consiste en des piles portant des voûtes; les murs ne sont que des clôtures faites après coup, que l'on peut enlever sans nuire en aucune façon à la solidité de l'ossature générale de la bâtisse. Ce sont là des principes très-naturels et très-simples; pourquoi donc ne les pas mettre toujours en pratique? Ces principes, les constructeurs gothiques les ont étendus beaucoup plus loin que ne l'avaient fait les Romains, parce qu'ils avaient, ainsi que nous l'avons dit bien des fois, adopté un système de construction où toute force est active, et où il n'y a point, comme dans la construction romaine, de résistances inertes agissant par leur masse compacte.

      Les constructeurs du XIIe siècle, en élevant leurs grands édifices sur des plans dont les pleins couvrent peu de surface, et avec des matériaux légers; en opposant aux poussées obliques des résistances actives au lieu d'obstacles passifs, ne furent pas longtemps à s'apercevoir qu'il fallait toujours trouver quelque part cette stabilité inerte. S'ils élevaient des arc-boutants contre les parois des voûtes aux points de leur poussée, ces arcs-boutants devaient, pour remplir efficacement leur rôle, trouver une assiette immobile: cette assiette, c'étaient les contre-forts extérieurs, sortes de piles élevées en dehors des édifices et sur lesquelles venaient se résoudre toutes les poussées. Donner à ces contre-forts une section horizontale assez large pour conserver l'immobilité de leur masse à une grande hauteur, c'était encombrer le dehors des édifices de lourdes maçonneries qui interceptaient l'air, la lumière, et qui devenaient fort dispendieuses. Les constructeurs n'avaient plus la recette de ces mortiers romains, agent principal de leurs grandes constructions; les piles qu'ils eussent pu élever n'avaient pas eu la cohésion nécessaire. Il fallait donc trouver le moyen de suppléer aux résistances inertes des points d'appui romains par une force aussi puissante, mais dérivée d'un autre principe. Ce moyen, ce fut de charger les points d'appui destinés à maintenir les poussées jusqu'à ce qu'ils atteignissent une pesanteur suffisante pour résister à l'action de ces poussées. Il n'est pas besoin d'être constructeur pour savoir qu'une pile prismatique ou cylindrique, composée d'assises superposées et ayant plus de douze fois son diamètre, ne pourra se maintenir debout, si elle n'est chargée à sa partie supérieure. Cette loi de statique bien connue, les architectes gothiques crurent avoir trouvé le moyen d'élever des édifices dont les points d'appui pouvaient être grêles, à la condition de les charger d'un poids capable de les rendre assez rigides pour résister à des poussées obliques et contrariées.

      En effet, supposons une pile AB (32), sollicitée par deux poussées obliques CD, EF contrariées et agissant à des hauteurs différentes: la poussée la plus forte, celle CD, étant 10, celle EF étant 4. Si nous chargeons la tête B de la pile d'un poids équivalant à 12, non-seulement la poussée CD est annulée, mais, à plus forte raison, celle DF, et la pile conservera son aplomb. Ne pouvant charger les piles des nefs d'un poids assez considérable pour annuler les poussées des grandes voûtes, les constructeurs résolurent d'opposer à la poussée CD un arc-boutant G. Dès lors, le poids BO, augmenté de la pression CD, devenant 15, par exemple, la poussée EF est annulée. Si l'arc-boutant G oppose à la poussée CD une résistance égale à cette pression oblique et la neutralise complétement, la poussée CD devient action verticale sur la pile AB, et il n'est plus besoin que de maintenir l'action oblique de l'arc-boutant sur le contre-fort extérieur. Or, si cette action oblique est par elle-même 8, elle ne s'augmente pas de la totalité de la poussée CD, mais seulement d'une faible partie de cette poussée; elle est comme 10, 12 peut-être, dans certains cas. Le contre-fort extérieur H opposant déjà, par sa propre masse, une résistance de 8, il suffira de le charger d'un poids K de 5 pour maintenir l'équilibre général de la bâtisse.

      Nous nous garderons bien de résoudre ces questions d'équilibre par des formules algébriques que la pratique modifie sans cesse, en raison de la nature des matériaux employés, de leur hauteur de banc, de la qualité des mortiers, de la résistance des sols, de l'action des agents extérieurs, du plus ou moins de soin apporté dans la construction. Les formules sont bonnes pour faire ressortir la science de celui qui les donne; elles sont presque toujours inutiles au praticien: celui-ci se laisse diriger par son instinct, son expérience, ses observations et ce sentiment inné chez tout constructeur qui lui indique ce qu'il faut faire dans chaque cas particulier. Nous n'espérons pas faire des constructeurs de ceux auxquels la nature a refusé cette qualité, mais développer les instincts de ceux qui la possèdent. On n'enseigne pas le bon sens, la raison, mais on peut apprendre à se servir de l'un et à écouter l'autre.

      L'étude des constructions gothiques est utile, parce qu'elle n'adopte pas ces formules absolues, toujours négligées dans l'exécution par le praticien, et dont le moindre danger est de faire accorder à l'erreur la confiance que seule doit inspirer la vérité.

      Si la construction gothique n'est pas soumise à des formules absolues, elle est l'esclave de certains principes. Tous ses efforts, ses perfectionnements tendent à convertir ces principes en lois, et ce résultat, elle l'obtient. Équilibre; forces de compression opposées aux forces d'écartement; stabilité obtenue par des charges réduisant les diverses forces obliques en pesanteurs verticales; comme conséquence, réduction des sections horizontales des points d'appui: tels sont ces principes, et ce sont encore ceux de la véritable construction moderne; nous ne parlons pas de celle qui cherche aveuglément à reproduire des édifices élevés dans des conditions étrangères à notre civilisation et à nos besoins, mais de la construction que réclament nos besoins modernes, notre état social. Si les constructeurs gothiques eussent eu à leur disposition la fonte de fer en grandes pièces, ils se seraient emparés avec empressement de ce moyen sûr d'obtenir des points d'appui aussi grêles que possible et rigides, et peut-être l'auraient-ils employé avec plus d'adresse que nous. Tous leurs efforts tendent, en effet, à équilibrer les forces, et ne plus considérer les points d'appui que comme des quilles maintenues dans la verticale non par leur propre assiette, mais par la neutralisation complète de toutes les actions obliques qui viennent agir sur elles. Faisons-nous autre chose dans nos constructions particulières, dans nos grands établissements d'utilité publique, où les besoins sont si impérieux qu'ils font taire l'enseignement de la routine? Et si un fait doit nous surprendre, n'est-ce pas de voir aujourd'hui, dans la même ville, élever des maisons, des marchés, des gares, des magasins qui portent sur des quilles, couvrent des surfaces considérables, en laissant aux pleins une assiette à peine appréciable, et, en même temps, des édifices où la pierre accumulée à profusion entasse blocs sur blocs pour ne couvrir que des surfaces comparativement minimes, et ne porter que des planchers n'exerçant aucune pression oblique? Ces faits n'indiquent-ils pas que l'architecture est hors de la voie qui lui est tracée par nos besoins et notre génie moderne? Qu'elle cherche à protester СКАЧАТЬ