Le sentiment auquel elle cédait était si généreux, elle était alors si noblement émue, qu'un moment sa figure eut presque un caractère de beauté touchante.
Je l'écoutais dans une angoisse indicible, lorsque Servien frappa à la porte et entra apportant une lettre sur un plateau d'argent.
J'eus un affreux serrement de cœur; un sinistre pressentiment me dit que le hasard fatal qui interrompait mademoiselle de Maran allait à tout jamais cacher à mes yeux le mystère qu'elle était sur le point de me dévoiler.
– Qu'est-ce que c'est? – s'écria ma tante avec une impatience presque douloureuse.
– Une lettre, madame, – dit Servien en avançant son plateau.
Mademoiselle de Maran la prit brusquement et dit:
– Sortez!..
Je respirai, je crus que ma tante allait continuer notre entretien, car sa physionomie n'avait pas changé d'expression; elle semblait même si préoccupée qu'elle jeta la lettre sur son bureau sans la décacheter. La fatalité voulut que l'adresse fût tournée du côté de ma tante; l'écriture la frappa; elle la prit et l'ouvrit vivement.
Tout espoir disparut; cette lettre parut faire sur elle un effet foudroyant, ses traits reprirent peu à peu leur expression d'ironie et de dureté habituelles; ses sourcils froncés lui donnèrent une expression plus méchante que jamais… Un moment elle resta comme frappée de stupeur, et dit d'une voix sourde, en froissant la lettre avec rage:
– Et moi… qui justement allais… Ah çà! mais qu'est-ce que j'avais donc? j'étais folle, je crois… cette petite fille m'avait ensorcelée… Je faisais des bonasseries stupides, pendant que lui… Ah! que l'enfer le confonde!.. heureusement j'ai le temps.
Ces paroles de ma tante, entrecoupées de longs silences réfléchis, m'effrayèrent.
– Madame, – lui dis-je en tremblant, – tout à l'heure vous étiez sur le point de me faire un aveu bien important…
– Tout à l'heure j'étais une sotte, une bête, entendez-vous? – reprit-elle d'un ton aigre et emporté… – Je crois, Dieu me pardonne, que je m'étais attendrie… Ah!.. ah!.. ah!.. et cette petite qui a cru cela… qui ne voyait pas que je me moquais d'elle… avec mes sensibleries… Je suis si sensible, en effet!
– J'ai cru à votre émotion, madame; oui, vous étiez émue. Vous le nierez en vain… J'ai vu vos larmes couler… Ah! madame, au nom de ces larmes que le souvenir de mon père a peut-être provoquées, ne me laissez pas dans une douloureuse inquiétude!!! Cédez au généreux sentiment qui vous a fait m'ouvrir vos bras… Cela serait trop cruel, madame, de m'avoir mis au cœur cette défiance, ce doute, d'autant plus cruel qu'il peut s'attaquer à tout et me faire vaguement soupçonner ceux que j'aime le plus au monde.
– Vraiment! ça vous paraît ainsi? Eh bien! tant mieux, ça vous occupera, de chercher le mot de cette énigme. C'est un jeu très-divertissant que celui-là… je vous promets de vous dire si vous divenez juste.
– Madame, – m'écriai-je, indignée de la froide méchanceté de ma tante, vous l'avez dit vous-même, la justice humaine ou la justice divine vous atteindrait si…
– Ah!.. ah!.. ah!.. – s'écria ma tante, en m'interrompant par un éclat de rire sardonique. – Ah çà! est-ce que vous voulez me menacer des gens du roi ou des foudres du Vatican, avec votre justice humaine et divine?.. Vous ne voyez donc pas que je plaisantais… C'est tout simple, on est si gai le jour d'un mariage… Je sais bien que vous allez me parler de mes deux larmes… Eh bien! ma chère petite, je vais vous faire une confidence qui pourra vous servir un jour pour attendrir Gontran dans une de ces discussions dont le meilleur ménage n'est pas à l'abri… Voyez-vous, un petit grain de tabac dans chaque œil, et vous pleurerez comme une madeleine. Or, de beaux yeux comme les vôtres sont irrésistibles lorsqu'ils pleurent.
– Mais… madame…
– Ah! j'oubliais, j'ai là quelques objets que, par son testament, votre mère a recommandé de vous remettre le jour de votre mariage, c'est-à-dire quand votre mariage sera conclu. Je voulais vous les donner tout à l'heure… je me ravise… je vous les donnerai ce soir, après la mairie, – dit-elle en se levant et en fermant son secrétaire à clef.
– Ah! madame, accordez-moi au moins cela, – lui dis-je; – vous allez me laisser bien triste, bien effrayée de vos cruelles réticences… Ces dernières preuves de la tendresse de ma mère me consoleront, au moins.
– C'est impossible, – dit mademoiselle de Maran; – la clause du testament est formelle. Une fois mariée, je vous remettrai tout cela… Mais, comment!.. cinq heures déjà… et je ne suis pas habillée! laissez-moi… chère petite.
En disant ces mots, ma tante sonna une de ses femmes, qui entra, lui dit qu'on venait d'apporter au salon un meuble pour moi de la part de M. le vicomte de Lancry.
– Allez vite… c'est sans doute votre corbeille, – me dit ma tante; si j'en juge par le goût de Gontran, ça doit être charmant et magnifique à la fois.
Je sortis navrée de chez mademoiselle de Maran.
En songeant à ce secret qu'elle avait voulu me confier une seconde fois, je me rappelai malgré moi ce que m'avait dit la duchesse de Richeville… Et pourtant, je n'avais pas la moindre défiance de Gontran; lui-même n'avait-il pas été au-devant de mes soupçons en m'avouant les torts qu'on pouvait lui reprocher? et puis, d'ailleurs, je l'aimais passionnément. J'avais en lui une foi profonde.
Je ne me sentais si assurée, si charmée de mon avenir que parce qu'il en était chargé. Il en était de même de l'amitié d'Ursule; je la croyais aussi dévouée, aussi sincère que celle que j'éprouvais moi-même pour elle.
La cruelle inquiétude que mademoiselle de Maran m'avait jetée au cœur planait donc au-dessus des deux seules affections que j'eusse, et semblait les menacer toutes deux sans en attaquer aucune.
Je trouvai dans le salon la corbeille que m'envoyait M. de Lancry. Ainsi que l'avait prévu ma tante, il était impossible de rien voir de plus élégant et de plus riche: diamants bijoux, dentelles, châles de cachemire, étoffes, etc., tout était en profusion et d'un goût exquis. Mais j'étais trop triste pour jouir de ces merveilles. Je les aurais à peine regardées si elles n'avaient pas été choisies par Gontran.
Pourtant, à force de vouloir deviner le mystère que mademoiselle de Maran me cachait, je finis par croire que son attendrissement, qui m'avait paru très-sincère, ne l'avait pas été, que son seul but avait été de me tourmenter et de me faire de cruels adieux.
La vue Gontran, qui vint un peu avant l'heure fixée pour la signature du contrat, ses tendres paroles, finirent par me rassurer tout à fait.
A neuf heures, ma famille et celle de Gontran étaient rassemblées dans le grand salon de l'hôtel de Maran.
J'étais à côté de ma tante et de M. le duc de Versac. Le notaire arriva. Presque au même instant, on entendit le claquement des fouets et le bruit retentissant d'une voiture qui entrait dans la cour au galop de plusieurs chevaux.
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