– Non, madame; il reste habillé comme il est. Oh! il fait cela comme tout ce qu'il fait, simplement, sans ostentation. C'est naturel chez lui. Il tient ça de son père. C'est comme le courage; il est brave comme un lion. Tenez, il y a sept ou huit ans, il n'avait alors que vingt ans, lui et un drôle d'homme, M. le comte de Mortagne, qui était l'ami intime de son père, ont fait un coup devant lequel les plus intrépides auraient peut-être reculé.
En entendant le nom de M. de Mortagne, la mauvaise humeur de mademoiselle de Maran augmenta.
– Vous avez connu M. de Mortagne? – dis-je vivement à M. Sécherin.
– Oui, mademoiselle; c'était un original qui avait été au bout du monde, un ancien troupier de la grande armée, une barbe comme un sapeur; il venait bien souvent nous voir à la fabrique; mon pauvre père l'aimait bien aussi. Pour en revenir à mon histoire, un jour, lui et le jeune M. de Rochegune chassaient un lièvre à cheval et aux chiens courants; ils n'avaient donc pas de fusils, et ne possédaient pour toute arme qu'un fouet; le lièvre débouche de la forêt de Rochegune et prend la plaine. C'était en plein hiver; ils trouvent dans un champ un berger couvert de sang et à moitié mort.
– Bon… bon… je vois d'ici ce que c'est, – dit mademoiselle de Maran avec impatience, – quelque chien… quelque loup enragé qui aura mordu les moutons et le berger, et que ces deux paladins auront mis à mort. Allons, c'est superbe… N'en parlons plus.
– Non, madame, c'était…
– Bien, bien, mon cher monsieur Sécherin, faites-nous grâce de ces histoires-là, elles doivent être d'une terrible beauté, et cette nuit leur ressouvenir me donnerait le cauchemar. Mais tenez, je vois dans les yeux d'Ursule qu'elle meurt d'envie d'aller causer avec Mathilde.
Je me levai, je pris ma cousine par la main, et je l'emmenai chez moi, laissant M. Sécherin avec ma tante et Gontran.
CHAPITRE III.
L'AVEU
L'humiliation d'Ursule fut profonde et cruelle; non-seulement elle avait souffert de la vulgarité de son mari, mais aussi de la révélation des expressions ridiculement familières qu'il avait employées à son égard quelques jours après son mariage.
Mademoiselle de Maran avait été servie au delà de ses souhaits; sa bonhomie perfide, en mettant d'abord le mari d'Ursule en confiance, avait montré ce dernier sous un jour presque grotesque; le hasard avait fait le reste.
Je pense maintenant que, sans trop anticiper sur les événements, je puis vous faire remarquer que dès mon enfance mademoiselle de Maran n'avait eu qu'une pensée, celle d'exciter la jalousie, l'envie d'Ursule contre moi; elle voulait me faire tôt ou tard une ennemie implacable de celle que j'aimais de la tendresse la plus sincère.
Lorsque j'étais enfant, elle avait mis mon intelligence, mon esprit au-dessus de celui d'Ursule; jeune fille, c'était ma beauté, c'était ma fortune qui devaient complétement éclipser ma cousine; enfin, elle s'était efforcée de faire indirectement ressortir la distinction, l'élégance, la position, la naissance de Gontran, que j'allais épouser, en provoquant avec une infernale méchanceté les épanchements candides de M. Sécherin, le mari d'Ursule.
Hélas! je le crois, sans l'incessante obsession de ma tante, ma cousine n'eût pas si souvent comparé avec amertume ma position à la sienne; elle ne m'eût pas envié quelques avantages, et nous aurions vécu sans rivalité, sans jalousie. Je croirai toujours que le cœur d'Ursule était primitivement bon et généreux; les insinuations de ma tante ont causé le mal qu'elle m'a fait plus tard…
Je montai dans ma chambre avec Ursule. J'avais la plus entière, la plus aveugle créance dans sa franchise; je voyais en elle une victime; je me souvenais de la lettre si lugubre, si gémissante, qu'elle m'avait écrite: aussi je cherchais en vain à m'expliquer la singulière familiarité de ses expressions envers son mari, deux ou trois jours après ce mariage désespérant qui lui avait donné des idées de suicide.
Si j'avais un seul instant soupçonné Ursule de fausseté, si je l'avais crue capable d'avoir contracté une union, sinon avec plaisir du moins par calcul, j'aurais compris l'étrange contradiction des paroles de la lettre de ma cousine; mais, je le répète, j'avais une foi profonde en elle, j'attendais avec anxiété l'explication de ce mystère.
En entrant chez moi, Ursule tomba dans un fauteuil; elle cacha sa tête dans ses deux mains sans me dire un mot.
– Ursule, mon amie, ma sœur, – lui dis-je en me mettant à ses genoux, en prenant ses deux mains dans les miennes.
– Laisse-moi… laisse-moi, – dit-elle en cherchant à se dégager et en souriant avec amertume à travers ses larmes. – Pourquoi ces paroles de tendresse? tu ne les penses pas… tu ne peux plus les penser.
– Ah! Ursule… c'est cruel… que t'ai-je fait? que t'ai-je dit? pourquoi m'accueillir ainsi, mon Dieu! après une si longue absence?
– Mathilde, je n'accuse pas ton cœur; il est bon et généreux! mais c'est parce qu'il est généreux, qu'il a en horreur tout ce qui est mensonge et fausseté. Ainsi, laisse-moi… laisse-moi! ne te crois pas obligée de paraître m'aimer encore.
– Ursule… que dis-tu?
– Est-ce que je ne sais pas que tu me méprises!.. – ajouta la malheureuse femme en fondant en larmes. Puis elle se leva et alla près de la fenêtre essuyer ses pleurs.
J'étais restée stupéfaite, ne comprenant rien à ce que me disait Ursule. Je courus à elle.
– Mais, au nom du ciel, explique-toi; que veux-tu dire? pourquoi veux-tu donc que je te méprise?
– Pourquoi, Mathilde? peux-tu me le demander? Comment! il y a quinze jours, je t'écris une lettre désolée, une lettre qui te peignait l'affreux bouleversement de mon cœur. Tu t'émeus de mon désespoir, tu plains ton amie… tu pleures sur son sacrifice, sur ses illusions perdues, et tout à l'heure tu entends dire que cette femme, qui, un moment, n'avait vu d'autre refuge que la mort pour échapper à cet odieux avenir; que cette femme, trois jours après ce mariage détesté, prodigue à son mari les noms les plus ridiculement familiers… Encore une fois, Mathilde, je te dis que tu me méprises… ou bien tu caches ce sentiment et je te fais pitié… Mais la pitié… je n'en veux pas… j'aime mieux le dédain… j'aime mieux la haine… j'aime mieux l'indifférence; mais la pitié… oh! jamais, jamais!
Et mettant son mouchoir sur sa bouche, Ursule étouffa les sanglots qu'elle ne pouvait contenir.
– Mais tu es folle, Ursule! tu ne penses pas ce que tu dis… Souviens-toi donc de ma lettre? Est-ce que je ne sens pas tes larmes couler sur mes joues? – lui dis-je en l'embrassant, – est-ce que je ne vois pas, hélas! que tu es bien malheureuse? Que me fait, après tout, un mensonge de ton mari?
– Un mensonge?.. non, ce n'est pas un mensonge, Mathilde… non. Ces mots, si ridiculement familiers, je les ai dits… entends-tu… je les ai dits…
– Tu les as dits… Ursule?..
– Oui, oui… Ainsi laisse-moi… tu le vois bien… je suis la plus dissimulée… la plus fausse des créatures… Je feins le désespoir pour me faire plaindre, tandis qu'au fond je suis ravie de СКАЧАТЬ