Souvenirs d'une actrice (2/3). Fusil Louise
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Название: Souvenirs d'une actrice (2/3)

Автор: Fusil Louise

Издательство: Public Domain

Жанр: История

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СКАЧАТЬ nous fûmes en sûreté, je me rappelai les trente-deux assignats que j'avais cousus dans l'élégante ceinture de M. Aigré. Long-temps après j'appris qu'il avait été arrêté à Paris, ainsi que M. Blondel, et qu'ils avaient été jugés sous la prévention de fabrication de faux assignats. Comme c'était après le 10 avril, cela ne m'étonna point. Ce même Blondel, qui était encore à Sainte-Pélagie lors des horribles massacres de septembre, trouva le moyen d'échapper. Il harangua les gens assemblés autour de lui, leur dit qu'il était prisonnier pour avoir défendu leur cause; enfin il les persuada si bien par son éloquence, que plusieurs de ceux qui l'écoutaient le prirent sur leurs épaules et le portèrent en triomphe comme un martyr de la liberté. Il ne se laissa pas enivrer par cette ovation, et gagna au large aussitôt qu'ils l'eurent quitté. Lorsqu'on en vint à lire son écrou et que l'on vit qu'il était détenu pour faux assignats, on voulut le retrouver: fort heureusement il était alors à l'abri de toute poursuite. Les deux dames avaient été confrontées avec le chevalier Aigré, lors de son jugement; mais comme il s'était bien gardé de les compromettre, elles s'en étaient fort adroitement tirées. La femme de Blondel, qui était jolie et très spirituelle, avait victorieusement plaidé sa cause et celle de sa soeur. Ils trouvèrent tous trois le moyen de passer en Angleterre; mais le malheureux Aigré avait porté sa tête sur l'échafaud.

      V

      Je vais à Bordeaux. – Disette. – Arrivée dans une ferme. – Famille villageoise. – Ma guitare. – Puissance de la musique. – Je donne des représentations à la Rochelle. – Les fichus verts. – L'argent et les assignats.

      Mon mari devant partir pour l'armée d'Italie, je me décidai à accepter un engagement à Bordeaux; mais une femme ne pouvait guère voyager seule à cette époque, même en diligence. Je ne savais quel parti prendre, lorsque je rencontrai, chez une personne de notre connaissance, un négociant qui partait pour la Rochelle. Il avait une très bonne voiture, et désirait lui-même trouver quelqu'un pour voyager à frais communs. Nos arrangements furent bientôt faits; mais, dans la crainte de manquer de chevaux de poste, car ils étaient souvent en réquisition, nous prîmes un voiturier, qui nous assura qu'il trouverait des relais sur la route. Nous nous munîmes de provisions, autant qu'il nous fut possible d'en emporter, car ce n'était pas chose facile: non-seulement elles étaient rares, mais on les enlevait à ceux qu'on supposait en avoir.

      En faisant nos arrangements dans la voiture, mon compagnon de voyage voulut absolument me faire prendre ma guitare; je m'en souciais d'autant moins que c'était un embarras inutile.

      – Qui sait, me dit-il, si nous étions obligés de rester en route, cela vous amuserait.

      Ne pouvant la mettre dans un étui qui aurait tenu trop de place, on la suspendit au-dessus de nos têtes. Par un singulier hasard, ce fut une heureuse prévision d'avoir emporté cet instrument.

      Tant que nous fûmes près de Paris, nous eûmes beaucoup de peine à nous procurer ce dont nous avions besoin; mais à mesure que nous avancions, cela devenait plus facile. Cependant, nos provisions commençant à s'épuiser, notre postillon nous conseilla d'en chercher d'autres avant d'aller plus loin, et nous indiqua une habitation où nous pourrions nous en procurer.

      C'était une riche ferme, dans une position charmante. Mon compagnon de voyage descendit pour parler au maître de la maison.

      « – J'ai dans ma voiture, dit-il à ce bon fermier, une dame fort indisposée par les fatigues et les privations de toute espèce que nous avons déjà endurées depuis notre départ.»

      Il lui en fit un tableau touchant, et je crois même que, pour l'attendrir, il l'assura que j'étais enceinte.

      « – Voyons, dit le vieux fermier, en se levant de son fauteuil et venant à la voiture. Descendez vous reposer, madame, et venez prendre des oeufs frais et du bon lait, cela vous rafraîchira.»

      Il me conduisit dans une grande chambre où toute la famille était rassemblée. Cette belle ferme me rappelait nos opéras-comiques, surtout les Trois Fermiers, de Monvel.

      Une jeune femme bien fraîche allaitait son enfant: c'était la bru. Une vieille mère, deux jeunes filles, un grand garçon et plusieurs petits enfants, composaient cette belle famille. Il y avait dans tout cela un air de propreté, d'aisance, qui faisait plaisir à voir. Le vieux père était du Languedoc; il me parla le patois de Toulouse, que j'avais habitée quelque temps.

      Nous en revînmes aux difficultés du voyage, à la peine que l'on avait de se procurer les choses les plus simples, et nous demandâmes comment nous pourrions faire pour les acheter.

      – Nous ne vendons rien, répondit le fermier, mais si madame veut nous jouer un petit air de c'te machine que j'ai vue dans la voiture: je ne sais pas comment vous appelez ça.

      – Une guitare.

      – Une guitare, soit. Eh ben, jouez-nous-en un petit brin, et j'vous donnerons des provisions pour votre voyage.

      Mon compagnon, enchanté de cette représentation à notre bénéfice, courut vite chercher l'instrument[9].

      Je leur chantai ce qui me vint à l'esprit de chansonnettes villageoises:

      Sans un petit brin d'amour,

      On s'ennuierait même à la cour.

      Cela les égaya fort, et me fit penser à la chanson du Misanthrope:

      Si le roi m'avait donné

      Paris, sa grand'ville.

      Mais ce qui enchanta surtout mon vieux fermier, ce fut une romance languedocienne, de Goudoulis, célèbre par ses poésies languedociennes:

      Tircis est mort pécaïre: osulous ploura lous.

      Je crois qu'il m'aurait donné sa ferme, et m'aurait gardée toute ma vie, si j'avais voulu y rester.

      « – Saperbleu, madame, vous chantez joliment ça, me dit-il, j'en ai la chair de poulet.»

      Les succès flattent, de quelque part qu'ils viennent, et ce n'est pas celui qui me flatta le moins, car il partait du coeur: c'est pour cela que je m'en vante.

      Cette guitare devait être pour moi un talisman dans mon voyage. Elle me fut encore favorable à la Rochelle. M. D… en me la faisant emporter, eut une prévision bien heureuse.

      Comme il habitait la Rochelle, et que j'étais obligée d'attendre la diligence de Bordeaux, il me fit descendre à l'hôtel où elle devait arriver. On ôta de la voiture tout ce qui m'appartenait, excepté mes malles, qui devaient m'être envoyées dans la soirée.

      Les garçons, ayant mis dans une salle basse le sac de nuit, la guitare et plusieurs autres bagatelles, ils furent avertir la maîtresse de la maison.

      L'hôtesse, élégante et belle dame, me voyant un si mince bagage, n'augura pas beaucoup de mon séjour dans sa maison. Comme il était presque nuit, je lui demandai une chambre pour attendre l'arrivée de la diligence.

      – Ah! Dieu sait quand elle viendra, me dit-elle.

      – J'attendrai, lui répondis-je.

      – Je ne puis vous donner de chambre à présent, car il n'y en a qu'une de libre, et le voyageur qui l'occupe ne part qu'après le souper; il est maintenant au spectacle.

      – Il m'est cependant impossible de rester dans la salle à manger.

      Elle СКАЧАТЬ