Название: Le roman bourgeois: Ouvrage comique
Автор: Fournier Edouard
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Cela s'estoit passé auparavant que Nicodeme fust engagé avec Javotte. Quelque temps après, il arriva qu'un procureur de l'officialité, nommé Villeflatin, qui estoit amy et voisin de l'oncle de Lucrece, le vint voir et le trouva dans sa chambre au coin du feu. Par hasard, Lucrece estoit à fouiller dans un buffet qu'elle avoit dans la mesme chambre. Comme c'est la première cajolerie des vieillards de demander aux jeunes filles quand elles seront mariées, ce fut aussi le premier compliment de ce procureur. Hé bien! lui dit-il, mademoiselle, quand est-ce que nous danserons à vostre nopce! Je ne sçay pas quand ce sera, répondit Lucrece en riant; au moins ce ne sera pas faute de serviteurs: voilà une promesse; si j'en veux, il ne tient qu'à moy de l'accepter. Elle dit cela en monstrant un papier plié, qui estoit cette promesse qu'elle avoit trouvée fortuitement sous sa main, sur quoy neantmoins elle ne faisoit pas grand fondement, car elle mettoit toutes ses esperances en celle du marquis, dont elle n'avoit garde de faire alors mention. Le procureur, par curiosité, jetta la main dessus sans qu'elle y prist garde, et, faisant semblant de la vouloir arracher, elle fut obligée de la lascher de peur de la rompre. Il la lut exactement, et il luy dit qu'il connaissoit celuy qui l'avoit souscrite, qu'il avoit du bien; il n'en fit point d'autre éloge, car il croyoit bien par ce mot avoir dit tout ce qui s'en pouvoit dire. Il luy demanda si la promesse estoit reciproque, et si elle en avoit donné une autre; mais Lucrece, sans dire ny ouy, ny non, lui répondit tousjours en bouffonnant. Il luy recommanda serieusement de la bien garder, luy offrant de la servir en cette occasion et de faire une exacte enqueste du bien que Nicodeme pouvoit avoir.
A quelques jours de là il avint que, Villeflatin estant allé au Châtelet pour quelques affaires, y trouva Vollichon, pere de Javotte; et comme il le connoissoit de longue main, Vollichon lui fit part de la joyeuse nouvelle du mariage prochain de sa fille. Villeflatin s'en rejouyt d'abord avec luy, disant qu'il faisoit fort bien de la marier ainsi jeune; qu'une fille est de grande garde; qu'un pere en est déchargé et n'est plus responsable de ses fredaines quand elle est entre les mains d'un mary, qui est obligé d'en avoir le soin. Qu'à la vérité sa petite Javotte estoit bien sage; mais que le siecle estoit si corrompu, et la jeunesse si dépravée, qu'on ne faisoit non plus de scrupule de surprendre une pauvre innocente que de boire un verre d'eau. Et apres d'autres discours de cette nature que j'obmets à dessein, non pas faute de les sçavoir (car je les ay ouy dire mille fois), il luy demanda qui estoit celuy qu'il avoit choisi pour faire entrer en son alliance, et quand se feroit la solemnité du mariage. Vollichon luy répondit que les bans estoient desja jettez à Saint-Nicolas et à Saint-Severin, les parroisses des futurs espoux; que les fiançailles se devoient faire dans deux jours, et que c'estoit Nicodeme qui devoit estre son gendre. Comment! (s'écria Villeflatin) et on disoit qu'il devoit épouser mademoiselle Lucrece, nostre voisine! J'ai veu, leu et tenu une promesse de mariage à son profit, et qui est bien signée de luy. Vous me surprenez (dit Vollichon), je vous prie de m'en faire sçavoir des nouvelles certaines, et de me dire s'il… Et, sans achever, il le quitta avec furie, en criant: Qui appelle Vollichon? C'estoit le guichetier de la porte du presidial, qui appelloit Vollichon pour venir parler sur la montée à une partie qu'on ne vouloit pas laisser entrer. Son avidité, qui ne vouloit rien laisser perdre, ne luy permit pas de faire reflexion qu'il quittoit une affaire tres importante pour une autre qui estoit peut-estre de neant, comme elle estoit en effet. Si-tost qu'il eut expédié cette partie, il retourna au lieu où il avoit laissé Villeflatin, pour luy demander s'il se souvenoit des termes ausquels la promesse de mariage estoit conçue, puisqu'il l'avoit eue entre ses mains; mais il ne le trouva plus: car, comme celuy-cy estoit fort zelé pour le service de Lucrece et de toute sa famille, voyant le brusque départ de Vollichon, il s'imagina qu'il estoit allé promptement faire avertir sa femme et sa fille qu'on vouloit aller sur son marché et qu'une autre personne avoit surpris une promesse de mariage de Nicodeme. Enfin il crut qu'il estoit allé donner ordre d'achever le mariage avant qu'on y pust former opposition, de peur de laisser échapper ce party, qui en effet lui estoit avantageux. Il eut peur que ce qu'il avoit découvert à Vollichon ne le poussast encore plustost à precipiter l'affaire. C'est ce qui l'obligea d'aller tout de ce pas et de son propre mouvement (sans parler de rien à Lucrece, ny à son oncle, ny à sa tante), afin de ne perdre point de temps, former une opposition au mariage entre les mains des curez de Saint-Nicolas et de Saint-Severin. Et non content de cela, il obtint du lieutenant civil et de l'official des deffenses de passer outre, qu'il fit signifier aux mesmes curez et à Vollichon, car, quand à Nicodeme, il ne sçavoit où il demeuroit. Puis il vint tout en sueur, sur les trois heures apres midy, dire à Lucrece qu'il y avoit bien des nouvelles, qu'elle luy avoit bien de l'obligation, qu'il n'avoit ny bu ni mangé de tout le jour, qu'il avoit toujours couru pour son service. Et apres plusieurs autres prologues, il lui raconta la rencontre qu'il avoit faite de Vollichon et tous les exploits qu'il avoit fait depuis.
Lucrece fut fort surprise de ce recit, et il lui monta au visage une rougeur plus forte qu'aucune qu'elle eust jamais eue. Pour tout remerciment de la bonne volonté de ce procureur, elle luy dit qu'il la servoit vraiment avec beaucoup de chaleur, puisqu'il n'avoit pas mesme pris le temps d'en parler à son oncle ny à sa tante; qu'en son particulier, elle n'avoit point dessein d'épouser Nicodeme, et encore moins par l'ordre de la justice. Ha, ha (dit alors le procureur), il faut apprendre à cette jeunesse éventée à ne se moquer pas des filles d'honneur: nous avons sa signature, il faudra au moins qu'il paye des dommages et interests; laissez-moi seulement faire. Et avec un «Nous nous verrons tantost plus amplement; je n'ay ny bu ny mangé d'aujourd'huy», il enfila l'escalier, et tira la porte de la chambre apres luy; il la ferma mesme à double tour pour empescher qu'on ne courust apres luy pour le reconduire.
Lucrece, que par bon-heur il avoit trouvée seule, demeura en grande perplexité. Son marquis s'en estoit allé il y avoit quelque temps et luy avoit laissé des marques de son amour. Peu avant son départ, elle s'estoit apperceue d'un certain mal qui avoit la mine de luy gaster bien-tost la taille. Cela mesme l'avoit obligée de le presser de l'épouser; mais lorsqu'elle le conjuroit si vivement qu'il ne s'en pouvoit presque plus deffendre, il luy vint un ordre de la cour d'aller joindre son regiment: à quoi il obeyt en apparence avec regret, et en lui faisant de grandes protestations de revenir au plustost satisfaire à sa promesse. Il partit bien, mais je ne sçay quel terme il prit pour son retour, tant y a qu'il n'est point encore revenu. Lucrece luy écrivit force lettres, mais elle n'en reçeut point de réponse. Elle vit bien alors, mais trop tard, qu'elle estoit abusée, et ce qui la confirma dans cette pensée, c'est que, depuis le départ du marquis, elle n'avoit plus trouvé la promesse de mariage qu'il luy avoit donnée. Elle ne pouvoit pas mesme s'ymaginer comme elle l'avoit perdue, veu le grand soin qu'elle avoit eu de la serrer dans son cabinet. Or, voicy comme la chose estoit arrivée:
La passion du marquis estant un peu refroidie par la jouyssance, il fit reflexion sur la sottise qu'il alloit faire s'il executoit la parolle qu'il avoit donnée à Lucrece. Outre le tort qu'il faisoit à sa maison en se mésalliant, il voyoit tous ses parens animez contre luy, qui luy feroient perdre les grands biens sans lesquels il ne pouvoit soustenir l'éclat de sa naissance. Il voyoit, d'un autre costé, que, si Lucrece playdoit contre luy en vertu de sa promesse de mariage, cela luy feroit une tres-fâcheuse affaire: car, outre que ces sortes de procés laissent tousjours quelque tache à l'honneur d'un honneste homme, à cause qu'il est accusé en public de trahison et de manquement de parolle, les evenemens en sont quelquefois douteux, et avec quelque avantage qu'on en sorte, ils coustent toujours tres-cher. Il se résolut donc d'user de stratagéme pour se tirer de ce mauvais pas où son amour trop violent l'avoit engagé. Pour cet effet il mena sa maistresse à la foire Saint-Germain, et, luy disant qu'il luy vouloit donner le plus beau cabinet d'ébeine qui s'y trouveroit, il la pria СКАЧАТЬ