Название: Le roman bourgeois: Ouvrage comique
Автор: Fournier Edouard
Издательство: Public Domain
Жанр: Зарубежная классика
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Votre sentiment (dit Lucrece) est tres-raisonnable, et j'ay toujours fort combatu ces delicatesses; mais encore ce seroit beaucoup s'il ne falloit qu'estre propre, qui est une qualité necessaire à un honneste homme; il faut aussi avoir dans ses vestements de la diversité et de la magnificence: car on donne aujourd'huy presque partout aux hommes le rang selon leur habit; on met celuy qui est vestu de soye au dessus de celuy qui n'est vestu que de camelot, et celui qui est vestu de camelot au dessus de celuy qui n'est vestu que de serge. Comme aussi on juge du mérite des hommes à proportion de la hauteur de la dentelle qui est à leur linge, et on les éleve par degrez depuis le pontignac jusqu'au poinct de Gennes. Il est vray qu'on en use ainsi, dit Hyppolite, et je trouve qu'on a raison. Car comment jugerez-vous d'un homme qui entre en une compagnie si ce n'est par l'extérieur? S'il est richement vestu, on croit que c'est un homme de condition, qui a esté bien nourry et élevé, et qui, par conséquent, a de meilleures qualitez. Vous auriez grande raison (reprit le marquis) si vous n'en usiez ainsi qu'envers les inconnus: car j'excuserois volontiers l'honneur qu'on fait à un faquin qui passe pour un homme de condition à la faveur de son habit, puisque vous ne feriez qu'honorer la noblesse que vous croiriez estre en luy; mais on en use de mesme envers ceux qui sont les mieux connus, et j'ay veu beaucoup de femmes qui n'estimoient les hommes que par le changement des habits, des plumes et des garniturcs26. J'en ay veu qui, au sortir d'un bal ou d'une visite, ne s'entretenoient d'autre chose. L'une disoit: Monsieur le comte avoit une garniture de huit cent livres, je n'en ay point veu de plus riche; l'autre: Monsieur le baron estoit vestu d'une estoffe que je n'avois point encore veue, et qui est tout à fait jolie; une troisiéme disoit: Ce gros pifre27 de chevalier est tousjours vestu comme un gouverneur de Lyons; il n'oseroit changer d'habits, il a peur qu'on le méconnoisse. Cependant, il est souvent arrivé que le gros pifre a battu la belle garniture portée par un poltron, et que celuy qui avoit l'étoffe fort jolie n'aura dit que des fadaises. J'en ay veu mesme une assez sotte pour louer l'extravagance d'un certain galand de ma connoissance, qui, pour porter le deuil de sa maistresse, avoit fait faire exprès une garniture de rubans noirs et blancs, avec des figures de testes de morts et de larmes, comme celles qui sont aux parements d'église le jour d'un enterrement. Je crois (interrompit Lucrece) qu'on doit plustost dire qu'il portoit le deuil de sa raison qui estoit morte. Vous dites vray (repliqua le marquis), mais il n'en devoit porter que le petit deuil, car il y avoit longtemps qu'elle estoit deffunte. Vous attaquez de fort bonne grace, dit Lucrece, des personnes qui m'ont tousjours fort dépleu; à dire vray, je n'attendois pas de tels sentiments d'un homme de la Cour, et qui a la mine de se piquer d'estre propre et magnifique.
Je vous avoue (dit le marquis) que ma condition m'oblige à faire dépense en habits, parce que le goust du siecle le veut ainsi; et pour ne pas avoir la tache d'avarice ou de rusticité, je suy les modes et j'en invente quelquefois; mais c'est contre mon inclination, et je voudrois qu'il me fust permis de convertir ces folles dépenses en de pures liberalitez envers d'honnestes gens qui en ont besoin. Sur tout j'ay toûjours blâmé l'exces où l'on porte toutes ces choses, car c'est un grand malheur lorsqu'on tombe entre les mains de ces coquettes fieffées qui sont de loisir, et qui ne sçavent s'entretenir d'autres choses. Elles examineront un homme comme un criminel sur la sellette, depuis les pieds jusqu'à la teste, et quelque soin qu'il ait pris à se bien mettre, elles ne laisseront pas de lui faire son proces. Je me suis trouvé souvent engagé en ces conferences de bagatelles où j'ay veu agiter fort serieusement plusieurs questions tres-ridicules. J'y vis une fois un sot de qualité qu'on avoit pris au collet; une femme luy dit que son rabat n'estoit pas bien mis, l'autre dit qu'il n'estoit pas bien empesé, et la troisième soûtint que son défaut venoit de l'échancrure; mais il se deffendit bravement en disant qu'il venoit de la bonne faiseuse, qui prend un escu de façon de la piece. Le rabat fut declaré bien fait au seul nom de cette illustre; je dis illustre, et ne vous en estonnez pas, car le siecle est si fertile en illustres qu'il y en a qui ont acquis ce titre à faire des mouches. Cette authorité (dit Lucrece) estoit decisive, et la question apres cela n'estoit plus problematique; aussi il faut demeurer d'accord que le rabat est la plus difficile et la plus importante des pieces de l'adjustement; que c'est la premiere marque à laquelle on connoist si un homme est bien mis, et qu'on n'y peut employer trop de temps et trop de soins, comme j'ay ouy dire d'une presidente28, qu'elle est une heure entiere à mettre ses manchettes, et elle soûtient publiquement qu'on ne les peut bien mettre en moins de temps. Apres que ce rabat fut bien examiné (adjoûta le marquis), on descendit sur les chausses à la Candalle29; on regarda si elles estoient trop plicées en devant ou en arriere, et ce fut encore un sujet sur lequel les opinions furent partagées. En suite on vint à parler du bas de soye, et alors on traitta une question fort grande et fort nouvelle, n'estant encore decidée par aucun autheur: Si le bas de soye est mieux mis quand on le tire tout droit que quand il est plicé sur le gras de la jambe. Et après avoir employé deux heures à ce ridicule entretien, comme je vis qu'elles alloient examiner tout le reste article par article, comme si c'eust esté un compte, je rompis la conversation en me retirant, et je vis qu'elles remirent à une autre fois à parler du reste; car, pour juger un proces si important, elles y employerent plusieurs vaccations.
Vous raillez si agreablement (dit Lucrece) ces personnes qui vous ont dépleû, qu'il faut bien prendre garde à l'entretien qu'on a avec vous, et je ne sçay si vous n'en direz point autant de celuy que nous avons aujourd'huy ensemble. Je respecte trop (dit le marquis) tout ce qui vient d'une si belle bouche, et je vous ay veu des sentiments si justes et si eloignez de ceux que nous venons de railler, que vous n'avez rien à craindre de ce costé-là. En effet (reprit Lucrece) je n'approuve point qu'on s'entretienne de ces bagatelles, ny qu'on aille pointiller sur le moindre defaut qu'on trouve en une personne; il suffit qu'elle n'ait rien qui choque la veue. Aussi bien je sçais que, quelque soin qu'on prenne à s'adjuster, particulierement pour les gens de la ville, on y trouvera toujours à redire: car, comme la mode change tous les jours, et que ces jours ne sont pas des festes marquées dans le calendrier, il faudroit avoir des avis et des espions à la cour, qui vous advertissent à tous momens des changemens qui s'y font; autrement on est en danger de passer pour bourgeois ou pour provincial.
Vous avez grande raison (adjousta le marquis), cette difficulté que vous proposez est presque invincible, à moins qu'il y eust un bureau d'adresse estably ou un gazetier de modesСКАЧАТЬ
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On appeloit ainsi l'ensemble de plumes, de rubans, de nœuds, dont on chargeoit ses habits et sa coiffure. C'est ce que Mascarille appelle sa
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Ce mot
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Il s'agit ici de la présidente Tambonneau: «Une fois, dit Tallemant, elle alla fort ajustée chez la maréchale de Guébriant; on ne faisoit que de se mettre à table, elle avoit diné; la voilà qui commence à lever sa robe, pour montrer sa belle jupe; qui veut faire admirer comme ses manchettes étoient mises de bon air: car elle croyoit qu'il n'y avoit personne au monde qui les sut mettre comme elle, et même elle se piquoit de les mettre fort promptement, quoique madame Anne, sa duena, fut une heure et demie à les ajuster.» (
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C'étoit un des ajustements mis à la mode par le duc de Candale, le Brummell, le d'Orsay du XVIIe siècle. Bussy, dans son