Le roman bourgeois: Ouvrage comique. Fournier Edouard
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Название: Le roman bourgeois: Ouvrage comique

Автор: Fournier Edouard

Издательство: Public Domain

Жанр: Зарубежная классика

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СКАЧАТЬ qui aura trente mille livres de bien est vendue à un homme qui aura un office qui en vaudra deux fois autant, celles-cy, au contraire, qui auront deux cens mille escus de bien, seront livrées à un homme qui en aura la moitié moins; et elles seront encore trop heureuses de trouver un homme de naissance et de condition qui en veuille.

      La seule observation qu'il faut faire, de peur de s'y tromper, est qu'il arrive quelquefois que le merite et la beauté d'une fille la peut faire monter d'une classe, et celle de trente mille livres avoir la fortune d'une de quarante; mais il n'en est pas de mesme d'un homme, dont le merite et la vertu sont tousjours comptez pour rien. On ne regarde qu'à sa condition et à sa charge, et il ne fait point de fortune en mariage, si ce n'est en des lieux où il trouve beaucoup d'années meslées avec de l'argent, et qu'il achepte le tout en tâche et en bloc.

      Mais c'est assez parlé de mariage: il faut revenir à Lucrece, que je perdois presque de veue. Ses charmes ne la laissoient point manquer de serviteurs. Elle n'avoit pas seulement des galands à la douzaine, mais encore à quarterons et à milliers; car, dans ces maisons où on tient un honneste berlan ou académie de jeu, il s'en tient aussi une d'amour, qui d'abord est honneste, mais qui ne l'est pas trop à la fin; ce qui me fait souvenir de ce qu'un galant homme disoit, que c'étoit presque mettre un bouchon, pour faire voir qu'il y avoit quelque bonne pièce preste à mettre en perce.

      Ils venoient, comme j'ay dit, plûtost pour voir Lucrece que pour jouer; cependant il falloit jouer pour la voir. Tel, après avoir joué quelque temps, donnoit son jeu à tenir à quelqu'autre pour venir causer avec elle; et tel disoit qu'il estoit de moitié avec sa tante. Elle faisoit de son costé la mesme chose, et estoit de moitié avec quelqu'un qu'elle avoit embarqué au jeu; mais, apres avoir rangé son monde en bataille, elle alloit par la salle entretenir la compagnie, et sçavoit si bien contenter ses galands par l'égalité qu'elle apportoit à leur parler, qu'on eust dit qu'elle eust eu un sable pour régler tous ses discours.

      Elle tiroit un grand avantage du jeu, car elle partageoit le guain qui se faisoit, et ne payoit rien de la perte qui arrivoit. Sur tout elle trouvoit bien son compte quand il tomboit entre ses mains certains badauts qui faisoient consister la belle galanterie à se laisser gagner au jeu par les filles, pour leur faire par ce moyen accepter sans honte les presens qu'ils avoient dessein de leur faire. Erreur grande du temps jadis, et dont, par la grace de Dieu, les gens de cour et les fins galans sont bien déduppez. Il est vray que les coquettes rusées sont fort aises de gagner au jeu; mais, comme elles appellent conqueste un effect qu'elles attribuent à leur adresse ou à leur bonne fortune, elles n'en ont point d'obligation au pauvre sot qui se laisse perdre, qu'elles nomment leur duppe, et qu'elles n'abandonnent point qu'apres leur avoir tiré la derniere plume. Et lors il n'est plus temps de commencer une autre galanterie, car elles n'ont jamais d'estime pour un homme qui a fait le fat, quoy qu'à leur profit. Aussi bien, à quoy bon chercher tant de destours? ne fait-on pas mieux aujourd'huy de jouer avec les femmes à la rigueur, et de ne leur pardonner rien, et, si on leur veut faire des presens, de leur donner sans cérémonie? En voit-on quantité qui les refusent et qui les renvoyent? Cela estoit bon au temps passé, quand on ne sçavoit pas vivre. Je croy mesme, pour peu que nous allions en avant, comme on se raffine tous les jours, qu'on pratiquera la coustume qui s'observe déjà en quelques endroits, de bien faire son marché, et de dire: Je vous envoye tel present pour telle faveur, et d'en prendre des assurances: car, en effect, les femmes sont fort trompeuses.

      Mais, en parlant de jeu, j'avois presque écarté Lucrece, qui aymoit, sur tous les galands, les joueurs de discretions22: car, dans sa perte, elle payoit d'un siflet ou d'un ruban, et, dans le guain, elle se faisoit donner des beaux bijoux et de bonnes nippes. Elle n'estoit vétuë que des bonnes fortunes du jeu ou de la sottise de ses amans. Le bas de soye qu'elle avoit aux jambes estoit une discretion; sa cravatte de poinct de Gennes, autre discretion; son collier et mesme sa juppe, encore autre discretion; enfin, depuis les pieds jusqu'à la teste, ce n'estoit que discretion. Cependant elle joüa tant de fois des discretions, qu'elle perdit à la fin la sienne, comme vous entendrez cy-apres. Je vous en advertis de bonne heure, car je ne vous veux point surprendre, comme font certains autheurs malicieux qui ne visent à autre chose.

      Entre tous ces amants dont la jeune ferveur adoroit Lucrece, se trouva un jeune marquis; mais c'est peu de dire marquis, si on n'adjouste de quarante, de cinquante ou de soixante mille livres de rente: car il y en a tant d'inconnus et de la nouvelle fabrique, qu'on n'en fera plus de cas, s'ils ne font porter à leur marquisat le nom de leur revenu, comme fit autrefois celuy qui se faisoit nommer seigneur de dix-sept cens mille escus. On n'avoit pas compté avec celuy-cy, mais il faisoit grande dépense et changeoit tous les jours d'habits, de plumes, et de garnitures. C'est la marque la plus ordinaire à quoy on connoist dans Paris les gens de qualité, bien que cette marque soit fort trompeuse. Il avoit veu Lucrece dans cette eglise (j'ay failly à dire: que j'ay déjà décrite) où il estoit allé le jour de cette solemnité dont j'ay parlé, pour toute autre affaire que pour prier Dieu. D'abord qu'il la vid il en fut charmé, et quand elle sortit il commanda à son page de la suivre pour sçavoir qui elle estoit; mais, devant que le page fut de retour, il avoit déjà tout sçeu d'un Suisse François qui chasse les chiens et louë les chaises dans l'eglise, et qui gagne plus à sçavoir les intrigues des femmes du quartier qu'à ses deux autres mestiers ensemble. Une piece blanche luy avoit donc appris le nom, la demeure, la qualité de Lucrece, celle de sa tante, ses exercices ordinaires et les noms de la pluspart de ceux qui la frequentoient; enfin mille choses qu'en une maison privée on n'auroit découvert qu'avec bien du temps; ce qui fait juger que celles où on se gouverne de la sorte commencent à passer pour publiques. Il songea, comme il estoit assez discret, à chercher quelqu'un qui le pust introduire chez elle; en tout cas, il se resolvoit de se servir du prétexte du jeu, qui est le grand passe-par-tout pour avoir entrée dans de telles compagnies; il n'eust besoin de l'une ni de l'autre, car dès le lendemain, passant en carrosse dans la ruë de Lucrece, il la vid de loin sur le pas de sa porte. L'impatience qu'elle avoit de voir que personne n'estoit encore venu l'y avoit portée, et dès qu'elle entendit le bruit d'un carrosse, elle tourna la teste de ce côté-là, pensant que c'estoit quelqu'un qui venoit chez elle. Le marquis se mit à la portiere pour la saluer et tascher à noüer conversation.

      Voicy une mal-heureuse occasion qui luy fut favorable: un petit valet de maquignon poussoit à toute bride un cheval qu'il piquoit avec un éperon rouillé, attaché à son soullier gauche; et comme la ruë estoit estroitte et le ruisseau large, il couvrit de bouë le carrosse, le marquis et la demoiselle. Le marquis voulut jurer, mais le respect du sexe le retint; il voulut faire courir après, mais le piqueur estoit si bien monté qu'on ne lui pouvoit faire de mal, si on ne le tiroit en volant. Il descendit, tout crotté qu'il estoit, pour consoler Lucrece et luy dit en l'abordant: Mademoiselle, j'ay esté puny de ma temerité de vous avoir voulu voir de trop prés; mais je ne suis pas si fâché de me voir en cet estat que je le suis de vous voir partager avec moi ce vilain present. Lucrece, honteuse de se voir ainsi ajustée, et qui n'avoit point de compliment prest pour un accident si inopiné, se contenta de luy offrir civilement la salle pour se venir nettoyer, ou pour attendre qu'il eust envoyé querir d'autre linge, et elle prit aussi-tost congé de luy pour en aller changer de son costé. Mais elle revint peu apres avec d'autre linge et un autre habit, et ce ne fut pas un suiet de petite vanité pour une personne de sa sorte de montrer qu'elle avoit plusieurs paires d'habits et de rapparter en si peu de temps un poinct de Sedan qui eut pû faire honte à un poinct de Gennes qu'elle venoit de quitter.

      La premiere chose que fit le marquis, ce fut d'envoyer son page en diligence chez luy, pour luy apporter aussi un autre habit et d'autre linge, esperant qu'on lui presteroit quelque garde-robe où il pourroit changer de tout. Mais le page revint tout en sueur luy dire que le valet de chambre avoit emporté la clef de la garde-robe, et que, depuis le matin qu'il avoit habillé son maistre, il ne revenoit à la maison que le soir, suivant la coustume de tous ces faineans, que leurs maistres laissent joüer, yvrogner et filouter tout le jour, faute de leur donner de l'employ, croyant deroger à leur grandeur, s'ils les employoient à plus d'un office. Il fallut donc qu'il prist, comme on dit, patience en enrageant, et qu'il condamnast son peu de prevoyance СКАЧАТЬ



<p>22</p>

L'usage de jouer des enjeux indéterminés, laissés à la discrétion du gagnant, nous étoit venu d'Italie, de Florence, où il ne s'est pas perdu encore. Henri Estienne, dans ses Dialogues du nouveau langage françoys italianisé, appelle déjà discrétion le prix de certaines gageures; mais, dans les lettres de Voiture, nous trouvons mieux encore le mot avec le sens que Furetière lui donne ici, et qu'il a gardé. La 70e lettre du grand épistolier, adressée à mademoiselle de Rambouillet, en luy envoyant douze galants de rubans d'Angleterre, pour une discrétion qu'il avoit perdue contre elle, commence ainsi: «Mademoiselle, puisque la discrétion est une des principales parties d'un galant, je croy qu'en vous en envoyant douze, je vous paye bien libéralement ce que je vous dois.» Quelquefois il en coûtoit cher de jouer pareil enjeu: «On dit que, pour une discrétion, il (Gondran) donna une toilette de cinq cents écus, où tout est d'orfèvrerie, et on parle de pendants de 6000 livres.» (Tallemant, Historiettes, in-8: t. 4, p. 292.)